Dans le train, l'homme se
demandait combien de temps le séparait de son adieu à la ville.
C'était si vieux, et il avait si peu, et de moins en moins, le sens
du temps. L'homme regardait le paysage déformé par la vitesse, il
le voyait, saluait parfois d'une seconde d'attention un arbre, un pan
de mur, une route qui s'éloignait brusquement. Et continuaient,
comme depuis deux jours - le coup de téléphone, l'achat du billet,
le rangement soigneux du nécessaire dans une valise - les images
pâlies, hésitantes ou péremptoires, de lui venir en désordre, de
cheminer en lui, quelque part sous son attention distraite à ce qui
l'entourait.
Flux d'images brouillées
avec d'étonnants sourires, des éclairs de tendresse confrontés au
ressentiment qui avait tout effacé.
L'homme est sorti de la
gare, il a traversé la place, descendu une avenue jusqu'à l'hôtel.
Étranger dans la ville – elle avait vieilli sans lui, juste un peu
mais avec la brutalité d'un changement d'époque. Ou c'est ce qu'il
pensait. D'ailleurs il ne venait que très rarement dans ce quartier
central quand il vivait là.
Neutralité, joliesses, et
ce ressentiment.
L'homme a téléphoné. Il
a pris un taxi. Il est entré dans la chambre et, par dessus une
massive épaule, il a regardé ce que recouvrait le drap et ce
visage, a trouvé les yeux, a vu la vie y revenir, un retrait et
puis un adoucissement, jusqu'à une supplique d'animal en détresse.
L'épaule s'est déployée en une grande carcasse, une voix a dit «te
voilà.. il t'attendait», une pression l'a assis dans le fauteuil.
Il regardait avec étonnement ces yeux, il cherchait en lui... Une
main a glissé sur le drap et il l'a prise, l'a tenue, comme distrait
- il a senti que la sienne répondait à la très faible pression des
doigts sans qu'il l'ait voulu. Il a levé la tête vers son frère,
et a dit «je ne t'aurais pas reconnu». Il y a eu quelques mots, des
entrées, des soins, le soir approchait et ça été la fin.
Images en fuite auxquelles
tenter de s'accrocher, ressentiment, tendresse ancienne.
En attendant l'heure de
l'enterrement, dans le bureau de la vieille maison, son frère a pris
un livre dans le rayonnage et a demandé «Pourquoi as-tu écrit ça
?» - et puis «oui il l'a lu, mais nous n'en avons pas parlé».
L'homme n'a pas répondu, il a parlé maison, renoncement, droit du
demeuré, ils ont un peu discuté, son frère a accepté, de mauvaise
grâce. Devant la tombe l'homme a serré des mains, embrassé, écouté
les «c'est fou ce que tu lui ressembles», les «que deviens-tu ?»,
les mots sans sens, les «il vous aimait tant», quelques banalités
et une ou deux petites perfidies.
Images en fouillis
bougeant lentement, sidération.
Dans son ancienne chambre,
l'homme a trouvé le journal de son adolescence. Il est reparti. Dans
le train, il ne regardait rien, juste ce cahier et puis ce livre. Il
a cherché un peu, décidé qu'il n'y avait pas de vérité.
Il a refermé le passé.
J'ai reçu un beau texte
pour les vases communicants d'avril, et regarde d'un oeil suspicieux
les lignes que j'avais notées... en attendant je reprends,
ci-dessus, le texte que Justine Neubach avait abrité chez elle
http://justineneubach.fr, en
pendant de ses «témoignages de rien»
http://brigetoun.blogspot.com/2012/03/temoignages-de-rien.html
Ce jeudi, ai rencontré un
oiseau étrange,
en allant, vers huit
heures, au restaurant «chez Françoise», assister au café-politique
animé par Romano Marc autour du caractère monarchique ou non de la
Vème République
rien appris vraiment (rien
appris du tout à vrai dire), mais m'intéresse de rencontrer des
avignonnais (éventail assez ouvert je crois d'ailleurs, enfin assez)
et voulais soutenir cette tentative d'animation.
Si ce n'est qu'un peu (ou
très) impatientée par l'incapacité à sortir des manifestations
accessoires (signes extérieurs) pour parler de l'exercice du pouvoir
que permet cette constitution, aggravée par ses remaniements
successifs, et surtout la façon de l'interpréter en la détournant
(me moque un peu des palais, ils sont là autant les entretenir en
les utilisant, si le pouvoir est partagé), et la parole donnée un
tantinet trop longuement à un admirateur béat,
je suis partie en cours de
route, un peu avant dix heures, en tentant une difficile discrétion.
8 commentaires:
Comme elle est juste cette phrase au sujet d'une ville qui a vieilli "sans nous".
Un souvenir doux amer.
Texte très émouvant.
Tous les cafés sont politiques, heureusement on y tient parfois d'autres propos que de comptoir.
T. Tranströmer :
- "C'était un enterrement
Et je sentais que la mort
Devinait mes pensées mieux que moi-même..."
Texte introductif magnifique. Les trains sont des sources d'inspiration qui ont jalonné les grandes œuvres littéraires. Je n'avais pas lu ce texte et je le découvre avec ravissement.
Un beau texte sur les choses ordinaires de la vie.
Je trouve au contraire que les villes - certaines au moins - rajeunissent sans nous... Une illusion parmi d'autres.
Refermer le passé.
Se peut-il ?
"Soutenir cette tentative d'animation" Merveille de ton intime conviction
moi aussi mardi je suis allé à un enterrement...le village lui ne change pas
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