Brigetoun, empêtrée par un sac contenant six draps et par manteau, tailleur, deux vestes, glissant plastique sur plastique, sur ses bras, les regardait ces faux-gars face à elle et rêvait de leur donner vie pour les transformer en porteurs.
Brigetoun tentant de rester un quart d'heure dans sa cour (nous ne sommes tout de même pas au creux de la fournaise à venir), lamento en mémoire des promesses de l'olivier maintenant calcinées, ramassage à la pelle (enfin dans un coin de pelle) des minuscules grappes tombées, pâmées
Brigetoun, lisant, mangeant, dormant, rangeant, entassant les tee-shirts à manches courtes sur le fauteuil-en-attente-repassage, remettant à demain, lisant un peu, et dans le début de fraîcheur et le virage de la lumière vers la nuit, partant vers l'opéra, décidée à aimer Carmen sur la longueur, en se faisant oreilles et esprit ouverts comme page blanche, laisser la musique fouetter la sale petite douleur. (et je suivais, d'assez loin, des musiciennes de l'orchestre)
« Apprendre et réapprendre la liberté avec Carmen, voilà une rude tâche !
D’abord, oublier tout ce que l’on sait ou croit savoir sur le sujet, essayer de retrouver la spontanéité, l’insouciance et l’instinct de l’enfance, piétiner les idées reçues, et pourtant rester fidèle à la chose écrite : tout cela est le chemin difficile, mais indispensable, pour “mériter” cette partition.
Ne pas oublier de raconter le plus simplement possible une belle histoire, comme on en raconte aux petits, le soir, pour qu’ils s’endorment, mais toutefois ne pas aller jusqu’à “l’endormissement”.
Eviter toute démarche intellectuelle compliquée, le cœur parlant plus que la raison, le ventre plus que tout ! » : notes de Nadine Duffaut metteur en scène.
Et c'était assez réussi – un parti pris au début d'un sud misérable sans ostentation, terne, murs et voitures sales et tagués, uniformes mous kaki clair, vestons larges, chapeaux, chemises imprimées sans violence, cretonne beige ou bleu passé à petites fleurs, ou robes noires et tabliers, pour les femmes, soieries sourdes pour les gitanes.
Un jeu entre naturalisme et théâtre assumé, avec la mère de José en spectre-ange-gardien, les passages brusques de lumières sourdes légèrement bleutés à dorées selon les passions (et la présence de Carmen), l'indécision entre la version parlée et les récitatifs, et bien sûr le chant, les presque confidences beuglées (surtout dans le duo entre José, Jean-Pierre Furlan, ténor très ténor, sans doute très bon, mais comme je ne les aime pas, et Michaëla, Sophie Martin-Decor, très jeune fille, un joli timbre mais une forte tendance à la performance).
Bien aimé la Carmen de Béatrice Uria-Monzon, appétissante, une belle voix de mezzo goûteuse au point que par moments le sens des paroles s'effaçait dans la saveur du fruit, bonne actrice, médiocre danseuse. Bien aimé ses airs, of course, le choeur des gamins, celui des cigarières et, au second acte, le quintette de la contrebande.
Il devait faire un peu trop chaud pour certains si j'en juge par la frénésie avec laquelle ma voisine agitait son programme et la ruée des spectateurs à l'entracte sur la place ou le balcon, qui en avait perdu son caractère « ilot de tolérance pour fumeurs » ce qui m'a mise de fort mauvaise humeur,
au point que, comme finalement je n'ai pas un amour démesuré pour cet opéra, j'ai hésité à lever le camp.
Suis restée finalement, parce que j'aimais bien cette Carmen, que j'ai trouvé bon l'Escamillo de Pierre Doyen et plutôt bonne la distribution, notamment Hadhoum Tunc en Frasquita et Julie Robard-Gendre, Mercédès.
Des interventions « flamenco » de Jose-Manuel Huertas qui assurait aussi la chorégraphie, et redonnait un peu de nerf aux moments où à force d'agitation, pour faire vrai, sur le plateau, un certain ennui s'installait.
Mais je crois que j'aime autant écouter, pour le plaisir, de temps en temps, la habanera, la séguedille, les airs les plus célèbres.
Un petit vent agréable en rentrant.
Voilà, voilà
13 commentaires:
On peut donc faire, dans les reflets des vitrines, des images oniriques.
Toumtoum Toum Toum
Toumtoum Toum Toum
A travers cette vitrine, il m'a semblé que le bagage était bien lourd, en effet. Et cette belle rue qui m'a semblé piétonnière, étroite et vieillotte où déambulaient deux ou trois musiciens avec instruments au dos et une bonne bouteille de fin à la main. J'aurais volontiers fait un arrêt, avant que ne débute la prestation d'une Carmen résolument en forme, m'a-t-il semblé, au resto La Caille. Vive Avignon, ville des arts. Enfin, conseil très sage de Nadine Duffault de ne pas aller jusqu’à “l’endormissement”.
La première photo est féérique avec les mannequins en apesanteur dans la cabine spaciale d'une rue ou en plongée dans un aquarium urbain...
Une mise en bouche avant le Festival ?
Mais je reviens à la cour, cette gouttière parée de lierre donne un cachet bucolique !
Déjà un petit air de festival une mise en" humeur"
Mêmes causes mêmes effets.
Mon abricotier a dû, faute de pluie, priver ses fruits de sève qui gisent à terre comme se sont rabougries tes petites olives
Avignon côté piéton ce n'est pas toujours facile, surtout lorsqu'on est chargé. Heureusement, il y toujours l'atmosphère de la ville qui sauve tout et que tu sais bien nous restituer. Quant à Carmen, c'est vrai qu'on a toujours plaisir à l'entendre, surtout si c'est bien chanté, dire que c'est un avant goût de festival, je n'irai pas jusque là.
serait plutôt du genre antithèse
Sur la première photo, tu es un phantôme qui joue avec le petit garçon...
(ah tiens, ton captcha est "fokess", comme "focus" prononcé à l'américaine)
Oui les plantes souffrent autant que les humains - pauvres fleurs d'olivier. J'imagine que de toutes façons il n'y a jamais autant de fruits que de fleurs...
6 draps, manteau, tailleur et veste, il me semble que 3 porteurs n'auraient pas été de trop....
Brigetoun
fidèle Brigetoun
dont on ne se lasse pas
le flamenco réveille les âmes
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