Suis partie un peu avant
quatorze heures sous soleil plombant et dans ville qui vivait
gaiement dans une belle puanteur.. ai enjambé une des premières
affiches tombées en lui disant «moi ? Rien soyez en paix»
et arrivée aux remparts
et au belles zones d'ardeur sans ombre, ai pensé que, par ma foi,
étais vaillante et j'ai renoncé à l'attente énervée d'un bus
dans petit attroupement...
guettant tout passage
ombreux, les dégustant, croyant me tromper et prenant une
transversale pour rejoindre autre avenue, m'énervant contre moi,
avançant sous le jet de mon brumisateur
saluant comme un petit
miracle le bloc de la Fabrica aperçu entre les arbres
et montant vers le haut
des gradins, avec étapes pour ne pas soumettre trop rapidement le
corps qui expulsait la chaleur emmagasinée à la clim redoutable
(j'ai eu un peu froid avec mon petit tee-shirt)
avais mauvaise place dans
les derniers rangs, au milieu, ai persuadé voisins de permuter
(étaient ravis de rejoindre le centre, et moi, horreur, je guignais
la droite) et puis ; comme officiellement il n'y avait plus de
place à vendre mais qu'en fait il y avait plein de places
inoccupées, suis, avec autorisation, descendue au quatrième rang –
ai réalisé que je gênais le photographe qui tentait d’immortaliser
Py assis derrière moi et me suis retrouvée au premier rang, presque
au centre, si soulagée que, malgré ou à cause du plaisir, il m'est
arrivée, pendant la première partie, d'avoir de fortes absences
(heureusement ce que je voyais était intelligent, joué avec un
bonheur de détails non soulignés etc... et il s'agissait d'une
adaptation des arbres à abattre de
Thomas Bernhard que j'ai dû lire deux ou trois fois ce qui me
permettait de retomber dans l'action ou le récit) – texte de
Thomas Bernhard donc, adapté et mis en scène et lumière par
Krystian Lupa (avec des passages dits apocryphes de Lupa et quelques
improvisations des formidables acteurs du Polski Theatre de Wroclaw)
retrouver
le texte qui avance parfois par répétitions imperceptiblement
changeantes- mise à nu du monologue intérieur dit
Lupa -, retrouver l'ironie (y compris dans le jeu) pas si cruelle
finalement, par petites touches qui soulignent, et le rire qui fuse
comme une émotion, retrouver la violence par accès, et entendre
presque une partition, grand soin d'unir les différentes voix,
audibles ou murmurées, les bribes de musique etc..
Bon
là je pars vers la cour d’honneur – reprendrai de façon que
j'espère concise, quitte à être sommaire, en rentrant -
Et
je reprends, à une heure 20 sous cette photo de Nathalie Kabanov
trouvée je ne sais plus où sur le web, toute heureuse de parler
encore un peu, rapidement, d'un spectacle réussi, ou mieux.
Sans
reprendre mes notes gribouillées sur le programme, dire que Lupa
marie à merveille ou plutôt alterne, avec intelligence, le
ralentissement du temps (ai aimé même si cela m'a couté de partir
quelques minutes avant la fin – durée déjà dépassée d'un gros
quart d'heure) et l'accélération, la fusée éclatante des moments
de crise.
Un
gros cube avec des cloisons amovibles, permettant parfois de voir le
cadre de la scène et selon les moments une rue, une spirale
énergique pour accompagner la colère, des arbres, gros cube monté
sur tournette qui est actionnée avec discrétion par quatre hommes
quand besoin s'en fait sentir, gros cube occupé principalement par
le salon des Auersberger, ou la salle à manger pour le dîner au
comique réjouissant sans lourdeur, avec une petite cellule séparée
qui sert aux souvenirs de leur vie avec Joana – le fauteuil de
Thomas Bernhard étant installé sur la scène dans un coin, juste en
dehors de ce petit monde mais en liaison
un
grand écran occupe la partie supérieure, sur lequel sont projetés
des petits films pour les actions extérieures quand Bernhard se
souvient, notamment, de la rencontre avec les Auersberger, de
l'annonce du suicide de Joana de l'invitation à ce dîner.
un
entracte, un demi-cigare, un bon café, une petite errance dans la
cour et on reprend avec le dîner, le grand acteur étant enfin
arrivé (je pars du principe que vous avez lu le livre, si ne l'avez
pas fait mon ordonnance est claire, ou mon conseil, lisez-le)
etc...
et c'est dans cette partie qu'est la plus virulente la critique, le
constat de la courtisanerie dans laquelle tombent ces artistes qui
avaient eu tant d'idéaux, et de la mort pour la culture résultant
des politiques dites culturelles – enfin très en gros – avec
entre autres une superbe colère de Bernhard.
Ai
aimé le mélange de taciturnité et de véhémence, à cet instant, de
Piotr Skiba dans ce rôle, la beauté tragiquement fêlée de Marta
Zieba en Joana, tous les rôles et notamment Halina Rasiaköwna qui
joue Madame Auersberger, s'efforçant de faire front avec urbanité
et grâce, un chouïa d'ironie, mais vraiment peu, au désastre de
cette soirée (aussi énervée que l'est l'écriture de Bernhard aux
yeux de Lupa), et changeant quatre ou cinq fois de robes avec
l'élégance d'une ancienne beauté.
Seulement
comme voulais avoir le temps de remplacer jean par une jupe droite en
grosse guipure, d'arroser, de me vider l'esprit, reposer cinq
minutes, faire cuire patates, commencer billet etc.. et comme
Bernhard alanguissait de très belle façon (j'aimais bien mais...)
ses adieux à ses hôtes, m'en suis allée au bout de quatre heures
et quarante cinq minutes, sans doute dix minutes avant les saluts…
Je
rassemblais mes forces, je commençais à marcher d'un pas vif et
ferme, quand un bus m'a doublée, ai levé le bras, il s'est arrêté
à ma divine surprise,
ce
qui m'a permis d'être presque guillerette en arrivant dans l'antre.
Et
suis repartie, avec jupe mi-longue, le tee-shirt encore passable et
l'étole achetée avec Hannelore à La Haye qui s'est révélée
utile à partir de minuit, dans le plaisir de retrouver la montée
des marches, l'ambiance de la première représentation, le mur, et
dans une crainte contre laquelle je me gendarmais, parce que j'aime
le roi Lear et que
j'ai deux beaux souvenirs (dont Sivadier dans la cour en 2007) et
que, honte à moi, j'ai un très fort préjugé anti Py... sans
grande raison.
Et
me voici rentrée, navrée de constater que, ben, j'avais pas
vraiment tort. Points forts, le mur est utilisé ou n'est pas nié,
le décor semble relativement sobre au début (en fait une grande
partie du plateau se démonte pour créer une fosse remplie de terre
dans laquelle se déroulera la partie folie dans la tempête, ce
moment qui doit être émouvant et un peu épouvantant, qui est
passablement comique), Py donne énormément de travail à des
intermittents qui déplacent sans arrêt le lit, le piano, les
éléments de la palissade et les escaliers qui se cachent derrière,
créant parfois de très belles images (ce qui permet les deux photos
de Christophe Raynaud de Lage que j'ai trouvées) et parfois
semble-t-il pour le simple plaisir de créer de l'animation
autre
point fort, la programmation musicale, le piano en alternance avec
des bandes enregistrées nous offrant pour mon plus grand plaisir un
peu de Chopin en entrée mais aussi Sciarrino 2 fois, Philippe
Hersant 2 fois, Gérard Grisey, Giacinto Scelsi 3 fois, Crumb 2 fois,
Gallina Ustotskaia que point ne connaissais, Ligeti, Penderecksi.
La
traduction est d'Olivier Py qui a cherché une langue rapide comme
l'est selon lui la langue de Shakespeare, qui perd très souvent de
la poésie, mais pas toujours, qui tombe parfois
dans une vulgarité plate mais sait aussi donner de beaux moments,
des énumérations crues et savoureuses à Kent ou au fou (les deux
acteurs que j'ai préféré Eddie Chignara remarquable pour le
premier et Jean-Damien Barbier.. bien aimé aussi, et pas seulement
parce qu'il est beau ce jeune homme, Nâzim Boudjenah qui joue Edmond
et qui fait de ses retrouvailles avec son père le moment le plus
émouvant de la pièce), Lear est joué avec une belle conviction par
Philippe Girard mais est-il trop jeune, trop fort.. je ne sais, il
n’accède jamais parfaitement, sauf un peu à la fin, au tragique.
Quant
au reste, disons que c'est souvent navrant, de belles idées
inabouties, des moments ou choix qui m'ont semblés sots...
Il
n'y a eu que quelques départs, mais je sentais mes voisins
flottants, s'ennuyant peu à peu (ah j'étais au premier rang à la
limite de la première allée, une bonne place)
et
les acteurs ont affronté une belle houle de huées mêlées à
quelques applaudissements de leur public qui était jusque là resté
bien sage.
Pas
scandaleux, juste un ratage…
mais
il est dommage que les arbres à abattre
ne se jouent que quatre ou cinq fois.. parce que, vraiment, c'est du
tout bon spectacle.
Sur
ce, j'ai faim et sommeil
9 commentaires:
Trotte soleil
côté ombre
trotte menue
trajet mal orienté, au mitant du jour à part les tunnels sous chemin de fer c'était soleil dardé sur crâne et épaules, tout fret
bon, me rendors
Bien lu et ressenti par ton regard '"Lear" le verrai le 5 Novembre à Toulon!!! avec une certaine appréhension
Bravo pour ton énergie communicative
Vous avez commencé par un vrai marathon...
Le Roi Lear : peut-être a-t-on connu pis ?
Dominique, joli !
Arlette en fait il y agit tant d'idées que j'étais navrée pour lui de cette bronca de nous, public, qui m'a fait penser que n'étais pas seule à ne pas avoir franchement adhéré
peut-être que cela trouvera son rythme..
resteront la sexualité un peu bétassou, le côté caca boudin qui demande de la force pour prendre sens, et là la force n'y avait pas
Merci Brigitte pour ce billet qui me permet de suivre à distance ce qui se passe à Avignon. J'aurais vraiment voulu voir "des arbres à abattre", mais sa programmation ne correspondait pas à mon emploi du temps. Il reste le texte pour se consoler et après tout c'est l'essentiel. Quant à ta critique de Py, sans l'avoir vu, je pense que c'est justifié, son côté grosse farce burlesque prend de plus en plus le pas dans son oeuvre et à mon avis, il pourrait s'en passer. Il vaut mieux que ça.
assez triste en fait
pour les arbres Lupa sort magnifiquement le texte, pas évident...
Le bon spectacle te met en appétit ...et te donne le sommeil
Bonheur de vous lire au matin...
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