Brigetoun – Avignon sous la pluie – Beckett et la clim – cour d'honneur en gloire
Brigetoun, étourdie, est partie chargée d'un sac contenant quatre draps et deux robes, vers le teinturier, mais en faisant un détour considérable par le Cloître Saint Louis (pour les avignonnais : chemin pas forcément évident pour faire Limas/Vieux-Sextier) afin de retirer son nouveau billet pour la cour d'honneur;
- regardant avec un semblant d'inquiétude le mouvement des nuages (la radio annonçait des pluies en fin d'après midi dans la moyenne vallée du Rhône, notion un rien imprécise) -
et a réalisé, au bout de la rue Joseph Vernet, qu'elle avait près de trois quart d'heure d'avance sur l'ouverture de la billetterie.
Les Pénitents blancs commençaient à se débarrasser de leur équipement festivalier,
les groupes armés du catalogue du off et de bouteilles d'eau font place peu à peu à une relève guidée par des porte-panneaux-de-repérage,
la place de l'horloge vers 11 heures du matin se souvient de son effervescence,
mais on rencontre encore d'étranges personnages (avec parfois une hésitation sur cette étrangeté)
L'air était toujours bien trop frais à mon goût, mais le ciel plein d'espoir quand j'ai réintégré l'antre.
Suis repartie vers quatre heures sous crachin installé et presque irréel, que les passants traitaient par le mépris, sauf quelques hurluberlus, dont moi, qui trouvaient idiot de se faire humecter en portant un parapluie fermé.
Billet – échanges de rouspétances souriantes sur ce sacré festival hivernal – adieu au cloître en sa tenue provisoire,
et départ, sous une pluie qui s'intensifiait, vers l'Espace Roseau, parce que des spectacles possibles c'était celui qui correspondait exactement (durée de trajet/horaire) à mon emploi du temps.
quelques minutes dans l'ambiance agréable du hall, trois pas dans la cour, et montée du bel escalier
vers « la dernière bande » (pas le meilleur Beckett mais tout de même) avec petite allégresse.
Dix minutes environ, apprécié le jeu de Jacques Boudet, en luttant contre la migraine qui s'installait, la peau qui s'asphyxiait, et sortie, navrée au début du vertige,
en saluant le bleu qui était revenu entre temps
en refusant avec plus de fermeté encore que d'habitude les tracts pour le off (j'en resterai aux théâtres dont je sais que je supporte l'installation) .
Petit tour entre les derniers spectacles de rue, de qualité plus ou moins bonne, et retour pour retrouver des gouttes s'écrasant mollement dans la cour.
Récupéré doucement mon crâne et mon visage. Fait cuisine et petit tour web. N'ai pas arrosé.
Passionnant n'est-il pas ?
Ai entassé une robe noire que j'aime bien sur justaucorps et pantalon noir, pris un châle russe à grands ramages et bien chaud et mon parapluie et suis partie à l'assaut de la cour d'honneur
Un strapontin fort bien placé (à part les efforts, de temps en temps, que ma voisine déployaient pour conquérir le petit espace qui m'était dévolu) – deux minutes de pluie avant le début pour nous inquiéter
et puis un très beau spectacle – beaucoup de travail et pas mal de sophistication, une complexité parfaitement calculée et maîtrisée, une abondance de moyens qui pour une fois n'étouffe rien et nous plonge dans le monde créé par Guy Cassiers, son dramaturge Erwin Jans et les deux autres scénographes.
Derrière le plateau, sur le mur, un gigantesque écran qui se soulève pour dégager les accès, et sur lequel sont projetés des gros plans, filmés, parfois dans une des chambres du palais pour les dialogues plus intimes, ou parfois dans la cour, mais de jour, des personnages, sans que cela crée de rupture puisqu'en même temps ils sont, ils jouent sur le plateau, avec quelquefois de légères distorsions qui, par exemple, renforcent la sensation de bloc des hommes de pouvoirs, royal, financier, militaire et ecclésiastique face à Jeanne.
Des panneaux bas mobiles sur lesquels ont lieu des projections également délimitent la scène, ou, au moment de la mort de Jeanne, se retrouvent projetés, avec l'image déformée d'une vierge dorée, derrière son visage sur le mur, la cernant de flammes.
Il y a également tout un jeu d'ombres portées sur les murs latéraux - les costumes très dessinés, entre motards et seigneurs de science fiction, et les interventions du Collegium Vocale de Gand, l'ensemble créant un univers qui nous baigne.
Tom Lavoye a traité le pouvoir de l'église, qui s'affirmait avec force à cette époque de basculement ou il commençait à être un peu minimisé par le pouvoir politique et le pouvoir de l'argent, en deux parties, la première consacrée à Jeanne
où Gilles de Rai intervient comme son compagnon d'armes à Orléans (historique, alors que je grommelais intérieurement un peu, en me moquant de moi, pour ce détail sans importance : il ne commandait pas l'armée, mais était comme d'autres seigneurs subordonné au héros de mon enfance Dunois le bâtard d'Orléans) – et il laisse penser que c'est la mort de Jeanne qui a fait de lui le monstre qu'il est devenu.
Il y a tout de même à mon avis (et pas qu'à mon avis, si j'en juge par les sorties à ce moment, y compris de Jean-Paul Gaultier me semble-t-il qui m'a presque marché sur les pieds pour la seconde fois) cela : la mort de Jeanne est beaucoup trop longue et la tension s'effondre
Il faut un moment pour qu'elle reprenne dans la seconde partie, beaucoup plus courte, consacrée à Gilles de Rais – et l'acteur qui le joue est un si grand acteur et si beau, qu'une fois de plus ce personnage assez abominable s'en sort bien, fascine et plait presque – où l'actrice qui jouait Jeanne devient Francesco Prelati, le moine nécromancien, mauvais conseiller comme c'est le même acteur qui joue l'évêque Cauchon et l'évêque qui condamne Gilles.
Les images finales, où l'ombre de Gilles de Rais, démesurée, couvre peu à peu tout le mur, créant la nuit sur le plateau, sont passablement splendides.
Très contente de m'être laissée posséder par ces habiles hommes.
(1ère et 3ème photos http://www.ruedutheatre.eu/ 2ème : site du festival)
7 commentaires:
Si j'ai bien lu la documentation sur le Festival d'Avignon, parmi les 1200 spectacles programmés, Beckett fut cette année l’un des auteurs les plus joués. Sophocle n'a pas eu cette chance, piloté qu'il fut par Wajdi Mouawad, « ce garçon extrêmement cultivé et scrupuleux [qui] se prend les pieds dans les tapis des rébellions inutiles » (Armelle Heliot, Le Figaro). Vous écrivez : « la mort de Jeanne est beaucoup trop longue et la tension s'effondre ». Il n'est pas aisé de mourir sur les planches.
La rue est un spectacle permanent, les costumes rencontrent les arbres et Pinocchio est de retour !
PS : je déteste quand mon voisin tente de grignoter ma place !!
Le Monde d'hier ne tarissait pas d'éloges sous la plume de Fabienne Darge. " L'image, le son, la musique et la lumière jouent à parité avec des acteurs remarquablement dirigés. "
Une bonne soirée et sans trop d'humidité !
Il y a des photos que j'ai aimées et une festivalière que j'envie encore !
Tu as donc pu y assister, et sans la pluie.
Pour moi, le meilleur spectacle de tous serait celui de la pluie... ;-)
çà ne deviendrait-il pas l'usine à spectacle
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