ouvrir les volets bleus
sur la fraicheur d'un monde subaquatique où la lumière tente
d'advenir
passer le jour, et faute
de mots à offrir à paumée, reprends le jeune mort publié chez les
cosaques des frontières http://lescosaquesdesfrontieres.com
Ce serait –
22 – le jeune mort
Lorsque je suis entrée
dans une des salles donnant sur le jardin, lors de ma première
visite à Calvet, je l'ai vu face à moi, l'ai reconnu avec un
sentiment de familiarité, pour l'avoir souvent rencontré dans des
livres – et l'ai salué, mentalement, d'un «tiens ! tu es là, toi
?».
Et comme il est si
charmant, dans son camaïeu beige, légèrement contaminé par sa
chair rose pale, celle qui teinte les ombres, qui s'affiche sur ses
douces pommettes, les ailes du nez, la bouche entrouverte et ses
orteils abandonnés, couché sur la terre pailleuse, dans une guerre
que seul un drapeau fantomatique porté par une idée d'homme brune
évoque, comme un prétexte, ce jeune Bara, je passe le voir chaque
fois.
Et j'admire l'union des
tons du sol, de l'air et de ce corps allongé, offert, en travers de
la toile, émergeant par le doux modelé des membres, corps esquissé
sur la préparation, les grandes virgules d'ocre brun clair du fond
qui m'évoquent des nuages emportés, redressé dans un appel
interrogatif, joue appuyée sur un rocher qui n'est là que par le
trait qui marque sa jonction avec le sol.
Peut-être à la longue
s'est il habitué à cette petite vieille, et pourrais-je continuer à
l'apostropher.
Ce serait lui dire, comme
d'autres qui l'ont certainement pensé et parfois formulé :
oui mon enfant, tu es
charmant
tu le sais d'ailleurs,
je le crains, n'est ce pas ?
mais mon enfant ne
reste pas ainsi,
recroqueville toi un
peu dans la mort, laisse son désordre te tordre, ta face retomber
sur la poussière avec une petite grimace, après avoir jeté ton
dernier souffle, ou mieux, tords la dans un cri de défi
parce que tu ne fais
pas très mort en mort brutale,
parce que tu es un peu
trop serein, comme n'ont droit à l'être que les vieillards
s'éteignant dans leur lit, entourés de leur descendance
un mort serein, avec
juste une petite plainte presque inaudible, un appel au sens
incertain
parce que tu es un peu
trop charmant, sais-tu ?
tu évoques plutôt un
des charmants Saint Sébastien, juste un peu plus jeune que la
moyenne - mais on peut préférer les pré-adolescents - que l'on
aurait délié, et soigneusement déposé sur le sol, ces charmants
Saint-Sébastien un peu trop troubles pour être pieux
parce que tu aurais dû
insister pour que Jacques-Louis David n'en reste pas au plaisir de
l'étude de ton nu
qu'il te vêtisse –
oui, bon je sais, ça fait conseil de vieille femme – mais si, te
vêtir, comme il l'a fait pour les assistants au serment du Jeu de
Paume – tu sais j'ai perdu, irrécupérable après long plongeon
dans l'eau, un merveilleux livre édité par les Monuments
historiques, qui donnait tous les nus esquissés, en diverses
postures, des glorieux apprentis révolutionnaires, mais ensuite il y
a des études en costumes de ces mêmes corps et des plis que font
les tissus qui les couvrent, qui nient souvent les corps
Peut-être a-t-il
hésité trop longtemps entre l'uniforme des hussards et les habits
d'un jeune tambour, puisque les gravures qui te représentent
hésitent entre ces deux solutions.
Comme il ne s'est pas
résigné à évoquer ta blessure...
Les conventionnels qui
lui avaient commandé ton image, pour l'édification du peuple,
auraient-ils admis que tu sois ainsi représenté, victime
certainement, mais si peu guerrière et glorieuse - même si tu
presses bien sur ton coeur, comme David le disait dans son discours,
la cocarde tricolore, en mourant «pour revivre dans les fastes de
l’histoire» - lors de la fête prévue le 10 thermidor an II, pour
ton admission au Panthéon, si les évènements de la veille ne
l'avaient annulée, si David n'avait pas abandonné sa toile, te
laissant en cette perfection ?
Et
bien entendu, il ne me répondrait pas, ou simplement laisse
moi, je me repose, je me fonds dans le sol, sachant
bien qu'il est, en cette image, trop intemporellement beau pour cela.
6 commentaires:
Magnifique oeuvre inachevée ... comme cette jeunesse arrêtée en plein vol...
votre dialogue avec lui est touchant, compassionnel et maternel.
Merci pour ce beau regard porté.
Vous l'avez encore fait ressusciter (nn ne saurai s'en plaindre... :-) !
ça c'est très gentil - merci
Tant de jeunes morts en ce monde
leur chance anéantie
à jamais abolie.
Il dort en douceur , beau et tendre
Bravo pour ce texte
Brigitte, ne l'avais jamais vu, mais me sens le reconnaître tout autant
empathie, toute beige qu'elle est
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