Puisque j'ai entendu au
petit matin que nous entrions dans le printemps, puisque le ciel me
semblait bleu en ouvrant les volets, puisque n'avais pas envie de
rester avec moi même et ma crise de lucidité, l'idée m'est venue
d'aller faire petite, oh très petite, marche dans l'après-midi.
Mais puisque à l'heure du miel et de la confiture de gingembre le
ciel était blanc, ce désir a commencé à fléchir. Et puisqu'en
sortant de la douche j'ai vu traces de pluie sur les carreaux de la
cour, me suis installée avec une envie d'écrire.. pour vérifier
que n'en suis pas capable.
Alors je me suis retournée
vers mon livre-refuge du moment, Ombres de Chine, le
recueil de poèmes choisis et traduits par André Markowicz (si le
pouvez, vous le conseille, pour les poèmes, pour la traduction et
pour la belle préface dans laquelle il évoque ce qui l'a amené à
composer ce livre et expose quelle a été sa méthode) – et même
si, en montant vers la place de l'horloge dans l'après-midi, j'ai
trouvé un ciel rajeuni, j'en suis revenue à ma promenade au temps
des Tangs et j'y ai cherché des images du printemps (que je ponctue
de mauvaises captures des belles photos de Werner Forman figrant dans
un vieux bouquin que je traîne avec moi, l'art chinois - nouvel
office d'édition Paris – photos de statuettes provenant de tombes
de l'époque)
n'ai
rien trouvé chez les deux premiers poètes, mais suis entrée dans
le printemps grâce à Song Zhiwen, et tant pis s'il a très
mauvaise réputation auprès des spécialistes chinois.. il a été
impliqué dans toutes les intrigues de la cour à la fin du règne de
l'impératrice Wu Zetian, et a été surtout lié aux frères Chang,
qui étaient parmi ses ministres les plus corrompus... il
y a ce début du sacrifice à la mer :
Printemps face à la
mer – un sacrifice
La nuit – le jeûne
pour laver l'angoisse.
Au chant du coq
rougeoiement du soleil
Les vagues déchaînées
effraient l'aigrette
La terre est vaste –
ses confins sont là.... et que
j'aime cela (la suite aussi mais tant pis)
face
à ce printemps paré, la délicatesse de la cascade au
chant d'oiseau de l'heureux Wang
Wei
Repos – tombent les
fleurs des canneliers
Nuit calme – le
printemps montagne vide.
Surgit la lune elle
effraie un oiseau
Le cri dans la cascade
printanière.
Et
chez le grand Li Po d'un long poème, dont le très long titre :
poème écrit sur la commande de Sa Majesté dans le parc I-chun
au bord de l'étang du dragon lorsque les saules retrouvent leur
première verdure et les jeunes orioles chantent de leurs mille
façons est en lui-même un poème, je retiens, à regret, le
début
Déjà les vents de
l'Est ont ramené
une herbe verte dans
le parc I-chun.
Les salles pourpres les
pavillons rouges
tout vibre des
auspices du printemps.
Déjà les saules de
l'étang du Sud
ont retrouvé un peu
de leur verdure
Une fumée légère
virevolte
au-dessus de la ville
de brocart….
Ai
même trouvé une scène de printemps parmi les poèmes
marqués par la guerre et la politique du dernier des membres de la
grande triade, Tu Fu
Pays brisé – monts
et rivières restent
Ville au printemps –
herbe et arbres foisonnent.
Pleurant les temps les
fleurs versent des larmes
Coupé de tout l'oiseau
perce le coeur.
Depuis trois mois les
feux d'alarme brûlent
Une lettre reçue vaut
un trésor
On se gratte la tête –
cheveux blancs
Si rares que l'épingle
n'y tient plus.
Printemps
courtisan chez Han Yü entre deux exils, visitant le domaine de
montagne de la princesse Taïping
Dans
sa magnificence la Princesse
voulut
que le printemps lui appartienne
Elle
éleva des kiosques des terrasses
d'ici
jusqu'à la porte de la ville.
Si
vous voulez savoir combien de fleurs
elle
admirait quand elle était chez elle
Le
chemin de la ville au mont Zhongnan
entrait
entièrement dans son domaine.
Mais
là, ça me donne une envie de fraîcheur, légèreté et naturel…
Chez
Meng Jiao chantent l'automne, l'hiver ou l'absence de printemps...
mais chez Po Chü-i dans la chanson du regret éternel, un
printemps fugacement s'incarne
… Au
début du printemps elle a l'honneur
d'un
bain dans le Bassin des Fleurs Candides.
Les
sources chaudes lustrent et caressent
la
soie crémeuse de sa peau diaphane.
..
Et c'est alors pour la première fois
que
l'Empereur la couvre de ses grâces.
Visage-fleur
nuage de cheveux
l'aigrette
d'or qui tremble au pas des reines
Derrière
un rideau tiède d'hibiscus
ils
ont passé cette nuit de printemps….
Et la
nature s'est engouffrée avec les poètes vivant à la fin de la
dynastie, amenant parmi beaucoup de paysages d'automne, des bribes de
printemps,
éclairant
un trajet mélancolique chez Li Ho rentrant à Changou au
printemps
… Assez
de pleurs ! Par la porte de l'Est
Et
terre et ciel s'ouvrent à l'infini.
Bourgeons et jeunes feuilles du Li-shan
Bourgeons et jeunes feuilles du Li-shan
Le
vent fleuri sur la route de Qin
Jeux
du soleil sur le palais en ruine.
Les pics abrupts d'un paysage peint
Les pics abrupts d'un paysage peint
Rouge
des fleurs vert délicat des feuilles
Semés
sur mon chemin riant pleurant
Mais
un parfum soudain descend la route
Selles
chevaux brillants de mille feux….
printemps
et saules, chez Wen Tingyun
Longues soieries du
saule
Douces pluies de
printemps
Déjà les fleurs le
bruit de la clepsydre lente.
L'effroi des oies
sauvages
Des corneilles du fort
Des perdrix d'or
peintes du paravent...
et
chez Li Shang-yin
Printemps la fièvre
des milliers de feuilles
Branches sans fin qui
font tanguer l'aurore.
Le saule est-il ou non
doué d'amour ?
Ce qui est sûr c'est
qu'il danse sans cesse.
Papillons blancs dans
les duvets du vent
Orioles jaunes dans les
branches souples
D'une beauté à ruiner
un empire
Qui donc ne chanterait
que les sourcils ?
Et je
reste sur cette question, n'espérant guère que vous aurez pris le
temps de descendre le long de toutes ces lignes en y prêtant
attention, mais qu'importe, j'ai aimé ma promenade immobile.
7 commentaires:
Printemps chinois, printemps arabe... les printemps se suivent, bientôt l'été ?
euh les printemps des Tangs étaient aussi ou plus agités que les printemps arabes (mais ça s'agitait plutôt dans les hautes sphères)
Finalement vous nous avez emmené assez loin...
Un régal de bienvenue au petit Printemps qui pointe , je note ce recueil qui ne déparera pas toute une étagère de ces délicats poèmes dont chaque mot est image l'expressivité des chevaux et la fixité des belles dames et le saule et sa danse d'amour
Merci Merci
Pour un printemps agité, plonger dans " Fleur en Fiole d'Or "
Comme tombe la fleur, revient l'hirondelle,
La même peut-être, et à tire-d'aile ! "
Deux gros volume en Pléiade.
Arlette, précieux
mais à vrai dire il y a dedans, l'époque voulait ça, pas mal de luttes de courtisans, de guerre, de nostalgie
Pierre, peux plus acheter de livres en ce moment, et encore moins des Pléiades
faire avec ce que j'ai
Si, si, j'ai tout lu, magnifiques traductions ! Merci une fois de plus, Brigitte !
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