Matinée raisonnablement
active, avec projets qui se lèvent pour le reste du jour, dans
l'antre ou en dehors...
vers quatorze heures, dans
la cour, se désoler que le soleil ne parvienne à percer la
couverture blanche qui lentement s'est posée sous le bleu, et
sermoner le rosier qui presse tant la maturité de ses fleurs que
leur durée de vie n'est qu'un éclair
et puis sombrer en sieste
suivie de paresse, ne saurais dire de quoi fut fait le reste du jour,
et je recopie la rencontre que les cosaques des frontières ont
abritté http://lescosaquesdesfrontieres.com
Une rencontre
Il y avait ce
pré entouré de pentes, et du soleil, un soleil que n'attendais pas
aussi fort, et je m'étais arrêtée un moment parce que le chandail
endossé pour ces froidures ou fraicheurs attendues et puis le rebond
des rayons sur la route et puis l'heure, sans doute pas une heure
mais le sentais ainsi à mes mollets, d'errance même distraite, sans
but, sans forcer, enfin quoi je m'étais arrêtée et je me disais
que je regardais les croupes des montagnes autour de nous et la façon
dont la lumière jouait avec les distances et les valons qui se
creusaient.
Et elle est
entrée dans le coin de mon oeil au moment où il passait sur la
pente qui s'élevait devant nous - dans le coin de mes yeux en fait
si cela peut se concevoir -, elle était au bout du pré, à la
limite de l'endroit où sa douce courbe le faisait disparaître, et
je ne sais pas, peut-être le hasard, peut-être pourquoi pas le
regard qui l'avait effleuré, elle a bougé.
Elle a bougé
et elle est venue vers moi, elle a traversé l'espace d'herbe, j'ai
vu qu'elle était si jeune, presque svelte et se dandinant légèrement
avec une retenue massive parcourue d'élans d'insouciance maitrisée,
une jeune-fille, une génisse, elle est venue se planter face à moi,
son poil luisant dans le soleil comme une soie, et j'ai gémi
intérieurement en pensant à ce que la vie ferait d'elle, même si
on la soignait avec une sympathie bourrue.
Elle m'a
regardée, et je l'ai regardée. Et comme elle restait là j'ai
cherché dans ses grands yeux fendus une trace de la vie qui
l'animait, la vie qui était là, mais semblait immobile et je
croyais sentir plus de frémissements dans le mufle rose tendu vers
moi. Et les yeux perdus dans les siens, me suis dit qu'ils
s'éteignaient eux aussi dans cette fixation, mais le pensant je
savais qu'il n'en était rien, qu'ils devaient vivre de cette
recherche, cette interrogation, et je me demandais si vraiment la vie
était possible sans pensée...
Une pensée
autre, qui m'interrogeait comme celle du groupe dans la grande maison
en étoile de l'autre côté du village, ceux que j'étais venue
voir, ces vies qui semblaient réduites à des instincts, mais qui,
dans leur juxtaposition, présentaient les mêmes différences
internes que celle de tout groupe humain, et, même chez lui, cette
volonté qui s'exprimait dans sa façon de saisir une main pour la
guider en une caresse, ou de la repousser si le contact n'était pas
désiré, cet embryon de ruse qui s'éveillait quand il percevait
l'irruption dans son univers de notre présence et de, oui, la
possibilité d'un cadeau, d'une gourmandise, ce renoncement aussi
quand il en avait constaté l'existence ou la non-existence et cette
façon alors de se détourner, de nous renvoyer au néant.
Oui, la vie
était-elle possible sans pensée... bien entendu les philosophes
auraient pu me donner des réponses, ou des hypothèses de réponses,
mais je m'en moquais, restais dans mon trouble naïf... et comme si
elle avait senti que j'étais partie loin d'elle, elle a tournée
lentement sur elle même, et majestueusement elle est repartie vers
l'autre bout du pré. Le soir dessinait sa venue future, les ombres
s'allongeaient et comme j'entrais, en redescendant vers le village,
dans un bosqueteau, mes bras ont souri sous le contact de la
fraîcheur.
8 commentaires:
Il y avait dans ce regard bovin toute la tendresse dont vous aviez besoin [le ciel en témoin somptueux affectueux]
juste de quoi imaginer que nous communiquions (enfin un peu, au moins dans la bovinerie)
" la vie est-elle possible sans pensée " est-ce la même interrogation que " le chien a-t-il la nature bouddha" ou la plante etc... socle d'interrogations qui aurait ses enveloppes culturelles diverses ? ... mais ce ne sont que divagations matinales... belle journée à vous brigitte !
je pense que les deux suppositions sont exactes
Las, Hulot s'occupe peu, semble-t-il, de la condition animale, malgré son patronyme. Il est vrai qu'il a d'autres soucis.
j'avoue que je ne sais pas à quel sort était promise ma camarade de quelques minutes
Cette génisse qui unit le ciel et la terre est pleine d'une humanité oubliée. On aimerait pour le minimum que sa fin de vie soit accompagnée et la plus douce possible. Ce récit d'un moment de vie et d'une interrogation philosophique, mérite grandement d'être lu et relu.
merci
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