Au bout de la rue, il y avait le désir de découvrir ce qui se dissimulait derrière cette palissade un peu étrange, soignée, avec l'évidence de sa perfection sans atteinte ni traces d'âge, étrange oui, un peu, par sa construction insolite, ce tissage, cette muraille de planches horizontales, rousses, leurs faces travaillées, avec des nervures en rives, se superposant entre des poteaux, comme des remplissages de briques minces entre des piles de ciment, très hautes, avec, aussi, le réseau fin de branchages morts, plantes que l'hiver avait essentialisées, ramenées à leurs squelettes, qui semblait coudre les lattes, dessinant à leur surface une dentelle grise. Et les feuillages persistants, le vert des panaches résineux qui s'élançaient au dessus, avec juste le contrepoint d'un bouquet de rameaux d'un blanc grisâtre, étaient si serrés, triomphants qu'il semblait improbable qu'il y ait, dans cet enclos, place pour quoi que ce soit d'autre, bâtisse, clairière, chemins autres qu'un serpentement étroit entre les troncs. Au cours de mes premiers mois dans cette ville, à chacun de mes passages, je restai un moment immobile sur le trottoir, essayant de deviner, au delà de l'impasse qui la longeait sur la droite, quelle était l'étendue du terrain, son ouverture, imaginant une longue façade qui borderait une autre rue, plus loin, peut être beaucoup plus loin, et derrière la maison, se succédant, pour la promenade ou pour y faire errer des regards ennuyés depuis une porte-fenêtre, une terrasse dallée, avec peut-être l'ombre d'une treille, un espace de terre battue, avec un bassin, une ou deux mauvaises statues se désagrégeant, et des parterres de plantes grasses et fleurs aussi mal tenus que cette clôture, dressée après le petit bois de conifères au fond du jardin, en marchant vers moi, était autoritairement récente. Avec le temps j'ai renoncé à savoir, ne l'aurais plus voulu, et d'ailleurs ne voyais plus l'enclos que comme un repère sur mon chemin.
Au retour de courses matinales dans mon quartier froid de vent, sa noblesse, son opulence qui pousse par endroits fatigués la discrétion lasse jusqu'à la détresse comme un rappel, mais sans perdre sa robustesse, pendant que le déjeuner cuisait, je suis enfin arrivée à enchaîner quelques mots, mal ou bien, avec ou sans intérêt pour le futur convoi des glossolales http://leconvoidesglossolales.blogspot.com et j'en ai décroché le bidule ci-dessus, en le rectifiant un tantinet.
Avignon s'offre pour occuper un coin d'hiver, son petit festival des « Hivernales », avec un programme qui me tentait bien, mais me suis contentée de spectacles proches, dépassant d'assez peu mon budget et ne sollicitant pas trop carcasse (d'où l'abandon navré de ce qui se donne au théâtre des Hivernales, à une exception près à titre de pari, à Benoit XII et, à plus forte raison, à la Chartreuse ou à l'auditorium du Thor, faute de voiture)
et m'en suis allée samedi soir, après avoir vibré en écoutant sur le site de l'équipe, le match Frnace-Irlande, dans les hauteurs de l'opéra, assister à la reprise de « "Daddy I've seen this piece 6 times before and I still don't know why they're hurting each other" de la compagnie de Robyn Orlin, essayant de retrouver à travers un souvenir très brumeux quel était le spectacle que j'avais vu, longues années il y a, dans les couloirs du théâtre de la Cité international. Il ne semble pas, d'après les articles que j'ai consulté que ce soit le même.
Bien entendu, en lisant « Les spectateurs, auparavant rassemblés autour du ring dressé sur scène, s'amuseront depuis leurs sièges du théâtre à l'italienne, des performances des danseurs-acteurs dans l'attente de leur chorégraphe qui n'arrivera pas. » me revient un souvenir, mais d'un Woyseck, sans aucun rapport.
Et sortant du spectacle, je me dis que le seul rapport entre lui et ce que j'avais écrit là est d'être aussi déjanté. (et ring n'y avait point, juste un espace carré marqué au sol)
Presque aussi jubilatoire que je l'espérai (quelques baisses de rythme qui font penser fugitivement à de la complaisance, et puis on oublie. Beau souvent (la grande silhouette sculpturale (d'autant plus grande que sous le long fourreau rouge la danseuse est juché sur un escabeau-) et l'effeuillage des robes rouge donc, noire puis dorée, entrecoupé de dialogues absurdes. Toujours cassé, démonté – les moments de grâce se défaisant, se parodiant, les clowneries ne tuant jamais une certaine beauté – les sur titres décalés et ironiques, commentant, critiquant, plaidant l'indulgence, mais ne traduisant bien sûr rien parce que « ils improvisent tout le temps et ça va trop vite » - l'irruption d'un groupe de danseuses « orientales » avignonnaises – des petites notes de sociologie et de politique embarquées dans l'apparente pagaille. Un grand plaisir de la salle. Un peu de chaleur bienvenue pour une Brigetoun gelée à en trembler nerveusement en arrivant, transie en partant, dégringolant très vite vers son antre et une station devant le radiateur.
9 commentaires:
Mais c'est quoi cette couleur toute en haut de la page ?!?
;-)
Daddy, I've seen this match before, tell me again why they're playing it over?
;o)
magnifique paragraphe embarqué pour les glossolales. Oui, il y a des lieux ainsi qui suscitent en nous des interrogations, des lieux qu'on frôle, de manière répétitive, presque obsessionnelle, qu'on se dit durant des lustres qu'on va photographier parce que, quand même, cette curiosité qu'ils suscitent vaut bien une histoire, tant à chaque fois l'esprit déclenche la petite machinerie à conter et s'y délecte, puis vient le manque, celui d'un fil trop court pour être suivi, ce n'est qu'un décors ou bien plus, et où commence la curiosité peinte et où finit l'imaginaire nécessaire?
J'aime vraiment beaucoup ce petite tableau d'un coin de palissade, oui.
Les façades, aussi belles soient-elles, sont quand même... des murs.
C'est fou ce que tu nous emmènes loin dans ton écriture et dans tes photos toujours agréablement surprenantes. C'est comme si on était dans ta tête en parcourant Avignon avec tes yeux !
Je suis stupéfaite par la deuxième photo que je trouve particulièrement très belle. Comment dirais-tu dans le sens inverse, un truc du style "je suis jalouse". C'est faux évidemment, mais j'aurais bien aimé la faire quand même !
Bravo, Brigitte !!!
Et dire qu'il n'y a pas si longtemps que cela, tu voulais arrêter ton blog !
"Bin" oui Brigitte, je t'embête, mais c'est pour ton bien !!!
La chaleur partagée des autres... Elle rejaillit. Elle manque à notre époque.
Après tout cela (troisième photo : on dirait la petite rue Cigalon, à Uzès, avant "l'enterrement" des fils téléphoniques), on retrouve le radiateur, il nous manquait !
"Elle" se repose,dévoilée, un peu recroquevillée sur des billets.. périmés??
Derrière la palissade le mystère reste entier
J'essaie de déchiffrer ta dernière photo, une espèce de vache maigre assise ?
un gros problème avec mon appareil qui refuse tout flash de nuit - réglage à revoir
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