Journée à oublier – je recycle
Un jour elle est partie.
Elle était là, souriant vaguement, en lisière d'une fête de famille. Elle avait écouté un peu. Elle avait embrassé. Elle les regardait. Ils étaient assez beaux. Ils souriaient et parlaient. Elle a cru sentir à un moment des traces de tension, mais elle n'en était pas certaine, et puis ça ne la regardait pas.
Elle caressait la soie des accoudoirs de la bergère, elle répondait oui ou non doucement quand par hasard l'un d'eux se tournait vers elle. Et puis elle s'est levée, elle est sortie.
Elle a rencontré devant le portail un des adolescents.
Il lui a demandé « tu t'en vas ? »
Elle a répondu « oui, bonsoir ».
marcher
temps de vivre
absurdité
en rire un peu
mais partir, pourquoi pas
besoin – élan
Près du port elle a acheté un grand sac – tissu matelassé, satiné, d'un céladon à mourir, en rire – deux pantalons un peu grand et un foulard étroit pour les tenir – trois tee-shirts noirs et une grande chemise blanche pour y dormir – des loukoums, des pastilles vichy et une trousse de toilette en cuir fin légèrement grenu, pleine des brimborions indispensables.
Elle a envoyé un message à la maîtresse de maison pour remercier et dire de ne pas s'inquiéter, et puis elle a jeté son appareil dans une corbeille.
Elle s'est vue, vieille femme en trop belle robe, cheveux en désordre, et ce sac, dans les yeux de la jeune femme qui lui a vendu un billet. Elle lui a souri. Elle s'est embarquée sur le « tramway des îles ».
le bois du pont,
caillebotis de fer,
eau file contre la coque,
sillage en V qui se défait,
le soleil sur la peau,
juste cela.
La chanson de la mer.
Vivre ?
Le petit port s'endormait à la fin de la saison. Elle a pris une chambre dans le seul hôtel encore en service sur le quai. Une grande chambre avec un papier à petites fleurs, un grand lit sous un boutis écru, deux chaises en noyer, une petite salle de douche peinte d'un bleu clair délicieux et gentiment paresseux, des tomettes pour que la lumière entre les persiennes à demi-fermées y dessine des bandes de lumière à l'heure de la sieste, une porte fenêtre sur un faux balcon et les mats des quelques bateaux en pré-hivernage. La patronne était jeune et aimable sans instance.
Les trois cafés et restaurants qui restaient ouverts l'étaient pour les amis. Elle était calme, elle a été admise simplement. Des plaisanteries jolies, des mots qui glissaient. Les commentaires, sur le choix des poissons et l'examen des cageots que le bateau amenaient. Il lui semblait qu'elle était bien.
Les jeux d'ombre,
la terre rousse
plantes grasses
l'odeur de la mer au crépuscule
trois pêcheurs redevenus rois
manger
regarder le vide
le plaisir de vivre
se le dire
et puis les sentiers, terre poussière entre buissons, les bosquets, le moutonnement de l'île, les petites criques où l'on ne peut descendre, un ruisseau et une ferme, bien cachés près d'un cap, les heures immobiles, le corps dans l'air, la pensée vaquante, des surprises, la conscience de chaque rocher, d'un pin au tronc penché, les mouettes, trois jours, la liberté agrandie. Être dans cela.
Un jour elle s'est dit qu'il était temps, elle a écrit une lettre, l'a mise dans une enveloppe « famille »,
Elle a salué la patronne, a bu un chocolat, est sortie dans l'air léger du matin
bateaux se balançant,
le poêt-poêt d'un pointu,
le sentier entre les arbres,
la grande anse du nord,
les rochers tièdes du cap,
avancer, main sur la pierre,
la petite crique,
regarder le large
le bleu noir de la mer,
la flèche du soleil,
a posé la lettre sous son sac, a mis des galets dans ses poches en pensant à Victoria, a grimacé de soi, est entrée dans l'eau.
Tentative pour les vases communicants de septembre, écrite trop près de la lecture du Tristus de Jean http://brigetoun.blogspot.com/2011/09/tristus-javais-quatorze-ans-lorsquelle.html et donc beaucoup trop proche... me suis énervée dessus, l'ai abandonné, l'ai très vite remplacé par
juste ça
Plus d'évasion dans le brouillard – le médecin est d'accord – se concentrer.
Ils sont là autour du lit - ou ils se succèdent plutôt – je crois.
Ne sais pas - fais pas attention.
Ils sont pleins de mots, de gestes. Ils insistent avec leur amour, maintenant.
Besoin de leur indifférence.
Allez-vous en ! Je ne veux pas. Voulais me détacher de vous autrefois, du petit regret que vous auriez eu, ou des complications que je vous aurais causées... quand je caressais l'envie d'en finir avec cette vie inutile - mais maintenant...
Allez-vous en ! Vous vous taisez, mais je vous sens là, et ça me fatigue.
Je préfère la lumière qui filtre à travers les nuages, de l'autre côté de la vitre. Et les bruits de chariot, les voix dans le couloir. Même les tuyaux qui bougent lentement avec ma main. M'y accroche, et me coagule.
Retournez à votre vie. Vous me distrayez.
Je voudrais faire comme avec des mouches. J'essaie un sourire. Je vous refuse d'un sourire et de mon silence.
Je ne peux plus être qu'à ça. Ce qui palpite. Ce que je découvre. Ce désir, ce refus solide, dur comme un caillou, un diamant, de ne pas lâcher. Pas de mot. Trop profond, animal. Vous diriez la vie.
Il faut que j'arrête de penser à vous et aux mots. Se concentrer.
Une fusée qui me traverse, crispation, m'emporte – un trou – je reviens – solitude – respirer, réintégrer – lumière du soir – et cela toujours dans le calme retrouvé.
Un tison qui reprend vie, timidement. Comme une petite lumière... rend translucide ma descente.
Juste ça – précieux – l'aider à prendre toute la place – s'agripper - ne pas le laisser s'amincir, s'effacer – juste ça.
15 commentaires:
J'aime l'idée d'une évasion vers le port endormi dans un petit hôtel bien solitaire. Sortir le matin et voir les bateaux se balancer. Et cette vieille femme revient aux sources. L’eau, miroir de l’âme, écrivait Jung.
Premier texte également "abouti" (il faut que je regarde, j'avoue, dans mon dictionnaire, le mot "boutis").
2e photo : une pensée pour Colo (auteur d'un blog bilingue), entrée en clinique hier.
Une journée dérobée
la tison sous perfusion
le blog palpite
bien en vie.
C'est très beau,,, émouvant, j'aime... oui, c'est très beau.
merci
bienheureuse que tu nous racontes son histoire à elle.
J'aime pas les piqûres.
bien sûr que c'est comme ça la vie mais que les mots soulagent tant ils sont, sous tes doigts, art et re-création
les infirmières n'aimaient pas me piquer - j'ai des veines mutines et fuyardes, ne savaient plus où mettre les aiguilles
Nous aussi nous avons de la veine...de te connaitre un peu..
Gérard je fonds
Les aiguilles comme des anguilles (sans allusion à Fellini)...
Ouilleyouilleyouille, que de mauvais souvenirs évoqués par cette dernière photo, ouilleyouilleyouille.
bisou brige
Le lis, lentement, j'aime, beaucoup, beaucoup... Je t'embrasse.
Première version .... beau les cailloux dans les poches un peu de Virginia W
Plus prosaïquement le chariot et le tison qui se rallume
Mélancolie.... la vie qui va et qui s'en va
Un peu
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