Matin ménage et autres
sans doute insuffisamment mais qui, compte tenu des côtés pas très
pratiques de l'antre et de ma maladresse m'ont mise sur le flanc...
et puis dans l'après-midi parce que la date est là et surtout parce
qu'un peu lasse des polémiques voulais en revenir à ce qui me
semblait l'essentiel, l'admiration pour la résilience (ou la révolte
qui pouvait l'accompagner) de nos ancêtres, par uniquement dans les
combats d'ailleurs mais l'endurance, la pitié admirative,
l'effarement et la gorge nouée, la rage contre ceux (mal cernés par
moi, mais en gros ce sont sans doute les mêmes) qui ont provoqué
cette, ces guerres, et qui se sont enrichis, ai repris, survolant,
m'arrêtant, le petit recueil de lettres publiés par Librio (la
seconde édition, la première je l'avais donnée je ne sais plus à
qui) et j'ai cueilli de courts passages (trop, je vous prie de m'en
excuser), accompagnés de dessins et photos que j'espère libres de
droit,
en commençant par ce
Léger du Kroeller-Mueller Museum
Les balles continuent à
pleuvoir autour de moi, je risque d'être de nouveau atteint ; je
fais donc tout mon possible pour me traîner dans un trou, j'ai bien
du mal à m'y blottir. Le combat est terminé, tous mes camarades ont
battu en retraite, et nous les blessés, nous restons abandonnés,
sans soin, mourant de soif... Rien que la fusillade, car à chaque
bruit que fait un blessé, la fusillade reprend, au beau milieu de la
nuit, la mitrailleuse balaye le terrain... Désiré-Edmond
Renault, pâtissier, 22 août 1914
… Au petit matin,
nous sommes descendus dans une gare proche de la frontière
allemande. Le long du chemin : traces de combats, champs piétinés ;
dans ce chaos désertique, toutes sortes de matériels de combat, des
hommes enterrant les derniers morts, et dans l'air cette odeur
pénétrante du champ de bataille. Nous avons fouillé quelques sacs,
dans chacun d'eux il y avait des lettres et des cartes, en français
et en allemand, adressées aux êtres chers de l'arrière... Tout ça
a jeté un grand froid, ceux qui les avaient écrites étaient
morts... Richard Hoffmann
artilleur allemand, 22 septembre 1914
Des classes 12 et 13,
nous sommes une quarantaine au maximum sur cent cinquante – tout le
reste est mort, blessé ou prisonnier. Un matin de septembre aussi
clair se lève sur les vignes et les coteaux de la Marne ; le
clocher du village émerge au-dessus des vapeurs du matin que
dissipe le soleil, les dernières roses de l'automne fleurissent...
Etienne Tanty 23 septembre 1914
eau-forte
d'Otto Dix (collection particulière Anvers)
Il
nous a fallu passer trois jours et trois nuits en territoire
hostile.. je ne peux vous décrire tout le malheur, tous les ravages
et la famine dont sont victimes les jeunes enfants et les femmes que
nous avons rencontrés. Des hommes il n'y en a plus, on ne voit que
des vieillards.. Vous allez peut-être me dire que tout ce que j'ai
vu n'est encore rien par rapport à un champ de bataille jonché de
cadavres d'hommes et de chevaux.. Mais j'en ai déjà vu beaucoup
trop et j'ai mon content de misère et de désolation. Toute la
récolte est pour partie dehors, pour partie moissonnée, pour partie
en gerbes, pour partie éparpillée. C'est bien triste tous ces beaux
champs de blé laissés à l'abandon.. Ernst Wittefeld
agriculteur et grenadier de la garde-empereur 21 octobre 1914
et
puis, sans chronologie autre que celle de ma lecture
Tu me dis que tu vas
faire nos treuffes (vais
apprendre le nom) au mois de juin cette année... Ou tu
feras couper ton foin avant. Ces jours-ci, il sécherait bien. Il
doit y avoir de l'herbe dans les prés. L'ourche des Tourniaux sera
bientôt bonne à faucher (…) As-tu des pommes de terre. Si j'étais
à ta place, moi, ma petite Lucie, je ferais beaucoup de Noires....
Jean Dron – 18 mai 1918
photo
provenant du blog The great war blog http://ww1blog.osborneink.com
Pense que de chaque
côté des lignes, sur une largeur de un kilomètre, il ne reste pas
un brin de verdure, mais une terre grise de poudre, sans cesse
retournée par les obus : des blocs de pierre cassés, émiettés,
des troncs déchiquetés, des débris de maçonnerie... Je croyais
avoir tout vu à Neuville... c'était une illusion. Là-bas, c'était
encore de la guerre : on entendait des coups de fusil, des
mitrailleuses, mais ici rien que des obus, des obus, rien que cela ;
puis des tranchées que l'on se bouleverse mutuellement, des lambeaux
de chair qui volent en l'air, du sang qui éclabousse...On se demande
comment il se peut qu'on laisse se produire de pareilles choses. Je
ne devrais peut-être pas décrire ces atrocités, mais il faut qu'on
sache, on ignore la vérité trop brutale... René
Pigeard, imprimeur, 20 ans en 14, blessé à Verdun, prisonnier en
1917 mort électrocuté en s'évadant – le 27 août 1916
Nous étions depuis
quatre jours en avant-poste la nuit et de jour dans une espèce
d'abri où nous aurions pu tenir à quatre et où nous étions
quinze. Avec cela dans l'eau et comme quelques uns, moi en
particulier, avions la drille. Jugez de notre situation quand vous
saurez que nous ne devions pas sortir... Vous ne devineriez jamais,
oh ! non, je vous le donne en mille... Eh bien, dans un caveau auquel
un obus a fait une petite ouverture et dans lequel nous sommes en
compagnie de deux squelettes... La nuit, le poste est installé dans
les décombres d'une ferme dont il ne reste que quelques pierres
éparses de-ci de-là. Voici une marguerite que j'y ai cueillie.
Pierre Prouteau – 10 juin 1916
dessin
du lieutenant Jean Droit
https://forum.pages14-18.com/viewtopic.php?t=54663
Il n'y a pas des
discipline militaire, c'est le bagne, c'est l'esclavage ! Les
officiers ne sont point familiers, ce ne sont point ceux du début...
Moindre faute, moindre défaillance, faute contre la discipline, 8
jours de prison, par le commandant de la compagnie, porté par le
Colonel... La nuit que j'ai regagné le secteur actuel, nos officiers
nous ont perdus. Nous avons marché trois heures sous bois pour
gagner le point de départ. La pluie et la neige tombaient. Il a
fallu regagner le temps perdu et par la route nous avons monté en
ligne. Mais le danger est grand pour faire passer u bataillon sur
une route si bien repérée. Nous avons été marmités... J'ai voulu
vous montrer que ceux qui vous diront que le soldat n'est pas
malheureux au front, qu'un tel a de la chance d'être valide encore,
mériteraient qu'on ne les fréquente plus. Emile
Sautour (tué au front le 10 octobre 1916) – 31 mars 1916
… le 12 au matin, les
Boches arborent un drapeau blanc et gueulent : «Kamarades,
Kamarades, rendez-vous.»
Ils nous demandent de
nous rendre «pour la frime». Nous, de notre côté, on leur en dit
autant ; personne n'accepte. Ils sortent alors de leurs tranchées,
sans armes, rien du tout, officier en tête ; nous en faisons autant
et cela a été une visite d'une tranchée à l'autre, échanges de
cigares, cigarettes, et à cent mètres d'autres se tiraient dessus ;
je vous assure, si nous ne sommes pas propres, eux sont rudement
sales, dégoutants ils sont, et je crois qu'ils en ont marre eux
aussi. Gervais Morillon
(travaillait avec son frère dans la même pépinière que son père
– frère sauf, lui tué à vingt et un an en mai 1915) 14 décembre
1914
photo
Getty
l'ennemi et le Français
sympathisant dans le rictus suprême, dans l'accolade des nudités
violées, confondus, mêlés, sur cette plaine de folie hantée, dans
ce gouffre traversé de rafales vociférantes. L'Allemand et le
Français pourrissant l'un dans l'autre, sans espoir d'être
ensevelis jamais par des mains fraternelles et pieuses. Maurice
Drans, blessé trois fois, devint instable et bohème après guerre,
mais toujours obsédé d'écriture. 17 mai 1917
Ma bien chère Lucie
… Nous sommes passés
vingt-quatre hier soir au Conseil de Guerre. Six ont été condamnés
à mort dont moi. Je ne suis pas plus coupable que les autres, mais
il faut un exemple. Mon portefeuille te parviendra et ce qu'il y a
dedans.
Je te fais mes derniers
adieux à la hâte, les larmes aux yeux, l'âme en peine. Je te
demande à genoux humblement pardon pour toute la peine que je vais
te causer et l'embarras dans lequel je vais te mettre... Henri
Floch, greffier de la justice de paix – l'un des «Martyrs de
Vingré» fusillés le 4 décembre 1914, réhabilités par la Cour de
cassation en 1921
Si je m'étais attendu
à ça, je me serais fait porter malade, j'aurais eu huit jours de
prison mais au moins je n'aurais pas assisté à un assassinat...
Nous sommes partis du cantonnement vers les 3 heures, on nous a
conduit dans un parc. Là on nous a fait former un rectangle et en
voyant le poteau nous avons compris mais trop tard à la scène que
nous allions assister. C'était pour fusiller un pauvre malheureux
qui dans un moment de folie tant que nous étions à Lorette a quitté
la tranchée et a refusé d'y revenir... Marcel
Garrigues (électricien, 31 ans en 14, dix-sept mois de guerre sans
permission chez lui, tué le 12 décembre 1915 par une balle perdue)
– 31 juillet 1915
croquis
de Théophile Alexandre Steinlen
http://surlalignedefront.fr/2014/03/06/la-grande-guerre-du-suisse-theophile-alexandre-steinlen/
Il y a une trêve, un
événement rare qui nous permet d'admirer la belle vue bien au-delà
de la multitude des tombes, des villages détruits de Malencourt et
de Béthoucourt – et nous regardons les avions qui se battent
au-dessus de nos têtes, ce qui arrive rarement – mais la poésie
est passagère. Quand vient le vent du nord avec son épouvantable
odeur de putréfaction ou avec la puanteur des grenades de soufre et
de phosphore et quand le feu de batterie reprend, nos nerfs sont
remis à rude épreuve ce qui nous déclenche des états de
désespoir. Les moments les plus tendus sont à la tombée de la nuit
où l'on redoute le plus une attaque... Christian
Bordeching (lieutenant dans l'armée allemande, étudiant en
architecture, tué sur le front à 24 ans le 20 avril 1917) – 21
mai 1916
et
puis pour finir (suis désolée et admirative si m'avez suivie, en
fait j'ai sabré, en avais retenu quatre fois plus)
le 13 novembre 1918
… Le 9 à 10 heures
du matin on faisait une attaque terrible dans la plaine de la Woëvre.
Nous y laissons les trois quarts de la compagnie, il nous est
impossible de nous replier sur nos lignes ; nous restons dans l'eau
trente-six heures sans pouvoir lever la tête ; dans la nuit du 10,
nous reculons à 1km de Dieppe ; nous passons la dernière nuit de
guerre ; le matin au petit jour puisque le reste de nous autres est
évacué ; on ne peut plus se tenir sur les jambes ; j'ai le pied
gauche noir comme du charbon...
A 9 heures du matin le
11, on vient nous avertir que tout est signé et que cela finit à 11
heures, deux heures qui parurent des jours entiers...
tout est bien fini ;
alors la triste corvée commence, d'aller chercher les camarades qui
(y) sont restés. Le soir arrive, il nous faut rester là, mais on
allume un grand feu et les rescapés se rassemblent...
Eugène Poézévara (18 ans en 1914, gazé sur le front, mort
d'épuisement dans les années 1920)
13 commentaires:
Pouce haut pour votre titre
la réalité
Se souvenir et avoir du mal à réaliser une petite partie de ce qu'ils ont vécu, les passages que tu rapportes en sont un témoignage.
Merci pour tes mots chez moi.
Livres poignants et dessins ..beaucoup de ce que chacun garde précieusement en écho
Je n'ose les ressortir Merci
nous n'en avons pas... pour mon grand père doivent être chez ses parents et l'autre frère... lui a continué et les traces sont de conflits suivant -cette guerre ('est passé un peu partout je crois, de lieutenant à capitaine, avec de la chance a laissé des souvenirs tus et les fiançailles et mariage avec la dernière des filles d'une famille dont l'un des trois fils avait été avec lui
Toutes la souffrance de ces hommes, souvent plus jeunes que mes fils aujourd’hui, et de toute leur famille en filigrane dans ces mots et ces dessins.
Comment pouvons-nous produire autant d’horreur, alors que la vie est déjà si difficile à elle seule ? Comment pouvons-nous les oublier et toujours recommencer ?
dire plus jamais ça jusqu'à la suivante
plus jamais ça jusqu'à la suivante, ou bien faire des guerres par procuration ailleurs et laisser mourir des inconnus au Yemen
Tout est dit dans ce beau titre.
À propos de Pétain, le chef des armées en 1918 et chef de la capitulation devant Hitler en 1940 puis de la collaboration puis du statut des Juifs et de leur massacre, Claude Lanzmann n'aura heureusement pas eu à souffrir le dernier commentaire de Monsieur le Président de la République sur ces décisions "néfastes" (sic).
lire "funestes" au lieu de "néfastes" (la litote reste du même niveau)... Merci.
Claudine, oui mais, sauf le Yémen c'est vrai, dans ma famille il y en a toujours eu au moins un ou deux plus ou moins proches dans les guerres ou "opérations"
Dominique, je réagissais aux polémiques, même si Dominique, suis fermement décidée à ne pas relever les provocations minables, conscientes ou non, de notre président (puisque ce président il y a)
Great site you have got here.. It's hard to find good quality writing
like yours these days. I really appreciate people like you!
Take care!!
Enregistrer un commentaire