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désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

vendredi, février 05, 2010

Pour demeurer enfin quelque part


Pourquoi nous en aller alors que les nécessités qui talonnent ceux qui n’ont rien ne nous y obligent pas ?


Lorsqu’il arriva dans les parages de ce qui devait lui apparaître presque aussitôt avec les traits de l’accompli, il se mit à croire. Croire qu’il avait rejoint le pays rêvé dans lequel il allait désormais vivre, un pays sans heurt et sans couture, avec dedans le silence, l’herbe, les couleurs, les plis des pâturages, quelques habitants, guère plus. La modestie des lieux, leur étrangeté convenue, leur retenue aussi, tout concourait à le retenir. C’était un dimanche, l’invitation semblait ferme. Sa décision fut irrévocable. Quand bien même aucune place ne lui était destinée et que personne ne l’attendait, il conçut le projet d’y demeurer, proche des lisières, à l’autre bout des préjugés, sans rien toucher. Il se fit un nid de fortune et vécut là sans que rien ne lui appartienne.


Il voulut maintenir le pays à bonne distance de son coeur pour en disposer toujours. Mais rien n’y fit, ni les égards ni les ruses. Il s’en éloignait à mesure qu’il y demeurait, incapable de résister aux habitudes qui se glissent dans nos vie – alors qu’on s’était promis de tout faire pour leur interdire l’accès. Il avait l’impression de disparaître à l’intérieur de ce qu’il voulait protéger, comme le fer des clôtures que les arbres avalent. Pris au piège au coeur de ce qu’il avait voulu laisser intact, il se mit à rôder pour retrouver plus loin dans les prés, plus profond dans les bois ce qu’il avait laissé filer, il emprunta le chemin des pâtures en grignotant des biscuits de sésame, s’enfonça dans les ronciers, cartographia les bois, épuisa les carrefours, leva des plans. Il s’y employa avec passion mais c’en était trop, il ne put rien contre les attaques de sérieux dont il lui fut de plus en plus difficile de se déprendre.


Le paradis escompté fondait et ce qui l’avait amené à jeter son dévolu sur ce pays le fuyait. Il ne renonça pourtant pas et s’enfonça plus loin encore dans les bois, il allait à petits pas, ne désespérant pas de rencontrer ailleurs ce qui lui avait filé entre les mains près de sa demeure. Mais c’est l’empire du familier qu’il cadastrait par cercles concentriques, il tirait derrière lui des ruines, comme le parachutiste son barda, il s’empâtait et la peau de chagrin qui grandissait sous ses pas allait l’étouffer.


Il faudra un imprévu sec, l'implacable, la maladie d’un enfant et le sentiment d’abandon qui suivit pour endiguer cette crue. Un matin avant l’aube il infléchit le destin en déposant l’inadmissible dans une mandorle, rendant vie à ce qu’il avait voulu taire ou tout au moins tenir en laisse. Ce jour-là il écrivit pour la première fois, des mots qui le font trembler encore aujourd’hui.


Cette mandorle est toujours là, c’est la porte par laquelle chaque jour ouvrable il quitte un bref instant sa demeure pour retrouver cette autre demeure d’où il considère intact ce qui n’a jamais disparu, le pays de la première heure dont on s’éloigne immanquablement lorsqu’on veut vivre – et on le doit – avec les siens. Il s'arrête d’aller, ramasse un tesson, une miette, celle qui est là ou une autre, pour retrouver dans la mesure de ses moyens, de mot en mot et de proche en proche, comme une prière, le lieu d’où il vient et où nous ne serons bientôt plus, improbable mosaïque, petits voyages successifs, collier de babioles.


Dans cette autre demeure – en est-il d’autres ? – , on n’est presque rien, un filet d’eau, une rumeur transparente, à peine une ombre qui passe, assez maigre pour ne plus faire écran à ce qui fait la joie d’être: pays sans heurt et sans couture, avec dedans le silence, l’herbe, les couleurs, les plis des pâturages. Voici la montage de Lure, la Pierreuse, la dent de Brenleire, le ballon de Servance, voici l’Aigoual, le mont Amiata, j’y suis depuis le début, j’y reste jusqu’à la fin, pays non plus rêvé mais pays de la première heure, de nulle part et partout à demeure, j’y suis comme un plus qui ne compte pas. Ici chez vous ou là-bas chez moi, quelques instants de veille sur un monde qui va qui va. Nous sommes des surnuméraires et c’est bien comme ça.

Jean Prod'hom


aujourd'hui « Paumée » a le plaisir de profiter de ce texte de Jean Prod'hom de http://www.lesmarges.net/files/0f00481cf36777e636538a9db932136c-833.html qui accueille Brigetoun petiote.

« Tiers Livre et Scriptopolis sont à l'initiative d'un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d'un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. »

liste des vases communicants de ce mois (lecture certainement délectable) ci-dessous

18 commentaires:

Brigetoun a dit…

j'aime la façon dont c'est dit et j'aime le prolongement dans ce qui n'est pas dit

cjeanney a dit…

j'aime aussi.
et les " le fer des clôtures que les arbres avalent". Et "Dans cette autre demeure on n’est presque rien, un filet d’eau"...Merci.

MATHILDE PRIMAVERA a dit…

Je ne suis pas fan, mais on ne peut pas tout aimer.
En revanche j'aime que tu sois là et je suis heureuse de cette décision !

Brigetoun a dit…

va me lire même si tu ne peux pas commenter, pour me faire plaisir, promis c'est très court

Angèle a dit…

Comme je ne peux pas commenter chez Jean P., je m'assieds moi aussi derrière la porte, je reconnaîtrai ton pas dans l'escalier... je t'attends...

MATHILDE PRIMAVERA a dit…

ah oui, j'en viens là, j'ai adoré, c'est tellement ça cette attente de cartons dans l'inconnue maison qu'on essaye d'apprivoiser ! Toujours un grand moment étrange rempli d'un tout petit peu d'inquiétude mêlé à une grande excitation et de jolies rêveries !
Je me rappelle de mon emménagement à Bordeaux, où la maison vide ou si peu remplie à part un matelas à même le sol, une table qui n'en était pas une mais qui en faisait office avec une planche en aggloméré et deux traitaux, deux trois assiettes ébréchées, quelques malheureux cartons encore non ouverts, 15.000 plantes vertes dont 5000 bonsaïs, j'étais assise sur les vieilles marches en bois de l'escalier de la maison à 6 heures du matin car mon conjoint était parti travailler peu avant et j'attendais dans le noir que le jour se lève car l'électricité allait se mettre en route dans la journée seulement, dans un état proche du vertige au bord du précipice, mais avec la joie de la découverte fabuleuse de tout l'espace devant soi !

MATHILDE PRIMAVERA a dit…

"où dans la maison vide" et pas "où la maison vide"

Brigetoun a dit…

un cran cru encore, je n'en sors pas - vais continuer à jouer les mouches du coche (si ça continue je tendrais la main pour la pièce) et tenter de faire un résumé de me impressions - profité migraine pour remettre rv gastro cet après midi

kathie a dit…

habiter une maison, habiter un pays, être habité, densité de ce qui est écrit ici et là dans cet échange, j'aime vraiment beaucoup

joye a dit…

Bravo, une belle expérience !

Merci !

Brigetoun a dit…

j'aime vraiment beaucoup l'évolution de la présence dans ce texte

arlette a dit…

Tranche de vie , quand tout est encore possible dans la maison vide ... intéressant , ces vases communicants ou vases "communiants"

Anonyme a dit…

J'ai appris la mandorle, merci !
et l'imprévu sec, j'aime aussi ...

Brigetoun a dit…

grand merci en notre nom à tous deux

Frédérique M a dit…

Il y a une vraie correspondance dans vos deux textes. Etait-elle voulue ou fortuite ?

Brigetoun a dit…

un échange de message pour le thème général (à partir de l'idée des vases" arriver, habiter, s'installer avec possibilité de prendre ça de très loin ou allusivement

JP a dit…

Ecrire c'est si difficile, vivre aussi, chez soi ou ailleurs, Chez vous, je l'ai fait, et je suis fier comme un enfant.
Vous remercier pour ce mois de janvier, cette dernière semaine, c'est idiot, il y a la neige ici. Je me réjouis de la lumière lorsque je n'aurai plus besoin de l'attendre le matin avant d'aller au travail. Vous aussi, je sais, je l'ai lu, vous l'attendez sur les murs d'Avignon.
Je ne comprends pas tout – je me dis pire des fois  – et puis je me dis aussi que ce n'est pas plus mal. Personne au fond ne m'a appris ce qu'il fallait faire. Et je le fais chaque jour, un peu à côté. Demain je ne rougirai plus.
Si je vous dis merci ainsi ici, Brigitte, c'est parce que je suis incapable de le dire ou de l'écrire ailleurs, incapable d'ouvrir une place pour des commentaires sur "Jours ouvrables", et, je le crains, je ne le ferai pas. Quel temps me resterait-il pour vivre là où la boue me retient, seul ou avec les moineaux.
Remuer ou demeurer, c'est tout un, je l'ai appris avec vous : Trifouiller, vaincre et entrer. Poser. Aller, ouvrir. Chercher, poser, regarder. Chercher, sentir. Dire. Ecouter. Aller s'appuyer. Tâter, caresser, donner. Glisser, s'asseoir. Sourire. Attendre... Aimer cela.
J'aurai ainsi écrit chez vous avec vous tout cela et, malgré d'énigmatiques injonctions, un peu pour vous.
Amitié

Brigetoun a dit…

merci - immérité par moi, mais merci