Mes ongles ne sont pas assez longs, ou mes doigts plus assez agiles, mais ce n’est pas grave, j’ai le temps. Ils parlent autour de moi, mais je ne m’attache qu’à cela : dégager les petites dentelles coincées dans la spirale, restes des pages que quelqu’un, peut-être moi, a déchirées. Et ce qu’elles contenaient n’a pas d’importance, comme n’en ont aucune les pages restantes, ni savoir ce qu’est ce carnet, à qui il appartient. Sans doute à moi, ce que l’on dit moi, puisqu’on me le laisse.
Elles sont démoniaques ces bandes - j’ai essayé de frapper le carnet, verticalement, sur un de mes genoux - j’ai passé une des piques plantées dans mon chignon dans le couloir de métal, mais il en reste deux, accrochées de toute la malice de leurs petites barbes, qui me défient. Je regarde, je réfléchis.
Une voix « mais que fais-tu ? »
Et, sortant de moi : « J’aime démêler les lignes de palangrotte »
« Quoi ? »
Oui c’est vrai, ils ne comprennent pas, jamais.
« Oui » et en redressant la tête parce que cette voix me rappelle… « Tu te souviens ? » et j’entends un petit rire qui doit être mien.
Silence, un peu et puis la voix « ah oui ! Je me souviens, maman me racontait ».
« Maman ?»
« Voyons, Bi, elle nous a quittée. » et puis gentiment : « C’est vrai, vous étiez amies depuis si longtemps » et le visage rose en face se fige un peu, attentif ?
Je jubile, ou presque. Je me suis trompée, bien sur, mais si peu. Et puis je me répète, parce que s’ils le disent c’est vrai, au moins pour eux : « Jeanne est morte, Jeanne n’est plus là ».Et cette phrase que je n’aime pas, qui ne me va pas : « C’est pas croyable comme tout disparaît »
Endossé un imperméable et partie faire renouveler mon ordonnance, fuyant une exégèse savante de Wodehouse sur France Culture, qui le vidait de tout son charme (ce qui me semble impossible). Le ciel se trouait, j’ai pris l’imper sur mon bras, si le soleil ne caressait pas, la chaleur elle était là, ou presque.
En sortant j’ai hésité un peu, puis décidé d’aller voir l’exposition d’été de Vouland, ce qui était assez inutile, les céramiques de Picasso sont bien entendu pleines de verve et parfois mieux mais ce n’était pas une découverte et le musée a le charme que pourrait avoir une très pale et petite copie de mon cher Nissim de Camondo, mais le prix du billet et la demie heure de visite ne se justifient qu’une fois. Il y a tout de même l’atmosphère d’une demeure de grande bourgeoisie éclairée, beaucoup de choses d’assez belle qualité, des tapisseries, des « chinoiseries » que je n’aime pas (alors que j’ai du goût pour l’art chinois), quelques jolis Moustiers, des Veuve Perrin assez beaux, des tableaux dont une jolie petite marine hollandaise du 17ème et, parmi de très honnêtes meubles, une somptueuse (un peu trop) armoire hollandaise, une commode de Migeon et une belle table de changeur.
2 commentaires:
Wouaou ce blog est un nectar.
"J'adore démêler les lignes de palangrotte" Démêler une ligne est une activité totale. Il y faut l'oeil, la main, la tête. On peut s'y évanouir, y disparaitre. Zazen. Y réapparaitre un peu plus grand.
« C’est pas croyable comme tout disparaît »... effectivement pas plaisante la phrase... surtout quand on s'aperçoit que sa "livebox" et son "internet" hors service peuvent vous laisser hors la toile... Je vous retrouve donc avec plaisir après un silence radio de quelques jours !!
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