Je suis partie, en fin de
journée, munie d'un chapeau à bords souples (pourquoi dit-on les
bords du chapeau ?), d'une écharpe, d'un carnet, de mon appareil
photo, et surtout de mes yeux reposés, pour le vernissage de la
dernière exposition de la Collection Lambert, dont le titre, Mirages
d'Orient, grenades & figues de Barbarie
Chassé-croisé en
Méditerranée, et la
liste impressionnante des noms portés sur le carton d'invitation,
m'attiraient et m'intriguaient. (ci-dessus affiche, ou carton d'invitation, ou couverture du catalogue - portrait de Bachar El-Assad, aquarelle sur papier de Yan Pei-Ming)
Le vent m'a cueilli en
route et j'ai passé mes trajets, aller et retour, à courir après
mon chapeau, le renfoncer au jugé, ou me geler les mains en le
tenant.
J'ai passé mon temps à
être dans les pattes de Madame le maire, sa cour et les
photographes, ou plutôt à les avoir dans mes pattes.. et quand m'en
suis débarrassée je me suis fait interdire de prendre des photos
(j'étais devenue repérable) – ai renfoncé en signe de bonne
volonté l'appareil en cours de fermeture dans mon sac, donc il est
coincé et les quelques photos, dont j'espère que cinq ou six seront
bonnes dorment en lui jusqu'à extinction de la pile – ai pris
force notes plus ou moins lisibles, mais j'ai la flemme...
Ceci dit l'ambiance était
agréable, ai vu choses belles (ou non), intéressantes (souvent très), suis
contente de ma journée... alors je reprends pour le plaisir, des
passages d'une des lettres d'Isabelle Eberhardt reproduites dans le
catalogue que, sur une impulsion, me suis offert (bien fait, édité
par Actes-Sud, mais très gros et que, vraisemblablement, une fois
qu'il aura trouvé un coin où s'installer, je ne regarderai pas) et
j'ai photographié, mal, avec les derniers souffles de l'appareil
officiellement mort, quelques images dudit catalogue
À Ali
Abdul Wahad
Bône, le
13 octobre 1897
...Nous
sommes partis banalement en voiture de place, et nous sommes arrivés
vers 10 heures au douar, composé de maisons en pierre très propres
et de nombreux gourbis. Le douar est situé au pied des grandes
montagnes que vous avez dû remarquer à droite de la ligne de chemin
de fer du Bône-Guelma. C'est le djebel Idou, habité par les
panthères et des djebaïlis
pillards. Le cheikh du douar, Si Tahar ben Mohammed, est un riche
marchand de bestiaux, homme lent et calme, qui a fort grand air... Je
commençai, selon mon habitude constante,par échanger mon stupide
costume européen contre l'habit bédouin, commode et imposant, ce
qui me permet toujours d'éviter la société fastidieuse des femmes
arabes et de me mêler aux hommes dont j'aime l'admirable calme et la
grande intelligence toute islamique d'ailleurs. Dès lors, à cent
cinquante ou deux cents, nous enfourchâmes les beaux chevaux
bédouins et nous filâmes au galop dans la plaine, avec force coups
de fusil et grandes clameurs. Nous fîmes ainsi au moins trente
kilomètres, notre troupe grossie par la jeunesse de tous les douars
situés sur les coteaux au pied du grand Idou sombre et nuageux.
Je
sais, ce n'est pas un cheval – feuillet du carnet Mérol-Soudan 2012
de Miguel Barcelo
Notre troupe
devait avoir un aspect fort semblable à celui des caravanes décrites
dans la Tora et chez
les prophètes antéislamiques.. Ce qui m'enchante dans la vie de
l'Islam, à tort ou à raison, c'est justement cette apparence
d'immobilité qui rend confiance en l'Eternité et qui enraie un peu
ce funeste vertige du néant qui nous torture, en Occident...
Au retour,
la diffa nous
attendait, les chants et les danses des femmes et tout le tapage des
fêtes arabes. J'allai avec les hommes, manger à la place d'honneur,
dans le bâtiment de l'école. Après, jusqu'au soir, nous avons lu
le Koran et récité des vers arabes en choeur...
photo
Robert Rauschenberg «Tanger street (I)» 1952
Puis, à la
nuit, la fête recommença, plus bruyante et plus gaie encore. Enfin,
vers minuit, tout le monde se sépara, et, nolens volens, le patron
me sachant femme, il fallut gagner la chambre ou plus de
quatre-vingt-dix femmes dormaient par terre, sur des matelas. Cela ne
faisait point mon affaire : l'air étouffant, les enfants braillards,
les babillages sots des femmes. Aussi, après une vaine tentative
pour m'endormir, je me rhabillai et je sortis, malgré les
protestations des femmes me parlant de «r'oulémin» (les esprits
malins – note de l'éditeur) et des chiens (chose beaucoup plus
sérieuse). Je sortis donc dans la nuit noir, d'un calme infini, très
spécial à cette terre d'Afrique...
8 commentaires:
Bachar El-Assad, sans commentaire ou ça serait trop long, mais Yan Pei-Ming, alors, là est un artiste de grand talent qui n'a pas peur de provoquer, et dont j'ademir beaucoup le travail gigantesque,,, Miquel Barceló également
Comme j'aurais aimé visiter cette exposition...
et puis l'occasion est trop belle pour vous offrir ce cadeau ICI
Un titre percutant, un clin d'œil non sans malice sinon provocateur.Les figues de Chrétiens ne se mangent que bien mûres et débarrassées de leurs glochides...
Avais aimé Isabelle Eberhardt par Edmonde Charles -Roux
Une curieuse, très curieuse affiche réflexion faite...
il a fait les portraits des couples jordanien et syrien et puis de Sadam défait - je ne pense pas que ce soit vraiment admiration
(expo en gros = ce lien qui ne devrait jamais avoir été rompu entre les peuples de la méditerranée, et ce qui en "occident" a fait la rupture, ce qui aussi la fait du côté des peuples majoritairement musulmans c'est à dire dictature - soutenues par nous un temps - et intégrisme)
L'affiche rend bien compte du "mirage" et du sang qu'il fait répandre sans qu'il n'y soit mis holà.
Assad, assez !
Merci pour l'aperçu et chapeau.
J'espère bien qu'il ne s'agit pas d'admiration (une bizarre inspiration, cependant) ce qui n'est pas une raison pour en faire une tête d'affiche, en ce moment...
Désolé de tant de désobligeance, mais cette affiche ne passe pas chez moi.
Réussi à tenir votre chapeau, réussi à saisir quelques photos entrées dans la clandestinité, traité d'un objet d'art dont le portrait porte à discussion, mis en poche un Actes-Sud géant... et vous n'avez pas égaré votre chapeau en cours de route. Un parcours d'une femme battante.
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