commentaires

désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

vendredi, mai 22, 2009

Il restait planté, comme figé, contre un piédroit du portail, scrutant la cour, et cela lui donnait, pour un regard inattentif, un air un peu imbécile, comme stupéfié - et l'on pouvait penser, devant ces vêtements las et ce corps un peu lourd et tassé, que c'était à cause de l'élégance de l'endroit, l'évidente ancienneté de cette opulence calme, en s'étonnant, pourtant, qu'il soit sensible à cette discrète qualité, qu'il soit capable de ce jugement - et puis, si on s'attardait un peu sur lui, au risque de paraître l'épier, s'autorisant à le faire en partie à cause de cette supposée insignifiance, et, le pensant fugitivement, on ne réalisait pas que, pour qu'on l'observe, cette insignifiance, il fallait à son étrangeté une curieuse puissance, en partie parce qu'il était à ce point absorbé que l'on sentait que le regard fixé sur lui lui était indifférent, qu'en fait il vous niait, on pouvait remarquer la précision calme avec laquelle ces yeux légèrement plissés parcourraient les pierres, les feuillages, s'attardaient sur le pylône de la fontaine sans eau, ou sur les noeuds des racines des grands platanes, comme pour prendre note de leur aspect, et puis - et le garçon qui l'observait depuis les marches de la véranda, eut un petit sursaut un peu indigné en se formulant cela - se les approprier, avec la tranquille autorité que lui aurait donné le sentiment de sa légitimité.
Et son attention était telle, se fixait avec une telle insistance sur un détail après l'autre de ce qui était là, cherchant à retrouver dans sa mémoire, par delà le travestissement que les années avaient imposé à tous les éléments de ce petit univers, leur ancien état un peu plus décrépit - et même la vigne vierge qui devait être la fille de celle qui aurait du être sauvagement emmêlée, un peu ternie aussi par le souvenir de sa détresse juvénile, semblait maintenant peignée et brillante, revenue à son rôle de parure -, avec une telle précision qu'il n'avait plus conscience de l'espace de la cour, réduite à une juxtaposition d'images anciennes et actuelles superposées, et encore moins bien entendu de la présence du garçon qui, comme il s'ébranlait, se secouait, avançait une jambe à l'intérieur des limites invisibles, est venu vers lui, s'est arrêté souplement, avec une trace presque imperceptible de déférence, a souri
- Bonjour Monsieur
- Excusez moi. Vous... - et puis, le regardant - Pouvez vous me dire qui habite ici ?
- C'est un hôtel, Monsieur,
Un pas en arrière, tête levée vers la pancarte
- Ah, oui
Il hésite un peu, et puis il fait volte face et s'en va, se retournant une dernière fois pour voir le garçon qui le regarde partir, jambes un peu écartées, les mains nouées dans le dos.
Que les mânes et propriétaires à travers les âges de l'hôtel d'Europe me pardonnent cette instrumentalisation,.

4 commentaires:

arletteart a dit…

Il aurait pu oser dire ....
Monsieur , ici est restée une partie de mon coeur ..

Michel Benoit a dit…

Je pensais que son nom actuel était une dérivation de son nom primitif : l'hôtel de Ropp...

Sylvaine Vaucher a dit…

Depuis les odeurs ont dû changer ! Un beau texte à lire sans se retourner.

joye a dit…

Merci, brige, pour ce beau moment, qui est, pour moi, d'outre-monde.