On part (…) pour ne pas
s'appeler Médor.
Nicolas Bouvier,
L'échappée Belle, éloge de quelques pérégrins.
Premiers
pas, premières contractions. Corps pataud, renâclant, presque.
Partir, à son corps défendant.
Effort,
premiers gestes. Un début. Recommencement. Apprendre, encore.
Ebranler. Partir, à rebours de la fuite.
Tu
pourrais aller à travers champs, jambes nues, droit dans l'idéal,
irrésistible.
Tu
pourrais aller à travers bois, tête nue, sentir battre le sol, au
secret.
Ce
sera le bitume. Granulé, lisse, bouillant, glacial, torturé,
dessiné, délimité, sécurisé. Indifférent. La route des hommes.
Cartographiée, répertoriée, étiquetée. Pour s'inventer sous la
contrainte.
Tu
connais le feulement des automobiles, leurs passagers prisonniers,
bulles d'acier imperméables.
Tu
connais le hurlement des motocyclettes. Les motards sont un peu plus
vivants.
Tu
seras le glissement du vélocipède, le cantique de la roue libre, le
concerto discret de ton souffle sur celui du monde.
(Leslie
Stephen a décidé que les Alpes seraient un terrain de jeu.
Hannibal, lui, s'était-il amusé ?)
Le col de montagne est
l'intersection entre une ligne de crête et un talweg, c'est-à-dire
le point le plus bas entre deux sommets appartenant à la même
arête.
Une
montée, une descente. Immuable. Et l'entre-deux, les femmes en
chiffons qui rient aux éclats dans l'air frais, les pas prudents du
voyageur endolori, les vieux side-cars vert mat de la deuxième
guerre (tu cherches les officiers en uniforme), comme une petite
excitation, comme un brin d'aventure, une brève communion et le
passage, la virgule, la bascule, l'ici et l'ailleurs.
Au
milieu du tumulte, tu réinventes la solitude. Ce moment où plus
rien n'existe : que ton souffle sur l'asphalte vide.
Tu
parles avec tes peurs. Tu les caresses, tu les regardes dans les
yeux, enfin. Et tu te trouves bien lâche.
Dans
ton cabas, quelques livres. Tu les hisses en haut des routes, fardeau
inutile et nécessaire. Tu ne les ouvres pas. Dans ton carnet,
quelques mots, gribouillés à la peine. Tu ne les comprends pas.
Seule compte la route. Et l'expérience de la route. Le reste est
évanoui.
Il y a
ceux qui se promènent en meute, qui consentent à goûter à
l'effort avec le réconfort tout proche. La voiture suit, et tout le
reste. Il y a cet homme désargenté, sur une antique machine, qui
monte les cols pour faire quelques globules. Je suis
malade, ça me fera du bien, tu vois ce que je veux
dire...Peut-être...
Un
jour, oublier les raisons, les questions les réponses, oublier les
heures, les secondes, les battements de cœur, et continuer d'aller,
irrésistible.
La
route se fait étroite. Au pied d'un arbre, des fraises sauvages. Les
fraises d'une petite fille. Tu l'imagines, gisant, dans le tréfonds
de l'écorce. Sève. Doucement, tu prends une fraise puis la
porte à la bouche, religieusement.
Col
après col, tu vois le passé s'obstiner, alors que tu glisses vers
la mer. Tu vois le futur aussi, déjà prisonnier. Et tu te laisses
aller vers l'horizon.
texte
et photos de Samuel Dixneuf-Mocozet, que je découvre en les posant
sur Paumée où ils veulent bien s'installer pour ce vendredi de
vases communicants, avec pour moi petite navrance de mon assez
piètre contribution chez lui http://samdixneuf.wordpress.com/
quoique
cela fait contrepoint, mise en valeur, petite ombre portée qui fait
ressortir..
Rappel :
Tiers Livre et
Scriptopolis sont à l'initiative d'un projet de vases communicants :
le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d'un autre, à
charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les
invitations. Circulation horizontale pour produire des liens
autrement… "Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre."
La liste des
participants, que j'espère correcte se trouve ci-dessous, et sur un
blog dédié à ce seul usage http://rendezvousdesvases.blogspot.fr/
8 commentaires:
Belle pérégrination en mots et en lieux d'un pérégrin des temps modernes
Aime beaucoup cette errance d'un vase à l'autre Merci du partage
sauf que là tu ne peux aller sur mon vase
Ca y est, le contrepoint de Brigitte est enfin en ligne. Mille excuses ! http://samdixneuf.wordpress.com/2012/08/03/plantee-sans-racine/
S.
félicitations et gratitude ! comment avez-vous fait ?
quel voyage !!!
oui, admiration, et bien évoqué
..et pourtant que la montagne est belle
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