Ce serait attendre, ce
serait être là pieds dans une herbe drue, haute et jeune, regarder
cette masse polie, aussi solide que les pierres posées à la limite
du regard, mais plus lisse, plus brillante comme le serait un marbre,
parcourue de ces fortes veines, chatoyant un peu, devenue présence
autre mais aussi puissante que l'avait été l'arbre.
Ce serait penser à celui
pour lequel on est venu, à lui et ses compagnons si divers dans leur
différence, dans leur mystère. Ce serait voir les marques des ans
sur la table irrégulière du bois, ce serait vouloir arrêter le
temps en soi, ce serait se demander ce qu'est une vie qui n'a pas
savoir du temps, pour lequel le temps se limite aux modifications,
puis la décrépitude du corps.
Ce serait vouloir, par la
force de l'amour, entrer, au delà du vertige, dans cette vie, forte,
palpitante, et se demander si, même sous forme de traces, elle a conscience d'elle-même. Deviner ce qui tient lieu de conscience de
soi, savoir que maintenant, peu à peu, il semble qu'il y ait
reconnaissance, et pas seulement fugace, ou pas tout à fait, de ceux
qui l'approchent, de la façon dont ils agissent sur lui, de ce
qu'ont peut en obtenir, cette merveilleuse ébauche de ruse.
Ce serait la puissance du
vent qui se ruerait avec autant de force que les grands jours de la
ville du fleuve, peut être plus, mais avec moins de violence,
n'étant pas bridé par les murs, canalisé, ne faisant pas irruption
à un carrefour mais régnant en maître sur la large vallée. Ce
serait le voir repousser les nuages, les trouer pour des plages d'un
bleu très doux, juste ce qu'il devait être pour rimer avec le vert
tendre du printemps du pré, des arbres les plus précoces, ou les
amincir ces amas jusqu'à teinter leur blanc d'une idée de bleu.
Ce serait être prise dans
la vie qui soufflerait, qui s'éveillerait dans ce coin de terre - ce
serait être en admiration toujours surprise, émue, tremblante, pour
la force de ce lien avec lui, celui pour lequel on est venu, au delà
des mots qu'on lui dit parce qu'on ne sait pas faire autrement, pour
la tendresse qui vous prend, comme si elle vous creusait, quand il
saisit avec cette force qu'il a votre main, alors qu'il ne veut pas
l'orienter pour lui faire saisir un gâteau interdit, avec laquelle
parfois il la plaque sur son visage, la fait circuler, en bourdonnant
son plaisir.
Puisqu'il y a cela, le
plaisir, la souffrance – mais aussi le mystère de l'existence
improbable du bonheur, de l'amour, de la détestation, et on se dit,
mais sans en être sûr, qu'il ne peut y avoir désespoir.
Et le partage de cela, cet
amour, ce vertige, avec les autres, les siens, et les parents de ses
compagnons.
Ce serait revenir, avec
bon rhume, secouant, éructant, vers sa ville, et trouver la pluie
dans la nuit, un écho dans ses pauvres petites plantes séchant, se
libérant de leur humidité,
sous le gris doux du
matin, avec la région que l'on a quittée,
et puis pendant que la
toux, et les éternuements prennent toute la place, voir le bleu
redevenu royal, et les blancs nuages en fuite.
11 commentaires:
J-M Barbaud :
- "L'espoir ? Le voici : que nous soyons fidèles toujours à une promesse jusqu'ici pourtant jamais tenue à une aurore imprévisible, mais dont la lueur imaginée nous tient debout sur le tranchant des heures...."
Petit arrosoir, espoir.
Mais dis -moi c'est Du Nathalie Sarraute que tu nous ponds là!! un très beau texte avec une larme presque au bord des yeux
je garde si tu veux bien dans mon carnet d'or ...en humeur de pensée tristounette sous bruine persistante sur Toulon ce matin- chagrin
Oui, un très beau texte, pareil pour moi.
merci à vous, parce qu'en général la peur de cette réalité, stupide, fait faire un détour
La réalité est toujours triste... Il suffit que le vent s'en mêle pour chasser les nuages et sèchent les petites plantes encore pleureuses, un instant abandonnées à elles-mêmes.
ce n'est pas triste, on ne sait pas
Un retour de voyage laisse des marques. Est-ce inévitable ou prévisible? Toujours est-il que le constat qu'on peut tirer de cette absence de chez soi réside dans ce texte d'une belle poésie. A l'image d'une fraîcheur matinale de printemps :-)
c'est plus central qu'un voyage pour moi, là
Bois un bon grog pour soigner ton rhume..
Il est 22h 45 il tombe des cordes
Enregistrer un commentaire