Jour bleu où me sentais un peu floue, mais ne voulais en tenir compte – pas de raison –, jour où j'ai mis dans un sac deux draps sales et une jupe de flanelle, l'ai empoigné, ai descendu avec précaution mon escalier raide, suis sortie, ai pris dans la gueule le souffle coléreux du vent... ai affermi canne et jambes, tourné le coin, découvert que sous la plaque bleue briquée c'était un déballage de toutes les boutiques en peine de clientes...
Jour où au bout de quelques pas chancelants j'ai craint pour mes bonnes résolutions en voyant quelques robes légères, un peu trop belles pour ma vie de ces temps, sur les portants, parmi les manteaux et chandails, jour où constatant la presque faiblesse de carcasse et supposant la quasi faiblesse de ma volonté, ai fait le tour du pâté de maisons et m'en suis revenue dans l'antre...
Ai mis un bout de chocolat dans ma bouche, ai relu ce que j'avais tenté d'écrire dans la matinée en réponse à la proposition #4 de l'atelier Baudelaire de François Bon https://youtu.be/DuVpAOibips et lâche pour lâche ai baissé les bras, renoncé à mieux, l'ai mis en ligne sur https://www.tierslivre.net/ateliers/category/bicentenaire-baudelaire/baudelaire-4/ et le reprends ci-dessous
Rive
Une étendue presque plate et nue dans mon dos et la terre qui, roches et plantes, dégringole dans l'abîme lumineux de la mer devant le corps raidi – la porte du couloir du service dans mon dos et la spirale de l'escalier de secours qui reprend sous le palier où suis sortie dans la nuit avec une cigarette-prétexte que je tiens éteinte entre mes doigts – le refus fort et soudain d'un avenir, et le fragile calme auquel je m'applique au bord de mon gouffre, de ce qui y tournoie. La placidité de la mer sur laquelle le soleil danse en vaguelettes, les nuances vertes ou bleus, signes qu'envoient aux yeux les bas-fonds proches de sa surface, cachant, dissimulant l'immensité, l'intensité de sa vie, son chant sourd à nos oreilles – le désir et la crainte des profondeurs que je ne veux pénétrer, que je crois là, en un lieu indéterminé et introuvable puisque diffus dans mon corps et mon esprit. Les cris dans des livres, ajouter aux discours que transmet le chemin des yeux sur la page, le souffle qui est en moi, ma voix, pour en découvrir le rythme, la construction, y prêter l'attention que l'on a pour le fonctionnement de cette porte entrebâillée afin qu'une flèche de lumière pénètre dans l'antre, à demi fermée afin que la violence du vent qui chante et secoue les branches ne soit qu'accompagnement extérieur. De la terrasse, l'étendue d'une plaine sans relief où s'étirent des chemins s'enfonçant dans l'horizon, ou le gigantisme d'une place blanche brûlée de soleil au débouché de petites rues ombreuses et les jambes qui tremblent – l'esprit renâcle, tétanisé devant la poursuite sans but des jours, ennui, désintérêt, crainte devenus si forts, prenant tant de place qu'ils deviennent béquille sur laquelle appuyer ma déprise.
8 commentaires:
"Déprise", oui, savoir se "déprendre"...
Et merci à l'adjudant Castex (envoyé au front médiatique tandis que le général en chef reste planqué dans son bunker élyséen) de nous ouvrir les portes du "grand-air", de la liberté plus une heure d'été avant l'heure dite, et des 10 km autorisés (pas de franchissement des frontières "régionales") fournis avec une boussole SGDG. ;-)
oui mais une pensée pour vous qu'il confine à nouveau
"Déprise", j'ai aussi tiqué sur ce mot !
Mahler et Kathleen Ferrier
comme un chemin à reprendre
maudits échos !
moi je le trouve aimable ce mot, et c'est notre avenir plus ou moins proche à tous
Et faire plusieurs tours des quartiers et des maisons pour savourer son non confinement Pauvre de nous compatis pour le nord et nos chers Parisiens
c'était pas savourer et le tour des quartiers, c'était trembler pendant un quart d'heure après les quelques pas dans la rue (carcasse exagérait) - tu peux aussi plaindre tes voisins de l'est !
J’entends bien ce texte... émouvant
Claudine Dozoul
merci Claudine
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