comme un peu avant onze heures, le sol était toujours mouillé mais la pluie si fine que quasi invisible suis sortie jeter sac d’ordures et acheter de l’eau de mer pour mon nez…
repasser, cuisine, déjeuner, courte sieste et je me suis lancée dans le #12 de l’atelier que j’ai publié avec sourire un rien honteux parce que non seulement je ne lis pas les autres (pas le temps ou pas en état d’apprécier) mais comme pour le #11 j’ai écrit une introduction bien trop ample.. après quoi me suis longuement amusée pour répondre au thème, à peu près certaine que personne ne me lirai, comme je l’étais en répondant beaucoup trop longuement au #10 que je recopie ici (êtes prévenus)
Les deux Paul
Marie Véron entre dans la pièce, laisse tomber sur la console de fer entre les deux fenêtres de la cour les journaux et enveloppes qu’elle tenait serrés contre son manteau dans l’escalier et en pénétrant chez elle, déboutonne et jette sur le large divan le vêtement , va ouvrir dans le même mouvement la porte-fenêtre donnant au bout de la pièce sur sa petite terrasse, attrape au passage une boite de cigarillos sur son petit bureau et un lourd briquet de bronze ; elle sort, penchée sur le petit cigare qu’elle allume, se redresse, secoue un peu la tête, reçoit sur son visage les rayons obliques du soleil qui descend vers la nuit, remue un peu les épaules pour entrer dans son moi, et puis, frontière passée entre la dame dans la vie et l’être dans l’abri, rentre, pose le cendrier, va trier le petit tas de courrier… jette directement dans la corbeille les enveloppes qui semblent contenir des publicités, en ouvre d’autres et met de côté une demande de fonds, lance, loupant son but, l’enveloppe du Monde Diplomatique vers la table basse, regarde avec méfiance la dernière enveloppe qu’elle avait repérée en ouvrant sa boîte aux lettres et évitée le plus longtemps possible, retourne l’enveloppe pour lire l’adresse de l’expéditeur qu’elle a déjà devinée et se décide à l’ouvrir
« Ma chère Marie,
Tu me permets de t’appeler ainsi et de forcer la porte… mal dit, tant pis je m’en moque » elle sent qu’elle tord la bouche au moins en esprit et pense : viens-en au fait.. « je vois toujours de temps en temps ton frère Edouard (tu m'as fait perdre un ami, je n’ai pas oser m’inviter à son enterrement puisque tu ne m’y avais pas convié, mais de notre période me reste ton frère), je dine parfois chez lui et il nous rend visite à Virginie et à moi. J’ai eu dimanche dernier la surprise de rencontrer chez lui un ami de son fils, un grand garçon, plus souriant que Sébastien qui a toujours l’air d’enterrer le monde et ses parents, ce qui grâce à Dieu est faux… un ami de Sébastien dont le nom et quelque chose dans le sourire m’ont fait sursauter : tu le devines je pense, c’est un dénommé Valentin Aquier qui serait étudiant à l’université d’Avignon, et qui, je ne te l’apprends pas, est fils de Paul Aquier et de sa veuve née Boursac qui fut, un temps, Marie Bard… Je lui ai expliqué ma surprise, me suis nommé, Edouard ne l’ayant pas fait, et j’ai mentionné le lien entre nous… Nous avons un peu parlé… Tu l’as bien élevé, il est clair et courtois, je l’ai bien aimé, je me demande s’il s’entendrait avec Pauline (oui ça a été une Pauline cette attente qui a provoqué la fin de notre histoire, je pense que tu l’as appris), ils iraient bien ensemble… et ils doivent être à peu près, ou plutôt très près d’être du même âge non ? Ce n’est d’ailleurs pas pour cela que je t’écris mais parce que cette rencontre jointe à une remarque de Virginie qui t’a croisée sans que tu semble la voir il y a quelque temps dans Avignon et m’a déclaré, pensant que tu habitais maintenant dans le coin, que cette brouille entre nous était stupide et qu’il était temps d’y mettre fin, m’ont décidé à te proposer de renouer notre amitié sur nouvelles bases.
Souviens-toi comme nous avons bien ri ensemble, et aussi avec Virginie que tu avais été la première à remarquer. J’ai appris par Edouard ton adresse actuelle et par la même occasion ton nouveau nom avec un résumé de cette nouvelle union ratée. Qu’en penses-tu… quant à nos enfants nous n’avons pas besoin, sans doute est-ce préférable, de les inclure dans notre cercle.
Amicalement je l’espère.
Paul Bard »
Elle plie la lettre, elle rumine un instant et puis elle rit sans gentillesse.
La sonnerie de l’interphone sonne au moment où Marie raccompagne vers l’entrée un couple d’amis, elle appuie sur le bouton pour ouvrir la porte de l’immeuble. L’homme dit « ah ça doit être votre fils… content de le saluer… » et elle sourit lèvres serrés. Depuis le seuil de sa porte au premier étage, en attente main posée sur le fer forgé de la poignée, elle les entend descendre, croiser son fils, échanger quelques mots, elle le voit tourner pour entamer la seconde volée de marches, les yeux levés vers elle. Ils entrent. Il pose au sol son sac de linge, lui flanque dans les mains un bouquet rond, l’embrasse, se recule, montre les fleurs « elles te plaisent ? » ajoute que c’est la fleuriste qui les a choisies, s’affale sur le divan, lui demande comment elle va, en la regardant vraiment, semble satisfait, enchaîne en disant qu’il a rencontré le dimanche précédent chez son oncle un curieux personnage « curieux parce qu’étrange et curieux parce que questionneur.. que tu as connu autrefois, très bien même » « je sais, il m’a écrit » « Ah ? Il te parle de moi ? » « oui, il en profite pour me proposer de renouer notre amitié » (elle détaille les syllabes avec ironie) « mais je ne suis presque certaine de ne pas le vouloir. Rien d’autre à me raconter ? ».. Et comme le sujet revient toujours dans leur conversation décousue, elle lui dit d’ouvrir le tiroir du bas du secrétaire et de lui amener l’album vert sombre à gauche. Assis côte à côte il l’interroge, commente, veut savoir ce qu’elle connait de leur amitié « ah tous les deux ils sont copains depuis l’enfance, on les appelait les deux Paul, ils étaient complices. Là, sur ces photos, Paul Bart était déjà avocat oui, marié oui, avec moi, stable et ton père revenait d’une vie d’errance et de petits aventures, se reposait un peu chez ses parents avant de reprendre sa quête de financement pour ouvrir son école de plongée… oui tout le monde se moquait de lui mais ça le laissait indifférent… oui il est beau, ça tu le sais, ce ne sont pas les premières photos que tu vois.. aussi beau que toi.. oui il est blond et oui Paul Bard est brun, ton grand père aussi… va chercher l’album blanc, c’est ta grand-mère qui me l’a donné, ce sont des photos de ton père enfant… tu ne l’as jamais vu ? Pourtant si mais tu ne t’en souviens pas… c’est vrai qu’à Arles les albums étaient dans des caisses… Regarde le bel homme qu’était ton grand père et brun presque à l’excès, cela saute des générations. Si ça t’intéresse tu sais où ils sont maintenant, range-les. Tu as un programme pour demain ? ». Et un peu plus tard « il est très gentil Paul Bard mais si tu le rencontres ne sois jamais en confiance totale. Il est un peu lourd, un peu fielleux, un peu affabulateur et très possessif ».
Une recherche dans les archives du journal local de Cassis a permis à Valentin de constater que l’annonce de l’ouverture d’une école de plongée portant le nom emphatique de « Les abîmes bleus » dirigée par Monsieur Paul Aquier est parue un mois jour pour jour après le faire-part de mariage de Monsieur Paul Aquier et Madame Marie Bard née Boursac et deux mois environ avant que sa naissance figure dans la liste des nouveaux-nés avec une photo illisible d’un truc blanc sur lequel se penchent deux profils adultes. Il n’a pas cherché, comme l’avait prévu, la date du divorce Bard/Boursac ni celle du remariage de Paul Bard, trop occupé par les répétitions du spectacle de fin d’année de son groupe de théâtre et par la certitude de son amour grandissant pour sa partenaire.
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