Lundi, ouverture en noir – vent tourbillonnant, bruits de petites chutes dans la cour – carcasse à l'unisson, vertigineuse –
l'ai emmenée jusqu'à la rue Saint Agricol pour quelques courses, l'ai ramenée debout – ai redressé plantes, avec la même constance que le vent mettait à les précipiter - la pluie a éclaté après longues hésitations – ai sombré – revenue à la surface devant ciel bleu de pierre dure, mais crâne toujours vide, et carcasse floue.
Et ne vais pas pouvoir, comme l'avais décidé le matin, parler de Christine Jeanney qui en «une heure dans un supermarché» observe des silhouettes, leur donne un nom, leur donne une vie (j'ai souvent tenté mais sans y réussir vraiment, faute de savoir me mettre généreusement dans ces autres recréés, de le faire avec les gens qui montaient dans mon wagon de métro, un par station, lors des trop longs trajets), et chacun s'en va avec ce nom dans sa vie. Décrit par ses gestes, par de petites notes sur les pensées qui le traversent, en petites touches, avec telle acuité que brièvement nous sommes près d'eux, presque eux.
Et ils se rencontrent, se connaissant ou non, et leurs vies interfèrent. Et ils ont leurs blessures, leurs souffrances. Et ils n'ont rien de vraiment extraordinaire. Même ceux qui sont à côté de l'habituel de la vie, le sont avec discrétion. Et leurs peines ou leurs plaisirs, le souci qu'ils ont de leurs enfants, ou parents, ou aimés, sont profonds et tus. Et jamais, il n'y a de violence affichée.
Une petite société qui prend vie, s'efface, que l'on reconnaît de loin au détour d'une autre nouvelle.
Chacun est introduit par une brève description qui sert de titre, d'entrée :
«au rayon Bricolage, un jeune homme grand et maigre, en veste» (et c'est un employé de banque, qui ne peut plus dormir, qui attend son ami, certain que celui-ci n'aura pas avoué à ses parents leur couple, qui est si nerveux qu'il est à deux doigts de renverser ce vieil homme, André Huot, le sculpteur que nous venons de quitter, le laissant à ses souvenirs, et puis la dernière ligne de ses quelques pages au jeune homme : «Au fait tu sais, pour nous deux, je leur ai dit hier») -
Il y a une jeune veuve (mais après ce soir, habituel, avec sa tendresse, sa tristesse et sa fille, «elle met la table et se traverse de peine», Christine lui offre une rencontre, plus tard) - de vieux couples aux liens plus ou moins usés, les petites incompréhensions et puis «Il la regarde, ses cheveux blancs, leurs reflets violets, les lobes de ses oreilles tout ronds, si charmants, avec les petits diamants roses qu'elle porte» - la secrétaire d'une agence de voyage qui rêve de partir - le père d'un petit garçon autiste, avec son amour et sa crainte d'être maladroit (et il est le facteur que tous connaissent de vue et parce qu'il est serviable) - une jeune fille qui aime un homme qui n'arrête pas d'être marié - un jeune ménage bigarré joyeux et généreux qui attend un bébé - une adolescente aux parents si présents - un chat qui circule entre appartements - un homme qui finit par rompre sa solitude et appeler son ex-femme pour dire cette maladie qui l'a investi, etc...(ils sont dix-neuf, et plus à cause des leurs, mais le chat n'en fait pas partie, il n'est que circulation) et Christine qui les voit, les fait vivre, leur donne ses mots, souplement, au plus près, et des sourires.
Et je suis désolée, je n'ai pas su.
Juste ça : elle est une fée qui peut les charger de soucis, de peines grandes, mais qui leur offre toujours une issue.
P.S. http://fut-il-ou-versa-t-il.blogspot.com/2010/10/une-minute-dans-le-supermarche-de.html?utm_source=feedburner&utm_medium=twitter une minute dans le supermarché, présentée par Christophe Sanchez
11 commentaires:
Merci d'avoir quand même trouvé la force de nous donner à aimer Christine Jeanney!
Renforcez vous aussi, vous..
un bien joli cadeau pour la fée Christine !
Cette ouverture en noire est magique. Bon repos à toi !
Ah c'est fait et bien fait, dit et bien dit. Beaucoup aimé ce recueil.
oui c'est bien, bien ça.
et de mon petit toît,le soir quand tous ces toîts s'allument à l'horizon je me demande toujours comment tous ces gens arrivent à vivre ensemble en si petit espace
Sale temps, hier.
Même exercice dans le métro, quand il n'y a pas trop de presse
c'est un très bel écrit qui donne envie d'en lire plus...
merci bien
de ce qui semble une impasse naît un texte...
J'ai écrit plusieurs textes à propos de mon supermarché, je vais tâcher de les retrouver. Merci pour le rappel.
dans le recueil de Christine Jeanney le supermarché n'a qu'un rôle très minime, juste celui d'un lieu où les gens du quartier passent, mais on en sort tout de suite, et c'est la vie autre que les achats qui est décrite
et aussitôt dit, aussitôt fait : sur un des blogs de Joye, deux histoires de supermarché http://jojofrance.blogspot.com/2010/10/grocery-stories-i.html et suite
Un microcosme toujours pressé en ce lieu !
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