Entrée mi-figue mi-raisin dans le festival
Après une matinée de ménage-repassage, flemme dolente, après sieston, après vent de force moyenne, juste ce qu'il fallait pour renverser les plantes et arrivée sous mon oeil courroucé de nuages de belle épaisseur,
j'ai mis la première des deux robes bleues choisies pour me porter chance et me booster, et suis partie, tout à côté, affronter (il m'a fallu repousser pendant une bonne demi-heure le vertige qui insistait) la clim de l'opéra pour mon premier spectacle « Jan Karski (mon nom est une fiction) » monté par Arthur Nauzyciel après avoir lu le livre de Yannick Haenel.
La place de l'horloge commence à s'animer (la parade avait certainement attiré le gros de la foule sur l'avenue de la République), avec des familles et groupes faisant le paseo, un petit spectacle de rue
un cameraman qui filmait n'importe quoi.
Comme la salle n'était pas pleine, j'ai pu quitter la place d'où javais pris, pour m'occuper, cette photo du décor, pour m'installer en face, sur un strapontin dur comme je les aime, et dans une zone où la clim me semblait à tort ou à raison moins agressive. Et me suis mise en humeur réceptive, décidée à oublier la polémique qui a accompagnée la sortie du livre et le fait que le peu que j'en avais lu m'avais dissuadée de passer outre – là on était dans un projet théâtral, dont le livre était un matériau, comme l'histoire de Nauzyciel – le « Jules César » de celui-ci me donnait envie de voir et il y avait Poitrenaux.
J'étais au dessus de la nuque et du beau profil, en fuite, de trois quart, de Nauzyciel, assis devant une table, sous la tête de la statue de la Liberté affichée sur un rideau métallique.
Il décrit le passage du film de Lanzmann dans lequel intervient Karski, assis, puis debout, et de nouveau assis face à moi à la fin. Un débit un peu raide, un ton neutre qui l'était trop – mais je pensais que cela convenait pour qui ne voulait être que récit. Seulement peu à peu l'attention glisse sur tant de monotonie.
Il change de chaussures, esquisse quelques pas de claquettes, et le noir se fait, avant la seconde partie. La vidéo de Miroslaw Balka, dont il disait dans un entretien ; « La proposition qu’il m’a faite est une réponse aux questions que l’on se pose sur les limites de la représentation et sur la double obsession de Jan Karski : celle de vouloir mémoriser l’enfer du ghetto de Varsovie, en y retournant à deux reprises, et celle de ne jamais oublier le message qu’on lui a confié, en le répétant sans cesse dans le silence des forêts lorsqu’il était poursuivi par la Gestapo et, par la suite, dans le silence de sa propre vie »
Et c'est une réussite : un plan de Varsovie qui remue sans cesse comme manié, image très blanche, comme saturée, avec un gros trait mauve pale qui traverse pâtés de maisons et rue et qui est le mur enclosant le ghetto, une discrète musique concrète qui monte en puissance, bruits de tôle, de heurts... et la voix de Marthe Keller, neutre, blanche, mais qui, elle, fait passer parfaitement l'émotion.
noir de nouveau, et puis sur le plateau ouvert, le décor de la dernière partie, la plus longue, qui adapte la fin du livre, quand Haenel parle en son nom. (photo trouvée sur le site du festival) - décor bois, un style du milieu du siècle dernier, comme un couloir de grand hôtel ou la salle d'attente d'une administration, et dedans, assis sur une banquette pendant un long moment Laurent Poitrenaux qui incarne l'idée que Nauzyciel se fait de Karski ou de Karski parlant comme l'auteur pense qu'il aurait pu (dû) le faire, et Poitrenaux comme toujours est exact, précis, son jeu si parfait que discret, en dedans, et puisant dans cet en dedans ce qu'il nous renvoie.
Seulement, je vais me faire mal juger peut être, mais c'est là que ça n'allait pas. De beaux passages mais toujours cette simplification, cette volonté de laisser entendre que les alliés ont choisi de ne pas intervenir directement (que pouvaient ils faire de plus en 1942 ou 43 que de faire effort pour gagner le plus rapidement possible, quel effet aurait eu sur Hitler une condamnation explicite de ce crime ?) et, je comprenais la détresse qu'exprimait Poitrenaux-Haenel-Karski mais quand est revenue une fois encore, après le récit de ses insomnies (que comprend sa femme qui elle a perdu sa famille dans les camps) la description de Roosevelt comme un homme ventru, calme, dans un décor trop riche, et : « Roosevelt était un homme qui digérait », le malaise ressenti par Brigetoun est devenu trop fort, me suis glissée par la porte à côté de mon strapontin et m'en suis allée très discrètement.
Pour constater à ma courte honte qu'il y avait encore près d'une heure de spectacle et que j'aurais dû lui laisser sa chance. (je m'en veux tout de même un peu)
Pour voir aussi la fin de la parade
des échanges de tracs de troupe à troupe
et rentrer, exténuée sans raison.
Préparer ceci, à la va comme je te pousse, faire cuire patates, arroser, me changer et repartir vers la cour d'honneur
ou du moins la place pour un petit quart d'heure d'attente avant l'ouverture des barrières
et l'ascension des marches par des créatures en attente joyeuse.
la longue attente devant le mur, six câbles, un plan incliné, une petite estrade et une échelle, que la nuit a bouffés sur ma photo, que se garnissent les gradins
une intervention pour nous alerter sur la dèche de la culture et sur ce qui devrait être demandé aux candidats à la présidentielle (in peto pas que pour la culture) avec tirade bien sentie contre les politiques actuelles en Europe.
Applaudissements, qui se sont fait plus marqués, tout le monde se levant, tourné vers un point dans la partie moyenne (très démocratique ma foi) des gradins où devait se trouver un ministre et vraisemblablement celui de la culture (mes voisins sont restés assis avec un air austère)
et puis le spectacle. (« enfant » de Boris Charmatz.)
(photo Christophe Raynaud de Lage)
Alors.... ben voilà, des agrès, des corps désarticulés malmenés par une machinerie un peu poussive, une impression de fragilité, de précarité et une certaine beauté sans violence.
Les enfants endormis qu'on amène, qu'on manipule avec tendresse, mais comme poupées de chiffon, des moments où ça s'emballe, les enfants allongés qui chantent, un biniou, des adultes quasi spasmophilles, des enfants et adultes dansant, sautant, les enfants traînant les adultes à terre – bon et beaucoup d'autre chose.
Une Brigetoun, et la majorité du public, ravi mais un assez gros point d'interrogation au dessus de mon crâne.
Alors, ma foi, une vidéo de la préparation du spectacle à Rennes
Ceci, pris dans une interview parue sur Vaucluse Matin :
« Je voulais une pièce où les enfants soient endormis, inertes. Mais ils sont aussi venus avec leur énergie. Les adultes sont mis en mouvement par des machines ou manipulent les enfants qui rêvent à leur tour des mouvements venus des adultes. Ce sont des rapports symboliques et sémantiques complexes, où l’on apprend les uns des autres. Les machines intégrées au plateau de la Cour permettent de faire tourner et tressauter les corps. Mais pas ceux des enfants, c’est trop dangereux ! »... « On pensait les enfants à côté, mais ils sont au cœur de notre société et de son économie. C’est une question politique cruciale aujourd’hui, pas seulement familiale. »
et dans le programme
«Il y a trente ans, au mot « enfant », les premières images qui venaient à l’esprit étaient celles des chansons, des jeux, de la joie de vivre. Aujourd’hui, ce sont celles de la pédophilie, du problème de l’éducation nationale, du chômage, du manque de visibilité sur le futur...... Il existe une pauvreté des enfants, on les chasse même de l’école parce qu’ils sont sans-papiers. Il y a là quelque chose de crucial. Bien sûr, l’enfant amène la vie, amène la musique, amène la danse, mais aujourd’hui, en disant le mot « enfant », il y a d’emblée une série d’angoisses qui apparaît, des angoisses d’ordre politique. »
Je sais seulement que j'étais d'extrême bonne humeur et qu'à quelques exceptions près c'était le cas du public. Nous avons applaudi longuement,
et nous sommes sortis et égaillés dans une ville hautement sécurisée (jamais rencontré autant de policiers, enfin presque jamais)
9 commentaires:
Autant de policiers pour des festivaliers? Ont-ils à tout le moins l'esprit à la fête? Bon. Ne polémiquons pas en si belles occasions de réjouissances et de festivités. L'art ne doit-il pas se placer au-dessus de cette absence de discrétion.
oh le festival sans polémique ne serait pas - tant de journalistes en carte ou non qui cherchent à parler... on en a déjà au moins trois je crois (m'en moque)
Si vous allez voir aussi (comme je l'ai compris) le spectacle de Anne Theresa de Keersmaaker, cela fera les trois mêmes que nous auront vus, mais seulement dans quelques jours.
J'ai lu hier la descente en flammes dans "Le Monde" du Jan Karski, et son éloge (même si un peu mitigé) dans "Le Nouvel Observateur".
Après tout, le spectacle est aussi dans la rue !
La maire UMP d'Avignon ne doit pas manquer d'effectifs de police, elle.
les pauvres chers, sont tant pour gens si calmes que s'ennuient un peu - heureusement qu'il y a de belles petites à suivre des yeux (amusant et gentil sur la place cette nuit)
Ah! si les policiers se prenaient un instant pour des enfants....
bouillon de cultures ?
Agréable de lire des lignes enthousiastes et donc un assez bon démarrage pour le In.
Bonjour Brigetoun,
Je réponds là aussi : disons septembre pour les Vases.
Il y avait un "ministre", dis-tu. Je ne peux m'empêcher de sourire lorsque je pense à l'étymologie du terme : minus !
Bon festival...
Jean :)
J'ai lu en diagonale pour ne pas déflorer le spectacle "Enfants" que je vais voir mardi, je te dirais. biz.
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