Chère Brigitte,
Ce n'est que la sixième fois, ce vendredi 5 juillet,
que je participe à cette aventure des vases communicants... et j'ai
déjà cette chance magnifique d'échanger avec toi… sur une ville
imaginaire qui est en nous ! C’est un thème magnifique. Immense
et, en même temps concret. On peut faire ce que l'on veut, se
laissant libres d’imaginer dix, cent, mille villes particulières
et étranges, où l'on n'a jamais posé vraiment le pied, en les
décrivant vides ou combles de gens affairés, sombres ou lumineuses,
gaies ou antipathiques ; en les recréant aussi par le biais pourquoi
pas ? d’un collage en 3D.. Dans chaque ville on peut retrouver
toutes les autres villes qu'on a vu ou qu'on a cru voir dans le
monde. Par exemple, dans certains quartiers de Paris, je retrouve des
coins inoubliables d’Italie. À la Place des Vosges, je croise
Bologne. À la Concorde et dans le Marais, je suis à Rome. À
Montmartre, je monte et redescends dans les ruelles de Naples ou de
Gênes. Je me plais à Venise lorsque je me promène au long du canal
Saint-Martin. Je trouve Florence dans le Louvre et Parme dans le plus
envoûtant roman de Stendhal.
Si d'un côté je peux imaginer avec joie et sans
effort une ville qui n'existe pas sous un ciel sens dessous dessus,
de l'autre côté, j’hésiterais à m'approcher d'une ville ayant
un nom et une histoire sans qu’il ne s'en déclenche tout de suite
un travail frénétique et tout à fait banal, mais nécessaire. Car
Paris est Paris, Rome est Rome et Avignon est Avignon, tandis que
Bologne est Bologne et Parme est Parme. Même si pendant 68 ans à
peu près, de 1309 à 1377, Avignon a été Rome, et que Parme,
durant 128 ans, de 1731 à 1859, a été «française».
(http://fr.wikipedia.org/wiki/Parme
) Il me devient tout d’un coup indispensable, alors, de me rendre
compte, par exemple, en remontant dans le brouillard (ou dans le
mistral) du passé, combien les Papes, parfois bras dessous bras
dessus avec les Rois de France, se sont mêlés dans l’Histoire
d’Europe, en rendant cousines ou demi-sœurs entre elles non
seulement Paris et Rome, mais aussi Avignon et Parme, ou Bologne, la
Provence et l’Italie…
Je ne pourrais pas me passer du fait qu’Avignon et
la Provence se trouvent là où elles se trouvent, des villes, des
territoires et des gens qui ne laissent certainement pas indifférents
les voyageurs, venant de Gênes et Sanremo, qui désirent monter à
Paris ou alors s’aventurer vers Carcassonne, Toulouse et Bordeaux… Combien de fois j’ai frôlé avec les roues de ma voiture, donc mes
mêmes souliers, ce merveilleux triangle créé par le delta du Rhône
? Combien de fois l’ai-je observé, ce triangle, depuis
le hublot de l’avion descendant à Montpellier pour y saisir la
glorieuse ligne de l’AIR LITTORAL ?
D'abord, je ne peux pas oublier d'avoir vu la
première fois Avignon dans l'été 1958, la même année de Paris et
des châteaux de la Loire, avec mes parents. De quoi me souviens-je ?
D'une immense cheminée dans les cuisines du Palais des Papes... Plus
récemment, en 1982, nous étions en course avec ma nouvelle fiancée
pour atteindre l'Espagne. Je me rappelle la perception soudaine d'un
sentiment de petitesse et de peur lorsque les phares sont tombés sur
une plaque bleue (dans le noir de la nuit) avec une redoutable
inscription : LE RHÔNE...
Tandis que j’écrivais à Brigitte pour lui raconter
l’embarras qui me tenaille toutes les fois que je dois partir…
l'ordinateur a explosé. Sans brûler, heureusement. Dans un petit
billet jaune qu'une déesse bandée avait collé sur l'écran noir il
y avait un nom : TERBOLRONDE. Le nom que Brigitte m'adresse c'est la
personnification de celui ou celle que nous attendons sans le savoir.
Tous deux, Brigitte et moi, nous considérons les villes comme des
personnes faites de tuiles et de briques bien sûr, de grilles en fer
forgé et de jardins suspendus au sommet des toits... Cependant, pour
nous, les villes sont faites surtout des êtres en chair et os, qui
les habitent le temps d’un jour ou d’une vie, peu importe.
Je ne saurais pas découvrir un nom ainsi beau que
Terbolronde. Mais je partage tout à fait l’idée de Brigitte
Célérier d'aller à l'essence d'une parenté possible ou pour mieux
dire d’une «vase-communication» heureuse entre Bologne-Parme et
Avignon et d'y découvrir une constellation de points communs.
Quant à moi, je n'oublie pas qu'une des deux tours de
Bologne s'appelle Garisenda, qu'à quelques kilomètres d'Avignon il
y a le Pont du Gard, que sous le pont d'Avignon on y danse.
D’ailleurs, au-delà des Papes qui ont laissé des traces partout à
Bologne et Parme comme à Avignon, ce sont surtout les anciens
Romains qui ont su coudre un lien solide entre ces deux pays, la
France et l'Italie, qui ensuite ont hérité plus que les autres de
cette grande culture et civilisation.
Gardisende ? Garderomaine ? Pontignonne ?
Avigarde ? Voilà, c'est décidé : Ponthagard
Journal de bord à Ponthagard
A
: Amitié confortée par un mur ensoleillé de couleur beige.
Ponthagard, un labyrinthe invisible. J'y cherche
quelqu'un. Un ami, une amie, moi-même, peut-être. J'y rencontre mon
ancienne prof de français qui se promène, bras dessus bras dessous,
avec un Hollandais de La Haye, très sympathique. Ils m'invitent chez
eux, dans cette ruelle sur la droite d'où vient maintenant de sortir
leur petite-fille.
V : Vendredi vert.
Je ne m'attendais pas à cette paroi verte s'imposant
agressive et pourtant légère. Elle ne manque que de la parole. Je
m'adresse alors à Hortense, mon ancienne maîtresse du lycée, mais
elle est disparue avec son ami Jan, collectionneur de sons et
mémoires... C'est ça, son métier ? Une petite voix sortant des
lierres me rappelle gentiment qu'il faut se dépêcher : «Il est
vendredi, déjà, tu risques rater ton rendez-vous avec les vases
communicants !» Elle me conseille de m'accrocher à cette liane
robuste, peut-être une main courante cachée sous les feuilles
longues et pointues. J'ose.
I : Illusion optique et dépaysement.
Cette ville me surprend et m'étonne. Je l'avais
imaginée plate, pourvue de larges avenues, avec un petit centre
historique (la cité) enroulé comme un escargot autour d'un grand
palais de seigneurs (ou de papes). Au contraire, je ne finis pas de
monter. Là-haut, derrière les deux fenêtres qu'on voit bien
ouvertes, apparemment abandonnées, on entend un bruit typique de
discussion littéraire. Il faut que j’aille, car ainsi je pourrai
justifier mon escapade. Mais, comment faire pour y grimper sans me
casser le cou ?
G : Grand guignol.
La ville même me suggère la réponse à mes tourments.
Elle est ici, elle est là, quelque part dans cette ville hagarde où
tout le monde s’est donné rendez-vous. Dès que je me suis rendu
dans cette place, conseillé par les nouveaux amis des vases
communicants, j'ai immédiatement rencontré tous mes anciens
camarades du lycée sauf une... celle que je cherchais. Ces Italiens
distraits et insouciants ne se sont pas beaucoup occupés de moi.
Personne n’a prononcé son nom, et j’ai eu honte à le demander.
Mais, puisqu’ici je ne fais que faire de rencontres de toutes
sortes, je veux me convaincre que c’est ici, dans cette ville le
fameux Aleph dont nous a parlé Borges… Donc, forcément, elle
aussi… Mais, est-il possible que soit là cette demoiselle, madame,
mère et déjà grand-mère, cette mignonne aux cheveux tombants...
unique manège à moi ? Oui, elle «doit» se nicher ici, là,
quelque part...
N : nœud intime à dénouer.
Je me suis convoqué ici à Ponthagard pour accomplir
cette tâche. Même là-haut, dans cette vaste chambre envahie par
les feuilles, donnant sur les collines, toutes les gens savaient. Les
amis des vases me parlaient tout en regardant dehors, comme il arrive
en voiture. C'était très solennel. «Tu la rencontreras, m’a dit
Dominique, avant de faire une photo pour son blog. — Vous ferez
ensemble le tour des remparts, a ajouté Élisabeth, tout en
travaillant à “ses” remparts poétiques en vers alexandrins.
Vous l’avez voulu, a conclu Lucien, tout en fixant la rose des
vents. Ensuite, quelqu’un, peut-être Anna, a fait glisser dans ma
poche cette adresse : — si tu ne la vois pas tourner sur un cheval
de manège, elle sera bien sûr dans la “rue poétique”. Voilà,
j’y suis depuis une heure. J’ai vu passer tout le quota
romantique de la population mondiale. Mais ce n’est pas une chose
qui peut arriver à moi de rencontrer ici mon âme sœur. Se serait
trop beau ! Je dois chercher ailleurs…
O : opéra et musique.
Une phrase me torture : «l'inutile précaution»
d'avoir apporté une longue échelle et les outils pour grimper une
montagne tandis que nous sommes, en fin de compte, dans une ville au
bord d'un grand fleuve. Pourtant, cette expression cruciale pour le
dénouement du Barbier de Séville de Rossini garde au fond, pour
moi, la promesse d’un final heureux. Car il y a probablement
quelqu’un qui a verrouillé mon ancienne idole dans quelques
cagibis ou dans les souterrains du grand palais des Papes. Je
trouverai la force d’ouvrir cette grille rouillée… Mais, je ne
suis pas un héros, je chancelle, étourdi, dans cette ville comble
de gens, d'étalages, de musiques dans la rue et de canaux en fête.
Auprès de ce platane, appuyé à ce parapet je me penche vers l'eau
au risque d'y tomber dedans. Je n'ai pas honte de vomir.
N : nous.
Nous sommes là, étendus sous le pont hagard. Je te
retrouve, cinquante ans après. J'aurais dû le savoir qu'il y eût
cet endroit où l'on trouve toujours ce que l'on cherche. Tu hoches
de la tête, car tu as raison : ce n’est pas la peine de
s'interroger en se demandant combien d'eau est passée sous ce pont.
Pourtant cinquante ans c'est beaucoup pour un soupirant dévoué et
une charmeuse fugitive. «N'y pense pas, même pendant un seul jour
ou une seule nuit nous sommes ici : nous.»
Merci dis à Giovanni Merloni
pour m'avoir proposé cet échange.
Merci lui dis pour sa lettre
et sa jolie quête-fable à Ponthagard, à partir d'images choisies
chez Paumée
Merci lui dis
d'accueillir chez lui, sur son blog joliment appelé le portrait
inconscient http://leportraitinconscient.com/
ma presque docte description de Terbolronde, rêvée à partir de
quatre de ses dessins.
Tiers
Livre et Scriptopolis sont à l'initiative d'un projet de vases
communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog
d'un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les
échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des
liens autrement… "Ne pas écrire pour, mais écrire chez
l’autre.".
La
liste des participants, que j'espère correcte, se trouve sur
http://rendezvousdesvases.blogspot.fr,
dédié à ce seul usage, et ci-dessous, si vous le préférez.
4 commentaires:
Joli portrait de la cité historique qui a su garder en son sein, comme Ispahan, comme Prague, comme Sienne,... la pesanteur des pierres et le parfum antique mais léger des sociétés passées.
Avignon revisité par un regard d'origine italienne et la ville s'est transportée dans d'autres métropoles, dans d'autres souvenirs : magie du déroulé photographique et mental.
Mince, moi qui connaît si bien Pontdugard, je n'ai rien reconnu du tout !
:D)
Ton vendredi vert est une merveille
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