Le jour s’éveille,
ciel bleu clair et pompons blancs,
reste d’aigreur dans l’air.
Vient le doux pendant charroi
de linge et de vêtements.
Mais malgré résolutions matinales, je manque de constance, m’éparpille en des riens et j’ai besoin pour l’antre, les formalités, mon moi, de me recentrer un peu et décide, égoïstement, de me déconnecter et me plonger dans le réel jusqu’au 12 ou au 13 mai je pense.
Du coup, vais être longue, prévenus êtes, et je recopie le #5, la fin de la première boucle de l’atelier en cours de François Bon
Quête d’un livre
Elle avait le goût des lectures à elle non destinées, si possible autorisées, sinon volées ou lues en cachette par morceaux désordonnés, et il y avait dans la cave du nouvel appartement au dessus de la dégringolade vers la rade cette caisse déclouée mais non entièrement vidée qu’elle avait découverte en descendant chercher, en tribu excitée mère et filles, dans la malle en bois de camphre, une ancienne tunique blanche brodée de perles, vestige de cérémonies anciennes pour en tirer un élément de déguisement | en fait le charme de ces retrouvailles avait fait que la tunique, intacte, avait été rangée soigneusement dans la penderie maternelle | caisse de livres qui n’avaient pas trouvé place dans le secrétaire, la petite vitrine du salon, ni dans le rayonnage plus intime de la chambre des parents, livres qui donc étaient sans doute confidents anciens du père et qui faisaient de cette caisse un aimant auquel elle cédait en lui rendant visites exploratoires dès que l’appartement était pour une durée prévisible en vacance d’autorités autres que celle de G3 (la troisième à porter ce nom partagé entre mère et « servantes » mais plus que ça, la moins importante ou la plus) l’indulgente chérie qui se gardait bien de ne pas accepter tout prétexte de sortie… visites qui s’étaient soldées par d’ennuyeuses déceptions jusqu’au moment où elle était tombée sur ce gros livre broché que les fouilles avaient déplacé et qui s’étalait, ouvert et aplati sur le fond, couverture absente et fils du dos en partie visibles, livre que, finalement, elle avait remonté dans sa chambre, installé derrière les chaussures en bas de l’armoire en pitchpin, qu’elle sortait de temps à autre pour assise sur son lit et un cahier prêt à le recouvrir, y picorer, fascinée par les premières pages incomplètes qui prétendaient chercher l’étymologie du mot désignant l’animal monstrueux, prétexte et héros de l’histoire tragique, ou par les pages qui se voulaient scientifiques, par certains chants de gaillard d’avant ou de chasse, par des envolées poétiques plus que par l’histoire et même la philosophie qui prétendait s’y deviner.
D’autres centres d’intérêt sont venus, elle s’est écartée du noyau, la famille a déménagé et il semble qu’à une date oubliée ou inconnue faute de l’attention dont il était privé depuis tant d’années, le livre ait disparu du bagage familial et même des esprits, si bien que lorsque, une allusion à l’histoire qu’il contait ou à cet animal quasi mythique qui était un de ses héros étant venue au détour d’une phrase dans une conversation bien des années plus tard, elle a évoqué le bouquin dépenaillé personne ne semblait même se souvenir de l’avoir vu un jour. Est-ce cet abandon ou le fait de passer visiblement une fois encore pour une fabulatrice ? le désir de retrouver ce livre, de le relire, lui est venu… livre trop ancien pensait-elle pour qu’une édition récente soit disponible et le fait est que si, dans la première librairie dans laquelle elle est entrée à Bougival en sortant de l’appartement paternel, la vendeuse consultée lui en a proposé deux éditions différentes elles venaient toutes deux, fort expurgées et débarrassées de ces pages inutiles à l’action qui étaient justement ce qu’elle désirait, du rayon de « littérature jeunesse »… et puis elle a oublié ou ce désir s’est fait de moins en moins présent, rangé dans une petite case reculée de son cerveau, revenant simplement de temps à autre lors de promenades-fouilles le long des quais et des rangées de bouquinistes, dans les solderies de livres ou au rayon occasions des poches chez Gibert Jeune.
D’autres années sont passées dans l’oubli de ce presque besoin de relecture. Quand elle cherchait des livres pour des adolescents amis, il ne figurait plus dans les rayons jeunes (ni adultes) de la Fnac… et elle n’avait pas établi avec les librairies les relations de familiarité nécessaires à des promenades-fouilles épisodiques. En passant devant l’antre d’un bouquiniste chez qui elle n’était jamais entrée, le fin couloir circulant entre des murailles de livres qu’elle devinait derrière ce qui était plus cloison vitrée sur la rue que vitrine étant dissuasif, elle est restée immobile un instant, discutant avec son jeune ami et ses yeux sont tombés sur les deux cartons déposés sur les dalles de la rue, l’un pour quelques livres offerts à qui en voudrait, l’autre pour ceux qui étaient soldés à un euro symbolique indiquant un semblant de considération, elle a repéré dans les soldés le titre sur la couverture très colorée qui évoquait un livre « jeunesse » ce qu’infirmait l’épaisseur du bouquin ; elle l’a pris en main, l’a ouvert, a constaté que manquaient les pages d’étymologie, s’est penchée pour le reposer en disant « dommage il n’es pas complet », le vieil homme, assis sur un pliant à côté de sa porte, a relevé la tête… « j’ai un exemplaire en très mauvais état de la première édition française, peu présentable mais complet, il devait venir dans les gratuits mais puisqu’il vous intéresse ce sera un euro…seulement il faut que je le cherche… cinq minutes au plus », mais ils étaient trop pressés. Par contre, comme les yeux de son ami brillaient, après lui avoir précisé que c’était un très bon livre mais plein de flots déchaînés elle a voulu le lui offrir ce qu’il a refusé, tenant à le payer et ils ont repris leur chemin, le grand adolescent portant son butin fripé comme un trésor.
Elle a vérifié et découvert qu’il y avait maintenant plusieurs éditions de traductions complètes du livre, que si les petits libraires ou la Fnac n’en disposaient pas il suffisait de le commander (ou de passer par Amazon en cas de flemme) mais pour que ce désir de remettre nez dans ces pages ne s’évanouisse pas à nouveau, parce que son budget livres était encore plus riquiqui que cela, surtout par un semblant de fétichisme, un désir de retrouver cette édition ancienne en un exemplaire aussi déglingué que celui de sa première découverte, elle est retournée chez le bouquiniste, l’a accompagné dans son dédale, a tenu ravie le presque cadavre, le papier devenu un peu buvard mais sans odeur de chou-fleur (souvenir d’un Gaffiot racheté à une ancienne au temps du couvent) et comme son désir avait fait augmenter le prix et que l’idée l’a amusée elle l’a emporté pour le prix d’un Folio neuf, l’a recouvert d’un bout de carton plié sous un affreux papier de Noël envoyé par une bonne-oeuvre, l’a feuilleté, l’a remisé dans un rayonnage, le prend de temps à autre pour un coup d’oeil de quelques minutes, juste pour localiser l’histoire du spermaceti, minutes qui se transforment en une demi-heure ou davantage, sans spermaceti, juste avec les admonestations presque chantées d’un chef de canot.
Et pour obéir à mon actuelle manie, je vous laisse avec un court poème de Michel Leiris tiré d’Autres lancers (1924 - 1968)
Poésie ?
Cette chose sans nom
d’entre rire et sanglot
qui bouge en nous,
et qui,
diamant de nos années
après le sommeil de bois mort,
constellera le blanc du papier.
10 commentaires:
L'antre-soi permet un peu de repos ! :-)
en s'occupant entre autres de l'antre
Je ne sais pourquoi votre texte du jour me renvoie à ces mots de Umberto Eco, que je partage avec vous ici :
"La notion de bibliothèque est fondée sur un malentendu, à savoir qu'on irait à la bibliothèque pour chercher un livre dont on connaît le titre. C'est vrai que cela arrive souvent mais la fonction essentielle de la bibliothèque, de la mienne et de celle de mes amis à qui je rends visite, c'est de découvrir des livres dont on ne soupçonnait pas l'existence et dont on découvre qu'ils sont pour nous de la plus grande importance."
Maria la seule bibliithèque que j'ai fréquentée, mais passablelmnt il y a une vingaine d'années était la BPI à Pompidou et je n'y allais jamais opou chercher ybn livre mais pour butiner (comme les archives des prix de Rome, des auteurs étrangers etc...
Découverte du mot « spermaceti » ou d’après le dictionnaire « blanc de baleine « , mot difficile à placer dans une conversation. Pour le texte, comme d’habitude, au cordeau.
Une bibliothèque est un jardin plus ou étendu où il fait bon butiner pour en retirer le sel de l'existence.
Pierre Nestor, mais le mot spermaceti dans un livre où l'un des héros est une baleine peut trouver sa place
jeandler ou Pierre, je n'ai pas de jardin, je n'i pas l"habitude des bibliothèques alor ma pagaille de livres peut me tenir lieu des deux
Pas familière des bibliothèques ...et fuite les obligations à rendre
Beau texte Merci Reviens viteAA
merci... nous partageons cela Arlette (le pas famimilière...
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