Matin doux en bleu
La couverture blanche
vint dans air plus frais
Ne suis sortie que dans la cour pour me débarrasser de deux jours d’injures pigeonnières. Lavage cheveux, vaquer avec modération, dormir, lire, écouter musique surtout en me promenant avec Street View, photographier trois des oiseaux survivants pour ne pas laisser Paumée totalement sans image et recopier au surplus ma contribution au #1 au cycle Gestes de l’atelier de François Bon (si famiglia passera ici, il est évident que ceci n’est pas biographique ou de très loin et que les lieux sont un rien modifiés)
Toulon, rue Mireille, en 1952 ou 1953
A cause des couleurs qui doivent rester sages et assorties aux saisons : le bleu clair pour l’été, marine pour l’hiver et le duffle-coat…robes en blanc uniquement pour les vichy d’été | et là on a droit au vert ou au rouge pour alterner avec le blanc | ou les chemises à col Claudine, et les écossais des jupes plissées que l’on inaugure parce qu’on a grandi dont le ton dominant doit s’accorder à celui du twin-set qui va encore. Rêver d’avoir enfin trente ans des jupes droites et grises, une robe en velours noir, ou rouge sombre ou prune ou d’un brun de châtaigne ; envier et dédaigner le pantalon vert criard avec une chemise jaune beuglant d’une fille d’un immeuble derrière le nôtre, une de celles avec qui on ne joue pas. Le gris ocré des immeubles plantés en biais dans la terre talée beige du terrain à la jointure entre la ville/port et le quartier résidentiel dégringolant vers la rade, face aux rambardes blanches ou aux grillages peints des jardins des villas orgueilleuses de l’autre côté de la rue qui ne se savent pas bien plus humbles que les maisons des amis, un peu plus loin, le long du Littoral. Les couleurs des branchages fleuris au printemps qui débordent des jardins face à notre vide.
Assise devant son secrétaire, ou devant une porte fenêtre, le ciel, les arbres, la mer ou n’importe quel réceptacle à sa pensée, elle tournait son visage, les épaules suivant avec un léger retard, et le sourire d’accueil pour la personne dont elle avait senti la présence ou qu’elle avait entendu montait dans ce mouvement avec une rapidité et une intensité graduées entre politesse, reconnaissance, amitié ou amour que l’on prenait comme un don. Elle mettait dans ses gestes en agissant, la précision, l’économie, la décision qui les rendaient évidents mais les prolongeait juste le temps, presque imperceptible, pour que naisse la grâce. Il lui arrivait d’ailleurs de ne garder que la grâce, et on s’amusait de sa maladresse. Si elle devait cuisiner elle le faisait avec la légère hésitation d’une fillette, mais la justesse de ses gestes démentait la gaucherie apparente. Sa main prenait, pendant que son bras se tendait, la forme exacte du visage de l’enfant qu’elle voulait caresser. Elle avait, tout en semblant prise par une conversation d’adulte, une attention silencieuse de mère-poule pour sa couvée, et ses yeux passaient une inspection aussi rapide que précise sur ses aînées. Son dos quand elle s’en allait, droit mais souple sur jambes décidées, pouvait si elle désirait la solitude dissuader toute tentative de la suivre ou interrompre sa marche. Dans le pré de la maison de vacances, plus qu’étendue sur l’herbe, s’ancrant dans le sol, s’écrasant contre lui, elle rendait un culte muet au soleil.
Il était souvent un peu en retrait, regardant à distance, muet, la vie qui se déroulait, mais il était présence sauvegarde. Il faisait de petits faits, dans ses lettres à ses enfants écrites de cette écriture penchée, étirée, des hommes de sa génération, des contes enchanteurs, Quand il revenait son vieux fauteuil club en cuir reprenait en même temps que lui sa place et il s’y enfonçait jouissant de se sentir au foyer. Il y écoutait le soir, en famille, la radio, ou commençait à écouter et nous guettions du coin de l’oeil le moment où sa pipe tomberait sur ses genoux ; il se réveillait alors d’instinct pour la rattraper, sa bouche se tordait dans un sourire et il affirmait qu’il réfléchissait. Culottant sa plus récente pipe, il en faisait, ses mains s’activant pour y verser un peu d’alcool pour l’inaugurer puis de petites quantités de tabac, tout en commentant ses gestes, un rite fascinant. Dans ses promenades avec sa marmaille, la mer, après les centres intérêt à eux dédiés, aimantait fatalement ses pas. En patriarche il se réservait la découpe des poulets ou rôtis, debout devant la table, et choisissant les morceaux pour chaque assiette tendue. Ses passages dans la cuisine, soulevant les couvercles ou piochant dans le plat en préparation, soulevait les protestations de la cuisinière ravie, mais il s’imposait pour moudre et préparer un café dont il prétendait qu’il était seul à le faire aussi bien, ce qui valait aussi pour les omelettes cuites avec des gestes presque épiscopaux. Quand n‘était pas en tenue ou vêtu pour des diners ou réceptions amicales, la première chose qu’il mettait dans une de ses poches, l’autre étant vouée à l’argent et aux cigarettes, était, indispensable, même si généralement inutile, la petite blague bleue contenant son couteau et un bout de ficelle anoblie du nom de bout, et pour les sorties à la voile sur un bateau ami, les autres hommes, d’un commun accord, lui laissaient la barre.
4 commentaires:
Par d'infimes détails tout un univers familier proche ou plus ancien ...un brin de mélancolie de ce qui a été
grand merci à toi, ô ma contemporaine (enfin en gros)
oui Dominique... et le lui qui est derrière celui posé ici ne se concevait pas sans sa pipe
La seule évocation des « vichy « à fait remonter en ma mémoire de jolis souvenirs. Une blouse rose, une autre bleue. Manches retroussée jusqu’aux coudes…. Mercredi après-midi entre copines… Et voilà que j’ai 15 ans !
Merci Brigitte !
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