Sous un ciel qui n'était pas plus joyeusement coloré que mercredi m'en suis allée pour la place Pie prendre mes résultats
ouvrir l'enveloppe, lire, grimacer, choisir d'attendre interprétation toubib en incompréhension tranquille
et continuer vers Rosmerta, recevoir coup de téléphone de l'élève qui a pris l'habitude de se décommander, qui l'a fait, qui me convoque demain (ai dit oui en principe, on verra) et travailler avec deux garçons attentifs
avant un retour en mode absent juste avant six heures... décider de me consacrer à des petites bêtises et pour meubler Paumée, continuer à piller les cosaques pour recopier mon interprétation du conte (je constate que j'ai sauté un épisode sans importance entre les deux parties hier)
Borislava s’est appuyée au mur du fond, a commencé à taper, doucement, lentement, sur un tambourin, Oksana s’est avancée et a débuté :
«Mes enfants, aujourd’hui, l’imagination nous emmène, vous et moi, bien tenus comme par un aigle entre ses serres, par dessus les campagnes, d’Ukraine en Crimée. Voilà, nous sommes à Bakczysaraj, chez les tartares, dans le palais des Ghiray, dans le plus bel appartement du harem – regardez, il y a des tapisseries avec des croissants d’or brodés sur de la soie, de beaux tapis, des vases d’albâtre, des brûles parfums, une fenêtre au délicat croisillon ouvrant sur les terrasses blanches et les minarets de la ville, de grands sofas, du brocard, et une belle et grande femme en tunique bleue de servante qui berce la plus jolie des jeune-filles – un pied nu, un autre qui joue avec une babouche, une chemise de fine soie blanche brodée d’or, une taille fine et une ceinture cloutée de pierres précieuses, une petite veste grecque de velours rouge doublée d’hermine ouverte sur la plus délicatement pleine des poitrines, un long clou ployé au dessus de deux rangs de grosses perles, des joues roses un peu pâlies, des cheveux noirs et brillants entortillés dans un turban brodé et des cils comme de la soie baissés mélancoliquement sur de grands yeux.»
Borislava a fait un pas en avant, s’est tenue à côté d’Oksana :
«- Ô Zulma qu’as tu ? Depuis le départ de ton père rien ne t’a fait sourire, ni les histoires des esclaves polonaises, ni les chants des jeunes filles de la ville, ni les danses des captives circassiennes, mais il revient ! tu tournais languissante dans le jardin du sérail sans voir les beautés des roses, sans t’arrêter pour écouter les oiseaux, mais la ville va retrouver son khan et la joie..»
et Oksana a répondu
«- Ô Fatmé, ma nourrice bien-aimée, toi qui m’a servi de mère, oh ! je ne sais pas pourquoi je suis ainsi… Je suis heureuse de ce retour mais je ne suis plus comme une enfant qui court au devant de son père…
et Zulma a baissé la tête, joué avec un fin mouchoir, s’est tue, a poussé quelques soupirs, serré la main de Fatmé, et puis a continué :
– J’aimais rire, je chantais avec mes amies, mais j’en ai perdu l’envie, rien ne m’arrête, tout m’ennuie… (et elle a souri, un peu, timidement) c’est depuis ce retour de mon père après une campagne, souviens-toi, c’était quelques jours après mes quinze ans, il est entré avec un jeune-homme, tu sais, on l’appelait Orlenko, mon père a dit que c’était le yessaoul de l’ataman des kosaks, nous nous sommes regardés, et depuis deux ans je le revois dans mon coeur, et c’est si merveilleux, je ne sais pas ce qui m’arrive…
Fatmé a pris un air triste, et elle allait parler…»
Borislava lui a coupé la parole :
«quand un eunuque noir est entré dans la chambre, s’est incliné, tête frappant le marbre du sol, et, avec de souples, enlaçantes, formules de louanges déférentes, a annoncé, de la part de Mulej-Aga, le chef de la garnison, que le khan, Dewlet-Ghiray, s’était arrêté en Bessarabie, à Beuder, chez Orlik, le valeureux ataman (pour être fidèle aux Ukrainiens devrais dire otaman, tant pis le russe peut être parlé par des Ukrainiens patriotes) des Zaporogues, et qu’il demandait que sa fille l’y rejoigne.. et il a ajouté «grands sont ses projets ». Alors Zulma a sauté sur ses pieds, Fatmé a battu des mains pour appeler des esclaves et elles se sont affairées joyeusement pour préparer le départ de Zulma et des femmes de sa suite, pendant que les ordres de Mulej-Aga couraient à travers salles et écuries pour organiser une escorte digne d’elle.
Nous les laissons faire… et je vous annonce que, la prochaine fois, l’histoire nous emmènera, loin de la Crimée, jusqu’à la rivière de Czertomelik, sur les terres des Zaporogues.»
et donc pour continuer (mais promis ou presque en resterai là), ce qui est sur le blog des cosaques en date du 5 décembre 2013
Les deux amies se prenaient au jeu, gagnaient en assurance, soignaient presque leurs interventions, et ce jour là Oksana est arrivée avec une bandura, s’est assise près de la fenêtre, a commencé à chantonner une mélodie lente et solennelle, en pinçant les cordes, et puis a laissé le silence se reformer, pendant que Borislava (elle aurait été bien en peine d’en faire autant, de jouer de quelque instrument que ce soit), plantée devant les enfants, jambes un peu écartées, les mains sur les hanches, débutait son récit :
«Comme je vous l’ai annoncé, l’histoire reprend sur les bords de la Czertomelik, auprès des ruines de la Siez, ce qui restait de la férocité du général Jakowlew, le maudit qui a tout pillé, tout tué, après la bataille de Pullawa que gagnât le tzar Pierre, aux temps anciens..
C’était la nuit, un grand feu brûlait dans la plaine, entouré de silhouettes nombreuses, et les flammes faisaient courir des lueurs sur les faces des Zaporogues, les sourcils sombres, froncés, les bouches ouvertes sur des jurons, les têtes courbées sur la peine. Ils remâchent amèrement l’annonce que vient de leur faire, criant comme un héraut de malheur, Horosekiewicz, le porte étendard, venu à brides abattues de Bender :
– La triste honte, le déshonneur, sont sur nous, Zaporogues mes frères ! Orlik, notre ataman – maudit soit-il ! – n’est plus Orlik mais Osman-Pacha, et après-demain il doit épouser Zulma, la fille du khan de Pérékop, puisse-t-elle n’être jamais partie de Bakczysaraj !
Des bustes se sont redressés au son du sol martelé par des sabots dans la nuit… Orlanko et Dzura arrivent au galop… et le jeune yessaoul, couvert de la poussière de la route, se tient au milieu du cercle, salue les cosaques, annonce la mort de sa mère, se réjouit de son retour parmi eux, s’étonne de leur tristesse, interroge.
Il écoute, il baisse la tête, repense à ce qu’à dit la cygaine, demande des précisions. Là, au centre du cercle, au milieu des voix qui se bousculent, qui répètent les mots du porte-étendard, qui brodent sur eux, leur donnent vie, il reste immobile un moment, et parmi les cosaques assis, ou qui se pressent autour de lui, certains, ses camarades, notent la pâleur, le raidissement, les rides du front, et puis il semble se hisser, ses épaules s’élargissent, il domine, il commence, d’une voix presque basse qui fait que tous se taisent, que l’attention se fixe peu à peu sur lui,
«ô vous les anciens, c’est vous qui devez nous guider, je ne suis que l’un des plus jeunes, l’un des derniers arrivés..» et la voix enfle, le regard se fixe sur le lointain, «mais je ne peux me taire, je suis bouleversé, oppressé par la honte. Souvenez-vous de Mazzepa demandant à ses frères cosaques pourquoi ils n’osent pas être une nation, souvenez-vous de nos batailles, souvenez-vous de l’ataman Wyhowski refusant des cadeaux des polonais pour que nous restions libres, allons-nous tolérer que notre ataman se face mahométan et devienne le féal et même le gendre du khan des tartares ? Allons-nous nous turquifier ?»»
et Borislava se tait, Oksava se lève, pose soigneusement à terre, dans le silence, sa bandura, et puis, en faisant un pas vers les enfants
«alors les sabres ont-été brandis, des serments criés dans la nuit, Orlik est traité d’infidèle, la lutte contre lui est proclamée, et Ivan-Orlanko jure qu’il le tuera avant ce mariage… alors c’est le tumulte, les chevaux sont scellés, les hommes s’arment, trois charrettes sont chargées de leur maigre bagage et, en deux heures, il n’y a plus trace des cosaques dans la plaine.»
elle sourit, elle regarde les adultes debout au fond de la salle :
«et maintenant, mes enfants, il est l’heure du dîner et du long et sage sommeil..»
10 commentaires:
Faisons une provision de courage, nous en avons utilité.
Espère que la petite enveloppe ne tracasse pas trop, prends soi de toi, pensées douces de Marseille
Caroline elle est un peu inquiétante tout de même et risque (simplement risque) d'interférer sur l'avenir
Pierre, tentons
la steppe des Cosaques était un peu prémonitoire (comme mon petit article de 2014 que "l'intelligence artificielle" exhume de mon blog par une petite vignette ce matin !) ! :-)
Dominique elle était dans l'histoire qui se poursuit simplement
Oh ! Merci, merci...
trop gentille Maria, parce que avec ça je fais fuir mes derniers lecteurs sauf les très très très fidèles (et ce n'est pas bien grave)
lecture du soir avant dodo pour moi
bonne nuit Claudine
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