intérêt plus que
relatif
Me restaient une pomme,
deux pots de tapenade, un pot de rouille, deux sortes de moutarde,
une provision de pâtes, du café, du thé, et trop de fromage, des
pots de sauces tomates et de coulis, des joues et un petit bloc de
morue, quelques Pompadours et six bintjes
m'est venue, portée par
je ne sais quoi, ma grand-mère peut-être et Lyon, une envie de
crosnes, ai pris un couffin, m'en suis allée
dans les rues, dans une
douceur un peu aigrie, une fraîcheur revenant, les yeux dans les
bruns et roses des arbres qui buvaient la lumière splendide et
roide, le bleu ardent, y noyant les petits soucis, les
incompréhensions, toute velléité de penser
suis tombée sous le
charme, au moins visuel, de petites pommes de terre rondes joliment
naïves (ai appris ensuite qu'elles avaient nom Miss Blush, que leur
variété était originaire de Hollande, qu'elles avaient chair drue
et ferme de demoiselle) – ai rempli inconsidérément mon couffin
et un sac de légumes de saison, de morue, d'un bidon d'huile d'un
litre, légèrement sophistiquée, à défaut de mon huile habituelle
qui manquait cette semaine,
et m'en suis revenue, avec
de petits arrêts pour bailler aux feuilles volantes et reposer mes
mains - un petit salut navré aux arbres fraîchement taillés en
haut de la rue Saint Etienne.
ai déballé morue en bloc
et en filet, l'huile,
la tranche de courge parce
que de joyeuse couleur et parce que la saison,
les navets parce qu'aimés,
les topinambours parce que
navet qui ne pique pas, et qui rêve un peu de noisette,
les crosnes parce que
légèrement comiques, petits tourbillons anarchiques, infiniment
moins contraignants à manger qu'un artichaut, moins filandreux et plus doux encore que
les gros
les chayottes pour la fraîcheur du goût
les conférences pour
qu'elles fondent en sucre dans ma bouche
le reste
ai rangé, cuisiné,
sagement engraissé ou tenté de
me suis plongée
distraitement mais avec amusement dans la lecture de la liste des
variétés, anciennes, disparues, sur
http://moulin.chauffour.free.fr/pomme_de_terre/anciennes_varietes_pomme_de_terre.htm
m'interrogeant sur ce qu'est l'Adonis, m'indignant de l'interdiction
de l'Arran Banner, rêvant un peu, légèrement tout de même, je me
remettrai de mon ignorance de la jaune hâtive d'Ecosse, la farineuse
rouge de Chazeirollettes, la feuille d'ortie, la fleur de pêcher et
le flocon de neige, les Francescas du Chili, la Franschen puisqu'elle
a donné la bintje, la marseillaise, la nouvelle souris des
Pays-Bas, etc... et même la proffesseur dont on se demande si c'est
une nouvelle variété ou si elle fut signalée par son producteur de
Pont-Aven après un chouya trop de Chouchen.
À vrai dire ai lu un peu plus, autre et j'ai commencé aussi
la lecture ravie des premières pages de l'Eloge
du tyran de Giorgio Manganelli, parce que
François Bon est un éveilleur de curiosité et que j'y cède
parfois http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3486
(le
Discours de l'ombre et du blason est
dans ma pile)
Tout ceci est palpitant,
n'est-il pas ?
Mais tout de même, ce
plaisir de découvrir l'intelligence allègre de Manganelli, et, par
exemple, ceci, un peu avant le chapitre 8 où me suis arrêtée
En face l'un de
l'autre, Bouffon et Tyran, je Vous adresse ce stupide jeu de lèvres,
et Vous me soufflez le gel de votre terreur, cette terreur qui paraît
nécessaire à mon rire, à mon humeur railleuse ; car c'est
uniquement pour le Tyran que je deviens Bouffon ; seule la peur,
parce que je sais que vraiment le Tyran peut me tuer quand et comme
il veut – et ce «comme» n'est pas sans importance -, seule la
terreur peut toucher aux sources les plus profondes du rire, peut
m'abêtir à point, de sorte que je trouve – je ne sais plus si
c'est par épouvante ou par vivacité naturelle – les saillies, les
boutades, les jeux de mots, les délicatesses palindromes qui me
rendent indispensable. Et peut-être le Tyran ne parviendrait-il pas
à habiter son gel, n'oserait-il pas être soi-même, vivre avec sa
maligne horreur, si ne l'assistait – notez bien : l'assistait, non
pas : le consolait – l'inspiration trouble du bouffon....
10 commentaires:
Ne connaissais pas la Miss Blush, qui a bien belle allure.
Aucune faute gastronomique ni éthique avec ces légumes de saisons. Amour partagé des crosnes, navets, topinambours et autres racines de saison.
La lecture, elle, nous couronne tous.
J'ai une recette de navets au miel et copeaux de cannelle...
mais j'ai un peu oublié que dans mon cas ces aliments doivent être considérés comme condiments
Bel assortiment : le mystère des pommes de terre vous tyrannise !
surtout gourmande des mots de leurs, fruits et autres (presque plus que de la réalité)
Magnifique, tout et tout. (nourritures terrestres et spirituelles comme dirait l'autre)
(je ne sais as quel autre par contre :-))
Christine sourire :)) sourire
Faudrait que je mette sur mes parcours quotidiens les Halles de mon quartier. Vous m'en inspirez la visite et, même, une fréquentation assidue ;-)
c' est beau de nous faire entrer dans votre maintenant ; mélange des nourritures du ciel des arbres de la lecture
Tu trimballes et tritures et tripatouilles les mots et les choses avec bonheur
Merci "Votre Honneur"
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