fin de matinée, après
quelques courses et après être arrivée à faire redescendre à sa
place mon coeur qui s'était rué vers mes gencives dans le souffle
d'un vélo me frolant à grande vitesse sur l'étroit trottoir de la
rue Saint Agricol, ce qui m'avait mise en léger retard, longue
attente en compagnie de gens charmants et de mannequins costumés
pour acheter une partie de
mes billets pour les spectacles de la nouvelle saison (descendant
légèrement de catégories, les temps étant ce qu'ils sont)
retour avec oeil qui devient un peu
moins critique sur le chantier de l'opéra depuis qu'il semble devenir un peu
plus actif (mais la réouverture est déjà retardée d'un an)
Et pour prolonger le
plaisir intérieur de l'idée de chantier, reprise (pour flatter
aussi ma paresse) de ma contribution répondant à la vidéo 39
(chantier) de l'atelier d'été du tiers livre de François Bon
Arrêté au
bord d'un trottoir pour laisser une voiture négocier son virage
d'entrée dans une rue moyennement étroite, en contournant une
machine jaune hérissée d'un grand bras articulé replié sur son
bec et sa compagne noire qui, prenant appui sur ses fortes chenilles,
plongeait son museau dans l'amorce d'une tranchée, voiture arrêtée
dans sa manoeuvre par la découverte tardive d'un écriteau rue
barrée, il avait conscience du petit sourire involontaire qui
devait trahir l'allégresse instinctive déclenchée en lui par
l'idée, même vague, de chantier, maintenant qu'il n'en était que
témoin purement désintéressé. Sourire qui s'est accentué par le
fasseyement du coin détaché d'un voile vert protégeant un
échafaudage, rideau de fond de cette scène – ce spectacle
fréquent dans les rues de la ville qui se rapetassait sans fin,
nuançait sa permanence, luttait contre son âge, et, lorsqu'un trou
se libérait, étroit comme une dent, se forçait au neutre pour
insérer une petite note sans discordance dans la mélodie que les
siècles avaient créée avec ses longues lignes doucement banales,
les surprises soudaines, détail parlant d'un passé effacé, et ses
accords splendidement assénés. Avec le mauvais exemple, du moins à
ses yeux – le jugement, en partie personnel, en partie consensuel,
de sa jeunesse étudiante, bien qu'émoussé par la familiarité,
gardant sa force – de ce quartier dont il avait découvert
récemment les images anciennes, mélange comme le reste de la ville
de demeures nobles et de battisses plus humblement personnelles mais
aux détails soignés comme l'était la tenue du dimanche de leurs
habitants, quartier devenue opprobre, abandonné aux rejetés qui
étaient en ces temps anciens les gitans ou ceux qui leur étaient
assimilés, quartier considéré comme insalubre, irrécupérable, et
sabré, détruit, seules quelques façades des rues le bordant étant
sauvées, pour y construire des logements au style bâtard, qui
avaient la grâce d'éviter l'impossible copie de la bigarrure
ancienne mais sans oser trancher, nouveau quartier d'autant plus
verrue dans le tissu de la ville, entre la place du palais et les
deux rues proches du fleuve que, malgré les circulations qu'avaient
prévues les architectes, il se barricadait presqu'entièrement sur
lui-même. Alors, il se satisfaisait du plaisir des chantiers côtoyés
quand il s'agissait d'un immeuble, d'une vieille maison, se
passionnait un peu plus quand on effleurait rudement un monument ou
noble bâtiment sous prétexte de restauration, polémiquait en
tentant de garder indépendance d'esprit à propos des modifications
en cours des espaces publics – se navrait en passant de la
disparition lente des vieilles calades qui plaisaient à ses yeux,
faisaient souffrir légèrement ses vieilles chevilles mais avaient
la vertu cardinale d'imposer une lenteur sage aux vélos qui peu à
peu envahissaient la ville, l'habitude et l'étroitesse des rues
ayant déjà cet effet sur les automobiles. Et puis s'était plongé
dans tout ce qu'il pouvait trouver disant l'évolution maintenant
irréversible, sauf manque de financement, de la création d'un
nouveau quartier, un peu après la confluence du fleuve et de la
rivière, confluence qu'occupait lentement des ateliers, entrepots,
sièges sociaux avec ce style banal, longs alignements de béton et
métal – la grâce seulement d'une fresque découverte un jour –
containers alignés, préfabriqués peints avec plus ou moins de
fantaisie, et quelques audaces perdues dans ce néant utile (auquel
il trouvait secrètement une certaine saveur, même s'il n'avait que
fort rarement l'occasion de le voir, en le longeant)... nouveau
quartier dont les grandes lignes avaient été révélées récemment,
avec ses deux longues allées ponctuées de kiosques – le mot
l'avait fait sourire avec un rien de scepticisme amical en pensant
aux fabriques du parc parisien – encadrant une pelouse le reliant à
la ville, quartier dont... en bref une idée de chantiers futurs qui
lui laissait une possibilité de rêve presque infinie, puisque
serait très chenu ou mort lorsque le réel aurait remplacé
l'utopie, qui l'avait intrigué, le terrain présentant de forts
risques d'inondation, avant d'adhérer à la solution trouvée de ne
pas essayer de lutter en risquant une artificialisation dangereuse
mais de s'adapter, tirant profit de ce risque par la création de
zones vouées à l'eau à l'intérieur de chacun des très grands
ilots programmés, qui devraient incorporer également quelques
centimètres plus haut des espaces verts dominés par les
constructions, projet séduisant sur le papier, dans l'intention de
mêler dès l'origine bureaux, logements, commerces, services publics
dans chacun des îlots offerts aux groupes candidats, avec cependant
à ses yeux un fort risque de ghettoïsation, le cahier des charges
assez souple imposant tout de même des circulations douces à
l'intérieur de chacun, les voitures étant rejetés en périphérie
comme des frontières, ghettoïsation et gentrification accentuées
par le choix de constructions le plus autonomes possible au point de
vue énergétique, ce qui excluait à priori les populations les plus
précaires. Ce drame qui veut que les constructions intellectuelles
des urbanistes et architectes échouent le plus souvent à créer
cette vie, avec ses douceurs et ses incommodités ou pire, que
l'anarchie des siècles a produite sous le nom de ville.
11 commentaires:
Oh ces deux éventails de tickets...on ne sait pas les opéras que vous irez voir (il m'a semblé deviner Figaro)...pas cool votre cœur de faire une descente musclée dans votre bouche... avez-vous des news du ciel?
il est toujours là, oas encore tombé (le ciel)
Merci chère Brigetoun de me répondre si spontanément (le chantier d'en face (dois-je déménager) n'en finit pas) alors que je dépose des mots maladroits dans le rectangle compatissant des commentaires
casabotha, si en plus ça vous fait plaisir;.. tant mieux !
Il fallait bien que vous chantiez...
L'opéra ouvrira, tôt ou tard. :-)
Dominique, pour le climat il est PREFERABLE que je ne chante pas (ça tient du biniou)
je me demande si l'opéra rouvrira de mon vivant (sourire)
Des petits plaisirs en éventail dont tu nous parleras le temps venu
Jolis mannequins en attente
La bourse en baisse; espérons que les spectacles resterons à la hauteur.
pour la bourse rien d'original (et suis relativement privilégiée, très même)
j'aime bien votre regard sur l'évolution de la ville
merci de m'avoir lue !
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