Sordide, navrée
ma ville n'est pas faite
pour vivre la pluie.
Mon visage grelotant
et puis lâchement, comme la météo me menaçait d'un retour de l'orage en début de soirée, ai fait défaut à Rosmerta.
Ménage, paresse du corps et de l'esprit... Vais vous infliger (vous n'en avez pas fini, pauvres fidèles) un peu de Porto encore (non enivrant), ma réserve est bien fournie.
– 12 – Domingos et Alberto, bermuda rouge pour l'un, vert pour l'autre, et torse nus, sont debout, splendidement jeunes et bronzés, sur la rambarde de fer du ponte Luis 1, Nicaulo Vieitas, plus pleutre disent-ils, moins fou pense-t-il, simplement moins bon plongeur et puis il faut bien un guetteur, est resté sur le tablier du pont ; ils attendent ; Nicaulo annonce qu'un bateau approche, et juste au moment où le nez blanc émerge hors du pont, les garçons sautent. Sur le bateau certains crient, certains applaudissent, certains photographient, certains se souviennent de récits anciens de voyageurs en Egypte. – 13 – Sur le chemin de l'hôpital Lusiadas, Pedro et Amalia Cortesão, se sont arrêtés au coin de la rua de Junio Dinis et de la place, en attendant que le feu vire de couleur, puis, quand le petit, bonhomme vert s'est éclairé, ont fait un pas en arrière pour ne pas gêner, et Pedro courbe sa grande taille, son front dégarni,sa couronne de cheveux blancs vers sa femme pour l'écouter lui parler du malade. C'est vrai qu'il lui a laissé le soin de lui rendre visite à Marcelo, c'est vrai qu'il faisait exprès de parler d'autre chose quand elle revenait de l'hôpital avec un air de plus en plus apitoyé et voulait lui parler de ce que disaient les docteurs, c'est vrai qu'il est rancunier, c'est vrai qu'il ne lui a jamais pardonné de l'avoir presque éjecté de l'entreprise, jusqu'à ce qu'il parte de lui-même et lui vende ses parts, même si cela lui a plutôt réussi il faut bien le dire (en fait il en pète d'orgueil comme il le pense en jouissant, il doit se l'avouer, de la vulgarité de l'expression). Alors maintenant, puisque hier quand elle est rentrée avec un petit sourire il l'a écouté annoncer une amélioration, oh fragile, mais nette, et curieusement que c'est à ce moment qu'il a senti se réveiller un souvenir de tendresse pour ce cochon de grand-frère, il a décidé de l'accompagner, et maintenant, comme il a un peu peur de faire étalage de son ignorance égoïste, il interroge enfin Amalia ; elle répond patiemment, sagement, comme toujours, mais avec une petite lumière d'ironie dans les yeux, dans la voix, et puis lui montrant le sac plastique qu'elle porte « il va tellement mieux qu'il m'a demandé des livres, je les ai choisis comme tu l'aurais fait, il y en a un ou deux qui vont l'agacer, il saura que c'est bien toi qui les a sélectionnés ». – 14 – Dressé sur ses petites jambes tendues, depuis le balcon du bel appartement d'un ami de classe, Mãrio, crispé de regret et de désir, regarde la courbe de la tribune de l'estadio do Drãgao, et pense qu'il ne pourra jamais y aller.
– 15 – Derrière les fenêtres aux carreaux cassés ou sans carreau de la seconde maison aux azuléjos bleu et blanc, au début de l'avenida Gustavo Eiffel, juste après le pont, Margot et Ann font cuire du riz dans une grande marmite en équilibre sur un réchaud bricolé en se moquant de la paresse des garçons, Carmen lève la tête et leur dit de faire attention, Giovanni, Lucia, Amadou et Manuel jouent à un jeu de cartes dont ils réinventent les règles, Fernando leur tourne le dos et regarde sans le voir le monastère sur la colline de l'autre côté du fleuve en ruminant sa triste colère parce que Sophia les a quitté, est rentrée chez les siens sans qu'il lui ait parlé, vraiment parlé, ça aurait suffit, et les autres écoutent Vicente et Nuno qui jouent de la guitare. Une fille se met à chanter, doucement, en forçant sa voix vers le bas, Fernando se retourne, lance une chanson à pleine voix triomphante, il y a une pause, la fille cède, se tait, les guitares suivent Fernando, Manuel abandonne les cartes, se met à danser, Amadou tente de le suivre, la pièce se met à tanguer, les filles éteignent sous le riz... d'ailleurs il est cuit ou ça ne fait rien. – 16 – Tôt le matin, Tian est arrivé en vélo dans le parc de São Roque, a roulé jusqu'a une petite terrasse, a posé son vélo contre la petite rambarde de pierre grossière, humé l'odeur des arbres et tranquillement, avec application, commence sa petite séance de qi gong, jusqu'à ce que Lidia arrive en faisant teinter sa sonnette avec un thermos de thé et des petits gâteaux. Ils petit-déjeunent sur un banc, ils se sourient, tentent quelques mots, se taisent parce que ça ne vaut pas la peine de parler. Elle l'embrasse sur la joue et part vers l'hôpital. Il s'allonge sur le sol, regarde la lumière à travers les branches, il a le temps, il n'a pas de rendez-vous avant cet après-midi.
– 17 – rua do Lagarteiro, quatre hommes sur des fauteuils de plastique blanc fument des joints en silence, un peu plus loin, sur le même trottoir, un couple a sorti d'une camionnette trois bacs en plastique pleins de vaisselle qu'ils ont posé au sol, accroché des vêtements à la grille d'une boutique abandonné, la femme s'est assise sur un pliant, l'homme regarde les fumeurs, elle attend de très éventuels clients, il attend que les autres l'invitent, l'attente s'installe, personne ne viendra les déranger. – 18 – rua do Infante Don Henrique, un peu après six heures, Mãrio Coelho au pied de l'échafaudage que son équipe a déserté jusqu'à demain discute avec Novo dos Santos, son ami, son ancien patron à Paris, venu le saluer pendant ses quelques jours de vacances. Toujours le même ce sacré Novo, incapable de ne pas participer aux chantiers là-bas, il a emprunté un casque, une veste et il a fait sa part, là, tout à l'heure, semant un peu la pagaille avec ses plaisanteries, que d'ailleurs les Moussa et autres comprenaient mal, seul Tahiro, qui a passé plusieurs années à Sao Tomé et qui tente de se faire appeler Tomé on ne sait pourquoi, riait comme un qui comprend ce qui n'était pas garanti, mais Mãrio a laissé faire, pas en souvenir de leur ancienne hiérarchie mais parce qu'il savait bien que les gars, stimulés, travailleraient plus rapidement et joyeusement, sans compter que Novo, mine de rien, les observait, prêt à intervenir et corriger un geste imparfait. Maintenant, au bas de l'échafaudage ils parlent entreprise, difficulté, Mãrio se plaint, dit qu'il a eu bien de la chance de dégoter ce ravalement, que ce n'est pas aussi facile qu'il l'imaginait depuis Paris, qu'il ne sait pas s'il a fait le bon choix, mais tu comprends il y avait mes parents qui vieillissaient et puis ma femme se languissait, elle ne s'est jamais faite à Ivry, elle trouvait ses voisines froides, elle avait une patronne encore plus odieuse que les nouvelles riches d'ici, alors... et Novo lui répond que c'est de plus en plus difficile pour les toutes petites entreprises comme la sienne de trouver du chantier là bas, même les tous petits chantiers urgents, il y a une concurrence africaine qui pointe à peine mais qui commence à être et puis tous ces travailleurs indépendants, le travail au noir en plus, bon ça a toujours existé mais ça tend à devenir la norme, il hésitait à rentrer, même si ce serait difficile, il y a si longtemps qu'il est parti, tout jeunot, et sa femme et ses fils n'envisagent pas de venir vivre au pays, même le Manuel pour les dernières vacances les a abandonnés, est parti avec des amis en Norvège, il a aimé, oui... alors, bon, si c'est aussi difficile ici, il va s'accrocher encore... et puis il lui reste des clients fidèles.
14 commentaires:
C'est beau Porto... où je ne suis jamais allé non plus!
Merci Brigitte
Le marteau et la faucille résistent à la pluie.
Mais Porto serait une punition ?... :-)
c'est beau, riche et pauvre, comme ici
Dominique le marteau et la faucille un petit sourire que m'a fait hier matin ma promenade navrée dans la petite pluie froide et l'attente de l'orage (annoncé, n'est pas venu... mais forte pluie si)
Porto ça 'a musée mais là je tire un rien la langue, un sacré boulot (sourire) - m'en restent 9 de petits textes à pondre et vagues idées à trouver
"Mãrio, crispé de regret et de désir" (on visualise tout avec cette série Porto) (carrément)
La ville n'est pas faite pour la pluie
mais comme sont belles ses photos mouillées
Christine la plupart dérivent de photos de streetview (jamais mis les pieds à Porto)
mais justement le quartier snob du stade étant comme tout quartier snob vide et mon crâne étant las j"en suis restée o une frustration
Maria c'est gentil mais bon je ne déteste pas la lumière l'ombre et le sec
Un titre trompeur. Étonné de vous voir noyer votre chagrin avec le porto.
ah le porto (bon) avec le whisky mes boissons (bon beaucoup moins que le café mais presque autant que le sirop d'orgeat et le thé... quant au vin : niet ou un fond de rosé en compagnie
Je n'ai pas encore bien saisi (désolée) tes textes en ribambelle jai dû louper un post..est-ce sorti de tes livres? ou de pures imaginations littéraire.. cela me paraît pleins de détails réels pourtant grrr suis perplexe
Arlette c'est sorti d'un atelier d'été de François Bon prenant comme point de départ un livre de Bolaño où il raconte des histoires d'une page ou de quelques lignes se passant à Anvers où il n'a jamais mis les pieds (il y en a 56), la plupart des participants ont écrit 56 texts de deux ou trois lignes au maximum, moi j'avais décidé 22 textes un tout petit peu plus détaillés trouvant cela déjà très très long pour un éventuel lecteur... mise au défi je continue en peinant un peu j'avoue maintenant que j'en suis au 48... ai pris un très grand retard sur l'atelier suivant et vus n'en avez pas fini avec Porto parce que, contrairement aux douze exercices d'un truc ambitieux sur l'élaboration d'un livre que j'ai fait en grimaçant, je suis décidée à rapatrier tous les petits instants de Porto sur Paumée
Merci Amie c'est énorme en reste ébahie Bravo quel travail.de constance
loin d'être fini là (en restent 39).. et j'en ai encore près de vingt à mette sur Paumée
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