Les yeux regardent les
gouttes tomber sur les pas de son rêve. Les yeux regardent la phrase se former.
Je regarde les yeux. À qui sont ces yeux ? Est-ce important ? Je
n’agis qu’avec un temps de retard, comme si j’étais agie. Être spectatrice de
son propre film. Assister au film dans lequel on est l’actrice qui joue un
personnage de spectatrice.
00h39 : Le sujet est en phase 4 de SP. Les mouvements
oculaires s’accélèrent, les doigts des mains sont agités de micromouvements, des sons incompréhensibles s’échappent de ses
lèvres. Le tracé de l’électro-encéphalogramme se creuse. De grosses gouttes de
sueur perlent à son front. Ploc ! Ploc ! Le sujet arrache ses
électrodes à 00h 43.
C’est d’abord une
lumière. Surréelle plutôt qu’irréelle. Seule passe une pensée bleu cobalt. Pas
de corbeaux noirs sur un champ de blé ni d’église se tordant à Auvers. Je sais
seulement que je ne suis pas dans le val d’Oise et que Vincent n’est pas mort. On
dirait une fin d’après-midi d’été avant l’orage. Atmosphère électrique : mes
yeux vont et viennent entre le ciel très mobile, fluctuant et le village à
l’arrière-plan. Un vieux village perché comme on en trouve dans le Luberon. On
distingue nettement les arches d’un rempart en haut à gauche. J’en suis encore
loin. Je sais que je dois m’y rendre : j’ai peut-être un rendez-vous très
important. Je sais aussi qu’il y a du danger. Alors je ne bouge pas, à l’affût.
Je guette. Voilà, c’est tout ce dont je me souviens.
1h07 : le sujet
s’est réveillé à la fin de la phase 4 de SP. Il a décrit une scène de
rêve de manière beaucoup trop élaborée. Il a parlé des tableaux de Van Gogh. On
notera dans l’enregistrement audio la fluidité du débit de sa voix, aucun
Euh ! raclement de gorge ou tic de langage parasite. Le sujet donne
l’impression de réciter un texte. Ce qui nous autorise à en déduire que le
sujet fabule. Ploc ! Ploc ! fait le goutte à goutte de la perfusion.
Le chemin maintenant.
Qui m’invite et me tend la main. Ce serait trop facile. Je ne le ferai pas. Je
reste là immobile. C’est comme dans les
westerns, un face à face entre deux adversaires se mesurant du regard avant de
dégainer leurs revolvers. Mes yeux défient le chemin. Les yeux du chemin sont
les arbres décharnés qui le flanquent. À moins qu’il ne s’agisse d’armes. Des arbres
foudroyants plutôt que foudroyés. En tout cas, je ne bougerai pas d’un pas. De
grosses gouttes commencent à tomber sur le sol.
Lourdes et espacées. De gros cratères sur la poussière ocre – presque du
sable – du chemin. De gros Ploc ! Ploc ! silencieux qui ouvrent grand
leur « o » comme des poissons en quête ne nourriture. Je
piétine le sol pour l’écraser comme on le ferait avec le raisin. Les yeux
regardent les gouttes tomber sur les pas de son rêve. La phrase se forme. D’abord
sonore. Mais je sais que quelqu’un l’écrit. Une troisième personne.
Bande-son : le
souffle du vent, par vagues, s’amplifiant jusqu’à devenir une force puissante
et destructrice qui redescend comme un soufflé,
donnant au silence une épaisseur forçant l’écoute. Parfois, un gonflement
brusque d’une nappe qui se soulève, de la voile d’un bateau qui change de cap,
de la toile d’un auvent cherchant à s’échapper. Agie et soulevée par le vent,
je suis maintenanten ville. La muraille d’un bâtiment ancien devant moi. Une
femme dont je n’aperçois que le dos glisse un papier dans l’interstice de deux
vieilles pierres, puis s’éloigne. Je m’approche à mon tour du vieux mur et
saisis le papier, l’ouvre et lis : SUIVEZ-MOI… DES YEUX ! Je regarde
autour de moi, la ville a disparu. Dans la direction où se dirigeait la femme,
se trouve une petite cabane. En y entrant, je découvre une salle emplie
d’écrans, de dimensions diverses, des sièges, et des personnes assises. Sur les
écrans, des images défilent. Le spectacle du monde, comme on dit. J’ignore ce
que font les personnes qui agitent les doigts sur les claviers mais il y en a
qui ne font que regarder. Je m’approche de l’un des écrans d’ordinateur :
une femme de dos marche dans un paysage du Luberon, une fin d’après-midi d’été…
Il commence à pleuvoir. On entend Ploc ! Ploc ! puis une voix off –
ma voix - qui prononce cette phrase : Les yeux regardent les gouttes
tomber sur les pas de son rêve.Puis comme le générique d’un film, la même
phrase se superpose à l’image. La femme se retourne. Je la reconnais.
Christine Zottele, qui veut bien
offrir ce texte à Paumée (la première image est de Christine, les photo sont de
Philippe Marc) pendant que Brigetoun tente de dire le rôle d’une spectatrice
chez elle http://etsansciel.eklablog.com/vases-communicants-9-a49910874
Tiers Livre et Scriptopolis sont à l'initiative d'un projet
de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog
d'un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les
invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement…
"Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre."
La liste des participants, que j'espère correcte se
trouve sur un blog dédié à ce seul usage http://rendezvousdesvases.blogspot.fr/
6 commentaires:
merci Brigitte d'accueillir mon texte et les photos de Philippe Marc chez vous et ce malgré toutes les difficultés avec ordi ces derniers jours: vous avez fait du bon boulot m'dame et suis vraiment très fière d'avoir partagé ces vases avec vous...
Un beau cadeau
vraiment très beau
j'aime beaucoup
Beau texte goutte-à-goutte et photos de rêve.
Un rêve éveillé comme il en existe au plus profond de nous
Belle transcription
me suis trompée (j'avais oublié mes lunettes) sur l'ordre des deux photos de Philippe Marc, sur son nom et sur le lien vers mon texte - rien que ça
D'abord le texte d'une invitée qui s'inscrit dans une tradition chère à Brigitte, l'amour des mots. - Des arbres foudroyants plutôt que foudroyés - Puis ces illustrations qui marquent avec une réelle ardeur les mots de l'auteure, Christine Zottele.
Ensuite ce lien retrouvé que je vais franchir aussitôt pour revoir Brigitte de l'autre côté des vases.
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