sortir dans cour, corps
moite déjà, lever les yeux, petit point brûlant dans un sourcil,
et voir que non, les nuages d'hier ne sont plus là, non rien ne
confirme la venue de la pluie annoncée.. saluer les deux vaillantes
promesses du rosier qui a décidé de ne pas mourir, entrer dans le
jour, ou le tenter
Toutes les météos (sont
jamais parfaitement d'accord) annoncent forte pluie entre neuf et dix
heures du soir, et mon envie d'assister à retour à Berratham,
esprit de contradiction
renaissant, prend de la force... penser pour une fois placement
libre, et le spectacle de danse rituel, et rituellement consensuel
(cela semble heureusement plus ou moins loupé cette année) pour
saluer le retour des avignonnais qui désertent pendant le festival,
donc nécessité d'y être avant, donc saucée...
Et
pendant que lentement ceci tourne dans mon crâne douloureux, en
profiter pour ronger le tas de repassage, une heure pour cinq robes
et un pantalon, constater que tête baissée la douleur diminue,
constater qu'il y a des places libres jeudi…
Suis
donc partie, à pas lents et souples pour éviter de secouer caboche,
dans les rues qui n'ont plus qu'animation aimable, vers la Fnac pour
me renseigner.
Bien
entendu, le ciel étant radieux, rien n'est prévu à cette heure
pour une éventuelle annulation, et les places libres demain sont en
deuxième catégorie (quant à Cassandre
de Jarrell, qui était complet dès le premier jour, il n'y a encore
aucune place libre)... conseil donné, tenter le coup…
suis
redescendue tranquillement par petites rues vers Calvet où l'Adam a organisé, les 21 et 22, des lectures d'écrits d'artistes,
pour le plaisir, tant pis, tant mieux, d'un tout petit public.
Arrivée
à la moitié de la lecture par Dominique Reymond, petit sourire,
voix claire, précise, sensible avec discrétion, comme son texte
d'extraits de son journal de répétitions avec Klaus
Michael Grüber pour la
Mort de Danton à Nanterre en
1989, notes où l'on voit passer Aillaud et Arroyo, André Wins et
André Marcon, et, surtout, bien sûr, Grüber, et ce m'était
plaisir, comme la lumière sur la façade, les quelques présences
souriantes...
ne faîtes pas comme si
ce que vous dites était important...
.. tout n'est que
phrases perdues dans la nuit…
une
pause à midi et puis lecture par trois des acteurs qui jouent la
trilogie du revoir à
Aubanel (y vais demain et je choisis de croire en la justesse de
l'emballement de deux gamins dans la file d'attente du Bal du cercle)
Garlan Le Martelor, Edith Proust et Hélène Rencurel qui font courir
entre eux des poèmes d'Emmanuelle Riva.
Paysages
(un merveilleux pré en été), Dieu, les guerres, fantaisie, amour,
tendresse, clarté...
une part du ciel entre
dans mon ventre...
je me souviens du bleu
de ma mort et du bleu de la vigne en Périgord...
et les
cigales les accompagnaient (la chaleur les met en pleine forme, et
nous vivons dans leur bruissement) et je regardais la tendresse des
branches du platane qui s'écartaient au dessus de moi
je prends feu d'aimer
vivre...
je vois le cri dans
l'eau de la souffrance..
bribes
arrachées quand ma main en avait le temps, que l'esprit arrivait à
figer un instant le cours des mots..
et
puis, un quart d'heure avant la fin et treize heures m'en suis allée
faire ma cuisine, sieste, mal à en sortir, etc... comme tous les
jours.
Seulement
suis têtue, seulement avais besoin de rêver que j'étais capable de
forcer la chance, alors suis montée à 17 heures 30 vers l'opéra.
La
liste d'attente auto-gérée pour Cassandre
était de 32 personnes, 33 ensuite et cela a continué, ai décidé
d'attendre, me sentant si fatiguée pendant ces 35 minutes ou un peu
plus d'attente tout de même assez comprimée sur les marches, qu'aux
rares moments où l'ambiance s'échauffait je n'étais pas certaine
d'avoir force et donc envie... mais nous étions, par chance, entre
gens hautement civilisée, et, à part deux petites vieilles plus
agressives que moi, que j'ai laissé passer avec une révérence, ai
pu rentrer, et huit personnes de plus... comme la chance était
décidément avec moi, ai eu une très bonne place... ai tenu le
coup, étais heureuse
N'avais
pour ce désir que ceci dans le programme
« Avec ce récit, je
descends dans la mort. » Cassandre-la-Troyenne est lucide. Vaincue
par son destin, il ne lui reste qu'une heure à vivre. Elle sait
que la malédiction d'Apollon l'empêche d'être entendue. Elle a
appris que les mots meurent eux aussi. Qu'importe, elle
continuera à parler. Mais elle n'essayera plus de convaincre
les hommes de la détresse qui les attend. Le temps des
prédictions est terminé. Alors elle se raconte avec une absolue
liberté, sans rien masquer de ses douleurs d'enfance, d'aimante, de
prisonnière, de femme. Elle ne veut pas devenir une héroïne.
Dire non est son seul refuge. Longtemps Michael Jarrell a cherché un
moyen d'adapter cette nouvelle de Christa Wolf qui rejoue le
mythe en défiant la vision triomphante d'Homère-le-Grec. (et
j'ignorais, ce que j'ai découvert en sortant, ne l'avais jamais lue,
que ladite nouvelle est tout de même un texte de 452 pages, et qu'il
est d'une belle richesse)
Il
a finalement opté pou le dire-jouer-chanter de Schönberg (et je
continue à recopier le programme, parce que le squelette est là) et
percute le présent suspendu de Cassandre en multipliant les
temporalités musicales, en superposant les textures instrumentales
et électroniques. Une partition dont Fanny Ardant s'empare dans un
double mouvement : s'abandonner en résistant. Car pour le metteur
en scène, Hervé Loichemol, Cassandre en refusant l'imposture, n'est
pas en état de liberté mais dans la conquête de celle-ci. Un
état qui ici préside à la guerre.
Un
grand drap rouge, au début, pendu depuis les cintres, laissant voir,
de chaque côté l'estrade, à mi-hauteur, sur laquelle se tiennent
les musiciens du Namascae Lemanic Modern Ensemble et leur directeur
Jean Deroyer.
Une
mise en scène sobre et efficace, faisant appel à une chute du drap
rouge, répandu sur le sol, à des suspensions qui descendent, à des
vidéos d'une ville de Méditerranée orientale en guerre pendant les
moments voués à la seule musique, déclaration de guerre, etc...
pour marquer les différentes périodes du récit.
Et
Fanny Ardant, long manteau noir sur robe chamarrée, jeu en retenu
pour faire ressortir les éclats, belle voix de tragédienne qui
laisse percer quand il le faut, pour les souvenirs, les relations
avec les parents, une trace enfantine.
L'accord
de la musique et de la voix, les quelques silences... ma foi je suis
incapable là, tout de suite vite, et peut-être plus durablement,
d'analyser, sauf que j'étais heureuse, et que nous étions heureux.
La
belle dernière phrase, l'adieu de Cassandre à Enée en refusant de
le suivre, lui qui part en prenant la responsabilité des survivants,
de devenir leur chef Contre une époque qui a
besoin de héros, nous ne pouvons rien faire.
Saluts.
Sortir après cinq séries d'applaudissement, dans les premières,
parce que migraine etc... revenaient.
Ciel bleu sur le palais, sol
éblouissant et main chaude de l'air sur nous.
Quelques
nuages qui viennent à l'horizon pendant que je descends vers
l'antre, qui s'installent sur la cour pendant que je finis ces notes.
Arroser.
Douche, frusques correctes et ne craignant rien, un parapluie
accroché au sac, et partir attendre l'ouverture du palais, esprit
se voulant page blanche..
parapluie
déployé au bout de deux pas dans la rue, et longue attente, dans
une ambiance nerveuse mais blagueuse, sous une pluie qui
s'intensifiait
et
nous pensions que le festival allait annoncer l'annulation, quand, un
peu avant onze heures, les trompettes ont sonné, les dernières
gouttes sont tombées et nous avons monté, petit troupeau en
désordre, l'escalier, puis jusqu'en haut des gradins, pour
redescendre, la circulation basse étant indisponible, parce que
vigoureusement balayée.
Les
ai regardé faire, ai eu le plaisir de trouver le mur en gloire, avec
le simple décor d'Adel Abdessemeb, une grande étoile, des grillages
(modulables), des sacs poubelles, et une auto dans un coin, ai
regardé les troupeaux qui arrivaient, avec petite angoisse parce
qu'en fait, à part dix billets dont le mien sur lesquels, par
erreur, étaient porté «placement libre», les places étaient
numérotés. Je me suis attribuée, d'emblée un strapontin au
deuxième rang du côté venté, que personne n'est venu me disputer.
Deux
photos prises dans la série de Christophe Raynaud de Lage
et
le résumé figurant sur le site du festival
Un
jeune homme revient à Berratham. Il avait quitté cet endroit juste
avant la guerre, il avait laissé Katja derrière lui. Il n'a qu'une
obsession : tenir sa promesse en la retrouvant. Là, il ne reconnaît
plus les lieux de son enfance, dévastés, ni les gens qui y vivent
encore, livrés à eux-mêmes...ajouter
que Katja, devenue mère, a été forcée de se marier, qu'elle
s'échappe, qu'elle est mise à mort par une petite bande, le caïd,
son acolyte et leur ancien patron devenu maintenant que l'économie
est morte et que la pouvoir revient à la force, leur
souffre-douleur, qui sera d'ailleurs tué d'un coup de révolver.
Il
semble qu'il y ait eu un certain nombre de huées le soir de la
première (les amateurs de danse dépités) et qu'en fait si la
chorégraphie d'Angelin Preljocaj, l'importance prise par le texte de
Laurent Mauvignier a semblé excessive. Les critiques que j'avais
survolé avant de partir, me préparant au renoncement, trouvaient en
général qu'en effet le texte, surtout la partie récit, que la
danse accompagne sans trop illustrer, comme en contrepoint, est
psalmodié trop lentement, trop gravement par les trois comédiens
(Barbara Sareau, qui joue la mère de Katja, très bonne, dans une
longue robe que le vent malmenait, et deux hommes), qu'en somme le
texte de Mauvignier est très bien, que la danse est énergique, mais
que les deux se raboutent mal...
Ma
foi, est-ce les boulons qui ont été resserrés au fil des
représentations, sont ce les rafales de vent qui les poussaient, ai
trouvé que cette solennité n'était pas si marquée, et que
fonctionnait plutôt bien le rapport entre mots et danse, y compris
quand ils se contredisent comme lors du mariage de Katja où il est
dit qu'elle est nue alors qu'elle trône dans une énorme robe noire,
où on décrit les robes très ornées qu'elle endosse, superposées,
alors que les danseurs déroulent le tissu noir et s'en font des
vestes, la laissant nue dans une crinoline..
d'autres
beaux moments, comme la mise à mort des femmes d'un immeuble, comme
la scène d'amour qui a précédée le départ du jeune homme etc...
Ai
trouvé parfois cela un peu long, mais je ne suis pas sûre que le
vent froid sur mes bras sortant d'un petit polo n'ait pas joué son
rôle.
une
ou deux huées, il me semble, mais toutes petitotes, comme pour la
forme, et surtout des aplaudissements, où entraient peut être un
peu d'admiration pour l'endurance des danseurs.. et du public.
Par
un très grand ballet, mais un beau travail.
Et
un retour de petite vieille bien fatiguée.
J'espère
sincèrement que personne ne s'imposera la lecture de ce long bidule,
mais qu'importe, il es là, pour moi, pour le souvenir.
6 commentaires:
Que non!! Chère et Vaillante Brigitte Je dévore tes billets si simples et si profonds comme cette belle phrase "Ne faites pas comme si ce que vous dites était important ....
et le ballet (à voir après je crois) et et et ... Tout
Bonne Fête à Toi AA
Toutes les paroles, tous les mots ne se perdent pas dans la nuit nonobstant le vent et la pluie.
mais vraiment heureuse d'avoir réussi à assister à Cassandre… ne l'espérai pas, et là cela fallait la peine
Bon je traîne suis en retard, mais ressort long à remonter
Chaque fois que je lis tes critiques de spectacle, je me demande comment cela se fait que tu ne sois pas correspondante de presse.
parce que je choisis la naïveté et une bonne dose d'indulgence - question de survie personnelle, pour avoir courage de ne pas baisser les bras (souvent cette année)
De la lassitude ...? - ça non, pour sûr, y a pas! merci à vous.
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