Ce serait il y a longues
années, ce ne serait pas si loin
Ce pourrait être en 1920,
environ, ou 19 ou 21, ne veux pas calculer
Ce serait en un pays très
éloigné de la presqu'île, de Lyon, du Rhône et de la Saône
Ce serait très loin des
mères, grand-mères, femmes aînées et des amies
Ce serait une très jeune
femme, avec des douceurs rondes de l'enfance qui se devinent encore
Ce serait une très jeune
femme qui serait passée, le temps d'une guerre trop longue, des
cahiers et jupes courtes à la paix, les fêtes, les jeunes hommes
rescapés, les jupes longues dansant souplement, les grands
chemisiers blancs, juste à temps pour que les jambes se montrent
sous des jupes raccourcies
Ce seraient ces jambes
qui, longues, longues années plus tard, séduiront les passants qui
la verraient de dos.
Ce seraient ces chaussures
ridicules, petites preuves que veux attendrissantes des légers
dérapages d'un bout goût extrême sous l'effet d'une mode passagère
Ce serait cette jeune
fille devenue très vite jeune femme, jeune mariée, embarquée à la
suite d'un commandant à la belle moustache sur grandes dents
Ce serait un monde de
dames inconnues, protectrices mais peut-être juges, un peu, comme le
sont des relations
Ce seraient les conseils, la
tendresse d'une mère dans des lettres qui mettraient un temps dont
n'avons plus conscience entre le confluent et la légation à Pékin
Ce seraient peut être
appréhension, solitude, sourire, épanouissement, fierté de montrer à ceux qui sont loin ce petit brugnon en robe brodée
Ce serait l'effarement
léger, l'amusement (et cette jolie façon de le raconter) devant les
mandarins anciens élèves officiers, le petit vernis, les robes
brodées et les rots bruyants
Ce serait regarder, noter,
rester profondément la jeune fille de la presqu'île.. Ce serait le
début. Ce seraient, cachés encore dans un avenir indécis, des
voyages, des guerres, des responsabilités, des épreuves, les maladies des proches, les morts, des
amitiés solides, la rencontre de fortes personnalités, certaines
plus ou moins célèbres, et les liens qui se créent, souples mais
persistants, une grâce mondaine et une sensibilité profonde.
Ce serait une fierté
timide.
Ce serait peut-être
deviner, dans le petit sourire, le courage et la grâce, qui ne la
quitteront pas, peut-être aussi le petit noyau de principes
inaltérables dont sa petite fille héritera comme une chose
précieuse mais exigeante – un idéal vers lequel tendre sans
illusion – refusant seulement, avec révolte, les jugements sur
autrui qui peuvent en découler, peut-être un peu trop de confiance
dans les formes au risque de l'hypocrisie inconsciente.
Ce serait sur les genoux
de la jeune femme un petit être un peu boudeur ou interrogatif, qui
ne laisserait pas encore deviner le charme de la femme, la chaleur,
la fausse naïveté, l'humour (ni les côtés joyeusement
exaspérants), l'accueil et le talent pour la fête simple.
Ce seraient deux
guerrières discrètes.
Ce pourraient être, mais
ce n'est qu'une re-création, momentanée, approximative, un peu
rêvée, les deux femmes qui m'ont précédée, que tant ai admirées,
qui tant m'ont exaspérée, contre lesquelles me suis tant et si
violemment révoltée, peut-être de savoir que point ne pourrais
prendre leur suite et que devais trouver ma voie, ce que n'ai pas
réussi, que tant aime.
Ce serait demander pardon
d'avoir volé cette photo que n'avais pas, parce que l'aime.
Ce serait demander pardon
de ne pas l'avoir gardée pour moi parce que trop ai rêvé devant
elle.
Ce serait plaider que
c'est si vaguement en rapport avec la réalité, peut-être, que ce
pourraient être deux belles étrangères - que, si c'est superficiel et donc trahison, c'est de ne pas avoir osé nous impliquer, elles et moi, telles que vraies.
11 commentaires:
Deux femmes, une photo, des souvenirs, le rendez-vous en image, vue sépia non séparée.
Ce seraient peut être de la famille très proche
Les rêves sont parfois si beaux qu'il faut les partager. Quel magnifique cadeau , pour ces femmes et pour nous. Merci.
Ce serait peut-être l'incipit d'un roman, l'homme presque flou dans l'encadrement de la porte.
J'-a-d-o-r-e !!!
♥ ♥ ♥
Jeandler je ne crois pas que l'homme sur le seuil soit le bon.. un ami
Allez, Brigetoun, on t'a reconnue !
:D)
Évocation énigmatique d'un monde qui nous est inconnu et qui a donné prétexte à une prose tout aussi énigmatique et très belle.
Tout un pan de vie
et tant d'évènements passeront devant les yeux et dans les coeurs de ces belles personnes
Un grand hommage dans tes lignes
Un beau texte inspiré de cette belle photo ancienne. Ce serait les deux femmes qui t'ont précédée...sinon elles te les ont bien rappelées...
Beau partage avec tes lecteurs. Merci.
Beau texte qui va au coeur.
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