À la fin de l'été, dans les derniers jours d'août, avant la saison des orages, un peu plus chaque année, je ne supportais plus le village du lac, les prés, les montagnes derrière, et surtout la troupe d'enfants dont j'étais, disait-on, l'ainée, alors que bien entendu je n'en faisais pas partie ou plus, depuis longtemps – et d'ailleurs quand j'étais enfant, quand les cabanes, l'accompagnement des vaches, les longues marches programmées, m'enchantaient, eux, ils n'existaient pas, ou du moins pas tous – je n'avais plus même envie de roder à la lisière du groupe des femmes, mère, grand-mère, tantes, qui, là, ensemble, ne parlaient plus que de sottises. Alors je laissais le commandement de la bande à Bernadette qui, d'ailleurs, l'avait pris, et comme il y avait longtemps que j'avais épuisé les livres du grenier, comme je n'envisageais pas, à aucun prix, les lectures proposées par ma grand-mère, j'allais au fond du second jardin, le grand enclos de l'autre côté de la route, derrière les haies, près du tas de fumier, mais à distance, un peu, devant le mur et je restais là, ruminant, comptant les heures avant la nuit, les jours avant le retour chez nous, au sud, vers la mer, les longues soirées au dessus de la plage, les brèves retrouvailles avant les départs en pension. Et puis je regardais les nuages, avec un peu de plaisir paresseux ou un désir d'injures s'ils devenaient trop nombreux et annonçaient un regroupement obligés dans la grande galerie, tremblante au centre du groupe de petits corps terrorisés, ou, baissant les yeux, regardant devant moi, les vieux troncs, les branches dégarnies, noueuses et noircies, des poiriers morts, et peu à peu il n'y avait plus que ces bouts de bois liés au mur, avec leurs angles, j'essayais de les dessiner, ou je les voyais prendre vie, se métamorphoser, et dans leurs lignes serpentantes, dans leurs brusques angles comme des coudes, je voyais un corps de ballet composé de vieilles ballerines se survivant.
Ce n'est pas poirier en espalier, et ce n'est pas mort, mais c'est ce dont je dispose, et que j'avais un peu oublié en écrivant, par contre je découvre une certaine ressemblance, en plus ferme, avec mes bras.
Murielle pleurait - et ne le voulait pas, du moins en public - est allée s'assoir au bord du ruisseau, pas sur la rive souriante au fond de la prairie-gazon qui s'étendait, entre les hautes et inégales bordures de buis, sous la terrasse de la maison, mais plus loin, en se frayant un passage dans les buissons, les bouts de terrain voués aux orties, plus loin encore, en suivant le petit coude du courant, en dépassant la terre sèche et les carcasses d'appareils, pots ébréchés, le chemin venant de la cuisine jusqu'à l'étendoir, en escaladant un mur écroulé, jusqu'aux pierres plates, petite zone chauffée par le soleil entre les arbres, clairière dans le bosquet qui équilibrait la maison lorsqu'on la découvrait au bout de la grande allée, en arrivant. Elle s'est assise sur une pierre doucement polie comme une dalle, et les larmes se sont pressées voluptueusement, acres et fades, en accord avec la légère puanteur de ce coin, avec les eaux sales qui se jetaient dans le ruisseau, en face d'elle, venant des porcheries cachées par le talus, là bas, retenues par un petit barrage filtrant. Elle hoquetait, perdait le souffle, s'abîmait sans retenue, libérée.
Une certaine, trop certaine, tendance, en ce mardi, à n'être que pur-corps, alors je recopie deux anciens envois au convoi des glossolales http://leconvoidesglossolales.blogspot.com
10 commentaires:
Ils le valent bien.
Le premier tout particulièrement.
J'espère que c'est agréable pour toi aujourd'hui d'être pur-corps, pour moi c'est un plaisir de découvrir ces beaux textes.
Je le trouve assez vigoureux cet arbre ressemblant à tes bras !
vivre sur ses réserves, c'est super
encore faut-il en avoir fait
serait-ce défendu de recopier plusieurs fois ? j'y pense..avant de disparaître!!!
ce bras levé m'émeut
je le confesse
défiant le ciel
portant de si beaux fruits
je veux dire
de si beaux textes
Bois noueux donneront beaux fruits encore plus doux et sucrés que jeunes branches trop vertes
Première photo : quand un arbre joue du coude...
Le tas de fumier est au fond du jardin mais près de la cabane...aie !
le premier récit est un petit bijou d'évocation d'une fin d'enfance...
Contrairement aux vaches dans les étables ...tes troupeaux humains s'attablent .
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