Je n'ai pas de maison, je n'ai jamais eu de maison.
Mes parents non plus n'ont jamais eu de maison, je veux dire possédé de maison, mais nous disions "à la maison", et ma mère en avait fait l'endroit où tout le monde, dans notre adolescence, se retrouvait, il me semble me souvenir que c'était ce que je constatais, quand j'y revenais pour des vacances, plutôt que dans les vraies et parfois grandes maisons de nos amis. Et la smala y vivait, s'engueulait, s'aimait à ne jamais rompre les liens, à avoir chacun ses souvenirs qui se reboutent parfois, et il y avait des passants que je regrette.
Mes soeurs ont des maisons, et pas uniquement parce qu'elles ont maris, enfants et amis. Elles ont des maisons ouvertes et où les habitants sont bien, des maisons personnelles, belles; accueillantes et qui bercent. Ne semblent pas se donner du mal pour cela (mais s'en donnent). Et les détails semblent naturellement harmonieux, presque hasardeux - on salue la justesse du hasard. Et il y a un petit bouquet dans la chambre, ou un livre, et des libertés mises en commun.
Je ne suis pas aussi douée et plus paresseuse, et suis seule (peut être pas sans rapport)
J'ai eu des antres, que je pouvais reconstituer facilement, avec un livre, un foulard - qui se fermaient sur moi comme une coquille, et où je me lovais. Et je m'en désintéressais à l'excès, mais les aimais bien, honteusement.
Pour la première fois, ici, il m'arrive de regarder ce qui m'entoure autrement que comme un prolongement de moi, y compris de mes défauts, pour la première fois j'ai la place de circuler, peu mais circuler, et j'aime bien cela et de m'en occuper (avec ma sacrée maladresse, mon manque de force et de technique), de jouer à la normalité, de la peupler d'autres senteurs que celle du tabac, et au début l'endroit m'a ressemblé un peu et je n'avais plus honte d'y laisser pénétrer autrui, même si plus personne, ou très rarement, maintenant, passé la première année, ne vient, ne s'arrête chez moi, parce qu'il n'y a que moi à y trouver et que l'on peut m'inviter.
Mais je crois quel que soit l'endroit j'ai toujours pensé "chez moi.", pas uniquement par automatisme. D'où il appert qu'habiter, sentir que l'on habite, et dire chez moi, n'a rien à voir avec l'idée de maison.
Résumé : suis très piètre maîtresse de maison, suis pas maîtresse d'ailleurs, suis habitante; suis murs.
Marchant dans mon quartier, je me suis rêvée en des endroits. J'ai admiré cette cour, j'aurais aimé la traverser, parce qu'elle n'aurait pas été à moi mais à une famille aimée, et j'aurais eu plaisir à y passer, à m'asseoir un peu au soleil en fin d'après midi, et une chambre un peu à l'écart me serait réservée, et elle aurait été faite pour des mots paresseux.
Il y avait cette fenêtre, une pièce insolemment perchée sur un fronton, et j'y installais une blancheur simple, une ample cellule avec grande tache de soleil à certaines heures, qui pouvait se dessiner sur le carrelage et baigner une partie des murs, parce que l'hôtel en face, de l'autre coté de la rue, n'était pas trop haut, un peu en contrebas, mais justement il était là, le store était indispensable, et cela me gênait. Il y avait plutôt, alors, l'élégante simplicité de ce coin de terrasse entre deux immeubles, ouvert sur la rue, sans que les regards puissent le fouiller, mais qui accueillait la lumière. Je l'ai bien aimé, et puis me suis vue, en imagination, rampant pour garder mon intimité.
Suis rentrée chez moi.
Suis rentrée chez moi.
12 commentaires:
chère Brigitte merveilleuse écriture comme toujours. quel privilège de suivre le poésie de vos jours.
J'aime cette idée,le chez moi ce n'est pas nécessairement une maison.
J'aime le balcon dans le ciel. J'ai toujours habité dans le ciel métaphoriquement et autrement.
merci.
HUGS
C'est le premier chapitre ? Mais de quel livre déjà ?
Brigitte...en vous lisant j'ai l'âme qui pleure, le corps qui se replie à l'intérieur de mon cœur, et mon chez moi qui s'ouvre chez soi. Je dis toujours quand je ferme les yeux...que je ferme mes stores...les volets sont restés dans mon enfance où je n'étais nulle part mais ailleurs ! En tous les cas pas bien sous leur toit.
Certains ont des maisons/prisons avec de hauts murs, inviolables même de la vue..quelle horreur !
je serais assez de cette race - affreuse, non ?
On est ce qu'on est, mais aussi ce qu'on a et ce qu'on n'a pas.
Bonheur de voir qu'existe ailleurs ce qui nous est impossible et que pourtant.
Que ça dure, non ?
Ces murs donnent de l'ombre à la mémoire. Ils sentent les larmes silencieuses.
Belle description d'un chez soi que l'on n'est pas obligé de posséder et beaux souvenirs d'un chez soi investi par la smala....
Ta terrasse emplie de verdure attire les fleurs des lauriers roses qui se penchent vers toi. Belle visite !
Je vous suis, c'est tous les jours un rendez-vous, merci.
" Il restera toujours une fenêtre où se pencher,
Des promesses à tenir
Un arbre où prendre appui."
Andrée Chedid
D'où je suis ,je ne les entends plus, les cigales sont-elles là ?
Une belle maison c'est avant tout une belle façade, mais celui qui l'habite ne jouit guère de sa vue. Ce sont ses voisins qui l'apprécient le plus ! Posséder n'est pas tout...
Il me semble très bien qu'une Reine ne se soucie pas de son château, où qu'il se trouve ou que soit son matériel.
Excellent texte, brige, il m'a beaucoup plu !
J'aime beaucoup ce texte!
Nos maisons nous ressemblent, n'est-ce pas?
Enregistrer un commentaire