On dirait que ce serait
l'été, ou plutôt sa fin, un peu avant la rentrée des classes, il
y a longtemps, à côté d'une maison amie... on serait monté sur
les pentes du Faron, en suivant l'ânesse chargée de provisions pour
le dîner, puisqu'il n'y avait pas encore de route, juste un chemin
aussi caillouteux qu'un torrent, on aurait suivi le Colonel dans les
restanques, on l'aurait écouté raconter comment il les avait
construites avec un voisin, et nous expliquer, trop vaguement, parce
qu'il savait que nous ne comprendrions pas, la construction des murs de pierres
sèches, et après le goûter, avant que la nuit tombe et qu'on
allume les lampes à pétrole, j'aurais laissé les autres jouer ou
discuter et je serais sortie avec un livre et une machine à lire qui
ne serait pas encore imaginée, pour découvrir, en levant de temps en
temps les yeux pour rêver devant la vue, des textes qui ne seraient
pas encore écrits.
N'importe quoi... mais je
suis dans l'antre, un samedi soir, je me dis que je devrais, comme on
pose une petite pierre, mentionner mes lectures de ces derniers
soirs, et je suis, aussi, devant des photos, un fichier ouvert plus
tôt pour y choisir quelques images à envoyer, et il y a celle-ci, la force de mon imagination, un souvenir vague, une envie de chaleur poussiéreuse des pierres, d'odeurs de maquis,
d'air bruissant..
Plus simplement, dire le
plaisir d'avoir encore beaucoup à découvrir chez Claude Simon, dire
la lecture, lente, dans la nuit, du tramway, la sensualité
des phrases et la mort, la dégénerescence qui baignent tous les
souvenirs, les allers et retours entre le trajet du tramway,
l'hôpital, l'enfance, la mère etc...
renoncer à en parler,
prélever quelques phrases, ou lambeaux de phrases, ceux choisis pour
Babelio, comme un morceau de
patchwork
.. les deux vieillards
(quoique gendre et belle-maman, ils semblaient à nos yeux d'enfants
appartenir à la même génération) formant sous la lumière crue -
ou plutôt cruelle - de la suspension qui creusait leurs masques
flétris (sinon même, chez notre grand-mere, ravagé) un couple
quelque peu hallucinant...
son propre visage,
donc, depuis que la maladie qui devait l'emporter s'était attaquée
à elle, s'était mis, comme par une sorte de mimétisme (ou de
coquetterie macabre) à tout d'abord simplement maigrir, pour ensuite
se creuser, se momifier peu à peu, faisant irrésistiblement penser
à la fin, en féminisé, terreux et impitoyable, à ceux de ces
amputés physiquement d'une moitié d'eux-mêmes...
et la
nature, le trajet, ce que l'on voit aussi de la maison, à travers
les saisons et les années,
(de nouveau : grappes
humaines hurlantes dont les membres jambes bras agités au dehors
semblaient le 15 août hérisser les flancs de ces "baladeuses"
remorquées par les tramways, leurs rideaux de toile écrue détachés
claquant comme des drapeaux, comme s'ils participaient eux-mêmes à
cette bruyante allégresse que l'on entendait venir de loin,
s'enfler, éclater violemment quand le tramway et sa remorque
passaient brûlant l'arrêt du mas, puis décroître, s'éteindre,
laissant se refermer le résineux parfum des pins dans le somnolent
après-midi...
le
monde extérieur, ses échos avec le monde intérieur
et
le silence, et seulement parfois, le frais ruissellement, ici ou là,
d'une de ces rides dont la crête se brisait, les lueurs du couchant
allumant des reflets de bronze sur l'eau non plus bleue mais d'un
vert bouteille allant s'assombrissant, noir à la fin dans le silence
noir où l'on ne distinguait plus le pont qu'à la faible lueur
roussâtre d'un fanal, la barque roulant et tanguant doucement sur
place, la hampe noire du mât dressée vers le ciel étoilé
oscillant avec paresse d'une constellation à l'autre..
Parler aussi, comme peux,
des derniers textes publiés, (en dehors des traductions, où m'en
vais plonger, où ai commencé à plonger avec bonheur, par Jean-Yves
Cotté, d'une chambre à soi de
Virginia Woolf
http://www.publie.net/fr/ebook/9782814596641/une-piece-a-soi
et portrait de l'artiste en jeune homme
de James
Joyce
http://www.publie.net/fr/ebook/9782814596634/portrait-de-l-artiste-en-jeune-homme)
Avoir eu désir de
découvrir la traversée de
Jérémy Liron
http://www.publie.net/fr/ebook/9782814597006/la-traversee
parce que j'aime lire son blog http://lespasperdus.blogspot.fr/,
ce que j'ai vu de son oeuvre à travers des reproductions, et ce qu'il dit de la peinture (et me trouver souvent, moi
béotienne amatrice, en accord avec lui)
Très sommairement,
maladroitement :
Un texte, une traversée
dans lequel on entre par un voyage, nocturne, en car, et tout de suite
une façon de traduire, mettre en phrases qui rendent réel, une
étrangeté au monde, une déréliction. Un texte qui reste allusif,
comme des petites notes sensibles sur un carnet (mentionné d'ailleurs à la
fin) qui constate, de situations devinées en rencontres suggérées
l'avancée de cet homme, qui a perdu même son prénom exact, vers la
disparition finale.
Et pourtant, lorsqu’on
l’avait questionné sur le pourquoi de cette traversée avec la
neige et rien de particulier (on lui avait dit : «rien de
particulier à voir là-bas, sinon comment le ciel rejoint la ligne
délavée des plaines pâles et s’y confond») il avait dit quelque
chose comme : «le monde se fait au-devant de soi. »...
Ses mots au-dedans se
sont faits peu nombreux, s’affranchissent progressivement de la
nécessité des phrases. Bientôt il sent la langue se taire en lui.
Le monde la désarme...
Il n’est capable de
rien d’autre que ce cri qui le jette dans la nuit, qui l’abstrait.
Il n’est que ce cri étouffé. Rien ne se distingue. Non plus
lui-même confondu à la nuit.
et les
autres, les restes de liens ou de souvenirs...
Tenter
d'évoquer, non moins sommairement, juste pour créer, peut-être,
désir de le lire, la chèvre noire de
François Rannou..
http://www.publie.net/fr/ebook/9782814597068/la-chevre-noire
Selon l'auteur : une suite
narrative -
des citations introduisant
et concluant des récits, ou des airs, en strophes espacées, de
tonalités différentes, de voix différentes, la grand-mère, la
mère, le fils, le voisin, en une composition musicale
au centre une histoire
familiale - comme un noyau
s'ouvre sur la mère, la
grand-mère, la maison jaune et les deux autres, l'homme qui n'est
plus présent que pour la mère, l'Afrique, les corps, le lyrisme,
... une construction basée sur des correspondances davantage que sur
un ordre chronologique, une énonciation logique.
les paroles qu'on pense,
qui prennent forme, libérées (par la grâce du sacrifice de la
chèvre noire, comme l'agneau et la brebis dans l'Odyssée)
une maquette soignée,
chaque partie, chaque air, introduit par une image, une belle
composition (et, via un lien, les lectures par l'auteur de passages)
les
voix diverses qui se mélangent presque, et l'on devine qui elles
sont
Je suis morte et je
vous parle. De cette sensation si proche. Oh, ce n’est pas le
jugement dernier, ce sont nos simples mots qui s’enroulent alors
même que nous sommes un seul ruban dans les cheveux de la petite
fille qui sourit. Mais plus du même côté..
Oh oui, me laisser
haler le long du courant, glisser, comme on s’évanouit, dans les
plis de tulle que l’eau du fleuve exhalerait en une respiration
continue se mêlant à mon haleine..
Par terre des feuilles
comme une volée de monnaie tombée. Je les ramasse pour ma princesse
qui fabrique si soigneusement son herbier… Je l’observe. Je suis
assise dans mon fauteuil. Le bras droit replié, l’index posé sur
le pouce souligne ma lèvre inférieure, les autres doigts refermés..
Ce mouvement du bras
touche le bord du cadre. Elle semble cueillir une fleur avec un air
de petite fille. J’essaie de retrouver exactement ce qui la
transfigure ainsi. Comme si ce qui floute et assombrit son visage
s’était évaporé, les muscles de la figure allégés de ce qui
tire, pèse sur les traits, aggravant leur marque...
Manque
à ma cueillette la voix du fils, en qui sont ces voix, et la voix
extérieure, celle du voisin...
pardon demandé.
4 commentaires:
Photo : permanence du givre au soleil.
« le monde se fait au-devant de soi »
Voilà deux livres qui, par leur compte-rendu, pourraient se retrouver sur ma table de chevet pour une lecture urgente. ;-)
les longues phrases de Claude Simon
ah!! bonheur , y revenir
Quant à Jérémy Liron vais suivre son blog plus assidûment
(en contact permanent avec ses parents !! qui en parlent si fort )
Merci pour ces rappels précis
"découvrir des textes qui ne seraient pas encore écrits", un art de voyance, une belle invite pour mette la main à la plume. Un rêve d'enfant, un livre à venir.
Simon, un texte lui écrit, tellement écrit, sur-écrit.
Une grande lectrice ne peut qu'écrire des textes à venir.
Enregistrer un commentaire