Je suis allée chez le pharmacien ce matin, après avoir pris des rendez-vous avec mes toubibs parce que mes deux ordonnances étaient à renouveler ce que je n'avais pas réalisé - le temps passe bonnes gens - pour acheter de quoi remplacer provisoirement mon traitement.
Le jour était doux, enfin pour un mois de novembre, le ciel bleu sans violence, les rues modérément vides. Les arbres à des degrés divers de rouille, jusqu'à la prière angoissée des platanes de l'hôtel d'Europe qui, malgré leur âge, semblent porter un deuil définitif, sans autre espoir que dans la prière menaçante, comme les prophètes, chaque année.
Jour tranquillou, un peu nauséeux, sans excès, crâne doucement ballotant, une tendance à être gentiment déconnectée.
Ai repris, pour Babelio, « Mercier et Camier » (Beckett) avec lesquels j'avais passé deux fins de soirée, heureuse de les retrouver après des années, ne sais plus combien, une trentaine, sans doute plus, oui nettement plus, enfin cela n'a pas d'importance, c'est dans ces limbes entre vingt-huit et soixante ans, où j'ai vécu, mais où je ne peux rétrospectivement situer que peu de faits, leur assigner une date, ni un ordre par rapport à d'autres souvenirs. Bon, je voulais deux ou trois citations et je flottais dans le plaisir des mots, dans la reconnaissance des idées. Alors cela a été trop long, et un peu, au hasard - enfin pas tant que ça - nettement trop long pour des citations « Babelio », tant pis.
« Il arrivait alors, tantôt à Mercier, tantôt à Camier, de s'abîmer si avant dans ses pensées que la voix de l'autre, reprenant son argumentation, était impuissante à l'en tirer, ou ne se faisait pas entendre. Ou, arrivés simultanément à des conclusions souvent contraires, ils se mettaient simultanément à les exprimer. Il n'était pas rare non plus que l'un tombât en syncope avant que l'autre eut achevé son exposé. Et de temps en temps ils se regardaient, incapables de prononcer un mot, et l'esprit vide. C'est à l'issu de l'une de ces torpeurs qu'ils renoncèrent à pousser leur enquête plus loin, pour l'instant. »
une que je saute, et puis
« Il me regarde faire, sans un mot, se dit Camier. Il sortit une grande enveloppe de sa poche, en sortit et jeta les objets suivants : plusieurs boutons, deux échantillons de cheveux ou de poils, un mouchoir brodé, plusieurs lacets (sa spécialité), une brosse à dents, un morceau de caoutchouc, une jarretière, des bouts d'étoffe divers. L'enveloppe aussi, il la jeta, quand il eut fini de la vider. C'est comme si je me curais le nez, se dit-il. »
et, ce que je trouve trop long, mais je n'avais pas envie de couper :
« L'instant que Mercier hésite, avant de rendre ce salut, inattendu pour en dire le moins, Camier en profite pour reprendre son chemin. On ne s'en sort plus de ce présent. Mais même les morts on peut bien les saluer, rien ne s'y oppose, c'est même bien vu, ils n'en profitent pas mais cela fait plaisir aux croque-morts, cela les aide à croquer, et aux amis et aux parents, et aux chevaux, cela les aide à se croire en survie, à celui qui salue cela fait du bien aussi, c'est vivifiant. Mercier ne se laisse pas démonter, que non, il lève la main à son tour, la bonne, l'hétérologue, dans ce geste large et complaisamment désintéressé qu'ont les prélats., dédiant à Dieu des portions de matière favorisées. Que je suis bon, dit Mercier, meilleur que s'il me voyait. Mais pour en finir avec ces délires, arrivé à la première fourche (finie la lande !) Camier s'arrêta (enfin un petit passé) et son coeur battait (encore un) plus fort à la pensée de ce qu'il allait mettre dans ce suprême salut gravide à en péter de délicatesse sans précédent. »
Et puis me suis embarquée dans la nuit avec le chasseur Gracchus, tout en cherchant une idée à partir d'une photo pour le convoi.http://leconvoidesglossolales.blogspot.com/
Pour un paragraphe, plus ou moins proche d'elle, comme le sont cette photo et celui là que je reprends
Renaud était las, ne le disait pas, mais était las. Il avait été enfant merveilleux, chargé de tous les désirs de ses parents. Il avait été lumineux, centre d'un groupe qui la suivait dans toutes ses découvertes du monde adulte. Il avait été jeune cadre remarquable et remarqué. Il avait été jeune père racontant des contes qui s'ouvraient en rêves. Il avait été tendre époux et roc familial. Il avait été responsable, entraînant, animateur, consolateur. Et, toujours, quand il s'installait dans un rôle, il avait découvert un nouvel horizon, un but, vers lequel s'ébranler, sans trop montrer, sans s'avouer le petit recul, le soupir résigné, qui lui venait, qui effleurait cet autre Renaud qu'il abritait sans le désirer. Celui qu'il avait toujours voulu aimer, auquel il rêvait d'obéir.
5 commentaires:
toujours plaisir de lire, et la photo si belle du "deuil définitif"
par un jour "tranquillou"
Puissent-ils se suivrent...
gris tranquille ici aussi depuis le rose évanoui de ce matin
Merci beaucoup pour ma vitamine B(rige) aujourd'hui !
"""Jour tranquillou, un peu nauséeux, sans excès, crâne doucement ballotant, une tendance à être gentiment déconnectée.""" Comment peut-on résister à ce genre de phrase..j'adore !
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