«Le bleu ne fait pas de
bruit. C’est une couleur timide, sans arrière-pensée, présage ni
projet, qui ne se jette pas brusquement sur le regard comme le jaune
ou le rouge, mais qui l’attire à soi, l’apprivoise peu à peu,
le laisse venir sans le presser, de sorte qu’en elle il s’enfonce
et se noie sans se rendre compte de rien.» Jean-Michel Maulpoix «une
histoire de bleu» cité par Pierre Ménard dans
http://www.liminaire.fr/ateliers-d-ecriture-5/article/jean-michel-maulpoix-une-histoire,
où j'étais arrivée, dans mon indécision du matin, à partir de
«comment écrire au quotidien»
http://www.publie.net/fr/ebook/9782814503656
, et du choix de cette proposition :
«97 - Se livrer à une
méditation poétique en forme de variation sur une couleur de son
choix en l’approchant tour à tour sous un angle plutôt abstrait,
et sous un angle plus concret, charnel même, la couleur, les objets,
les sensations nées de cette couleur.»
mais que j'ai finalement
(après avoir pensé ocre) totalement, délibérément détourné.
La couleur des creux n'est
pas une couleur, elle est une ombre ou une lumière, une clarté,
comme le rose infiniment délicat, pâle, presque une blancheur qui
s'éveillerait, telle le vieillissement d'une pétale, alors qu'elle
est juste aurore - le creux délicat, la si fine peau lisse
légèrement marbrée - que l'on découvre en dépliant doucement,
avec précaution et respect, le poing résolument fermé d'un
nouveau-né.
La couleur des creux n'est
pas une couleur, elle est une idée d'abri, de corbeille pleine
d'air, la peau tachetée, mélange de gris vert et de beige bruni ou
infiniment clair, formes redessinées par la lumière et les ombres,
aisselle d'un platane, source dont se détachent les fortes branches.
««La substance du ciel
est d'une tendresse étrange»
L'azur, certains soirs, a
des soins de vieil or. Le paysage est une icône. Il semble qu'au
soleil couchant, le ciel qui se craquelle se reprenne un instant à
croire à son bleu. Un jour inespéré se lève tandis que sur la mer
la nuit prend ses appuis.» Jean-Michel Maulpoix «Une histoire de
bleu»
La couleur des creux n'est
pas une couleur, elle est un gouffre qui les détruit toutes, quand
l'oeil plonge dans un puits comme un abîme où se dissout la vue
dans une pénombre plongeante jusqu'à se heurter à une obscurité
plate que n'anime que l'idée de lueurs vagues mouvantes en reflet.
La couleur des creux n'est
pas une couleur, elle est un assombrissement de l'ocre du mur,
dessinant la courbe d'une embrasure profonde jusqu'au mur de plus en
plus clair, quand la lumière est libérée, au delà de l'arrête,
le mur taloché, d'un blanc d'or pâle où s'ouvre une petite grille,
branchie de la cave obscure.
«Nageur blanc dans les
bras de la mer.
La tête fluide et bleue
plus que l'eau, immergé dans le tumulte, tu embrasses ta mort
insonore.. » Jean-Michel Maulpoix – d°
La couleur des creux est
assombrissement, au bas du rocher, là où la mer creuse, où la
roche jaune, ocrée et verdie de lichens, vire au brun teinté par le
glauque sombre de l'eau privée de lumière, par le reflet dans
l'ombre de la profondeur, et l'oeil glisse sur cette frontière
jusqu'à la zone que frappe le soleil, qui n'est plus que
scintillement mêlant le vert tendre, l'or et le bleu, avant que
s'étende vers le large le dégradé des bleus frissonnants
La couleur du creux est
absence, brume, flèches violettes, quand la pensée se solidifie
dans une hébétude migraineuse.
«Emma aimait le bleu.
Celui des robes et des
rubans que vendent les camelots de passage, ou des stores de soie que
l'on tire aux fenêtres des calèches. Celui qui recouvre les livres
où l'on parle d'amour. Celui que laisse dans la tête la musique
après que l'on y a dansé.
Elle n'avait pourtant
jamais vu la mer.» Jean-Michel Maulpoix d°
La couleur des creux est
reflet sali mais lumineux, quand ils sont remplis d'eau après
l'averse qui a inondé le chantier et les a remplies d'une eau
lentement bue par l'argile.
La couleur au creux de la
niche est de caramel clair, là où l'ocre miel du mur se troue d'un
peu d'ombre pour envelopper la vierge absente, dont ne reste que le
clou qui la fixait mais ne l'a pas retenue, et cette douce paume
incurvée n'est qu'attente remplie de la caresse de l'air tiède.
Et que l'audace dont je
fais preuve par cette juxtaposition ne soit prise que pour ce qu'elle
est, hommage, souvenir de plaisir de lectures, aiguillon pour des
tentatives conscientes de leur humble insuffisance.
10 commentaires:
Creux de la vie, creux de l'Histoire, creux du présent, nous traversons tant bien que mal ces ouvertures qui ne mènent parfois nulle part. Maulpoix nous incite à chercher d'autres routes : «La substance du ciel est d'une tendresse étrange». Chronique toute en belles réflexions.
On devine, en creux, les intentions et la palette.
Les photos sont aussi belles que le texte !
Les couleurs chantent ... tendresse ou fureur
Musique du vent ce matin assourdissant
Dans le creux, un embrassement de l'ombre et de la lumière, de la forme et de la couleur, du regard et du toucher, de l'apparence et de la réalité.
... plaisir de lire votre écriture ainsi déployée. J'ai envie de dire ...
encore et merci.
Pascale
Les photos sont aussi belles que le texte et en particulier celle de ces bêtes pachydermiques et placides des platanes. J'aime.
Bonne semaine.
As-tu déjà vu le film, Especially on Sunday? Ma partie favorite, c'est l'histoire du chien bleu avec Philippe Noiret.
Imprimeur, je peux te dire que seuls le noir et le blanc ne sont pas des couleurs
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