commentaires

désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

jeudi, juillet 23, 2020

me rattraper à la cuillère



céder à l'évidence et m'offrir pour un jour une cure de sommeil ou somnolence, en refusant toute inquiétude stupide, après avoir relu et envoyé, tant pis, telle que, ma contribution au #7 de l'atelier d'été de François Bon http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article4923 et je recours au même atelier pour peupler « paumée » avec le petit texte qui tentait de répondre au #5 http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article4920



consommés ou soupes

Il efface son épaule, pour laisser le garçon poser une assiette creuse sur la porcelaine fleurie qui attendait ; terminant sa phrase, il regarde son vis-à-vis pour appeler la réponse, pendant que sa main, comme distraitement, et sans qu'il quitte l'homme des yeux, saisit à l'extrémité de la rangée de couverts la cuillère ; il jette un coup d'oeil sur l'assiette où tremble un liquide ambré à l'odeur évanescente, plonge la cuillère en biais, la ramène vers lui, retrouve le regard d'en face avec l'attention souhaitée, par dessus l'argenterie qu'il a remontée avec un parfait parallélisme jusqu'à sa bouche. Elle, à son côté, a renoué avec le rire dédié à son voisin de droite, après un coup d'oeil fugitivement précis, puis légèrement ennuyé, sur le contenu de l'assiette, et sa main joue distraitement au dessus des couverts.. une remarque ironique à son oreille, elle rit derechef, il murmure « courage », ils attaquent selon toutes les règles de la bienséance, conscients ou inconscients d'y avoir manqué, le très raffiné consommé... et elle lève un sourcil d'étonnement approbateur qui rencontre un sourire, et puis avec des gestes mécaniquement alternés ils continuent leur conversation et leur dégustation. Une femme exubérante, mais tout le monde l'aime ainsi, pour son importance aussi et son âge qui la dispense de la discrétion et de l'esprit fin exigés des jeunes femmes, élève la voix et agite sa cuillère en direction d'un grand dadais empesé dont elle exige l'attention, faisant pleuvoir sur la blanc tissage brodé quelques fines gouttes. La maîtresse de maison arrête d'un petit geste et d'un mouvement de sourcil le jeune serveur embauché pour ce soir qui allait brandir, poser sa serviette sur les traces, ou prendre on ne sait quelle initiative incongrue, repose sa cuillère pour approuver sans l'avoir écoutée une phrase de son voisin, en espérant que c'est à bon escient, mais il est si inoffensif que c'est sans doute le cas ou que cela n'a pas d'importance, et pendant qu'il avale le contenu de sa cuillère d'un air satisfait, recueille doucement un peu de potage et, dans le même geste gracieux, le monte à ses lèvres tout en fusillant – le voudrait du moins, se contente du regard – son plus jeune fils qui, sans toucher aux couverts ni s'intéresser à son assiette, se contente d'effriter un bout du petit pain rond posé sur une assiette près des verres en murmurant on ne sait quoi à sa voisine, une bien charmante enfant pourtant qui est prise d'un fou-rire au moment où la cuillère touche ses lèvres... il est vrai que c'est leur premier dîner et qu'ils en oublient peut-être tout ce qu'ils ont appris. Un très bel homme – une tête d'empereur romain – s'est lancé dans un débat économique, contre tout usage, ou plutôt dans une conférence puisque les phrases qu'il assène à son vis-à-vis, entre deux ingurgitations du liquide que la pointe de sa cuillère vient glisser entre ses dents, ne rencontrent qu'une mimique de léger effarement. Le garçon murmure quelques mots à sa jeune voisine et avec un petit sourire dépose dans l'assiette un peu de son pain, plonge sa cuillère, avale, elle rit de défi et l'imite. La maîtresse de maison, comme ils sont les derniers, fait signe de desservir. Le serveur décrit la scène en arrivant dans la cuisine, un murmure de réprobation court à la table des chauffeurs et autres étrangers assis devant leurs assiettes d'odorant potage, la cuisinière affairée sourit avec une résignation tendre et son mari jardinier, qui préside la table des dîneurs, prend son assiette à deux mains et en lape le contenu.

6 commentaires:

Godart a dit…

Côtoiement de deux mondes, chacun avec ses protocoles. La bonne éducation est-elle essentiellement une histoire de maintien ? Pour ma part, il me semble que je trouverai plus mes aises en compagnie des gens de la cuisine. Mais l'aristocratie a ses lettres de noblesse par rapport à la bourgeoisie plus accomodante..

Dominique Hasselmann a dit…

Il faut parfois rester à couverts... ;-)

Brigetoun a dit…

Godart, je suis indubitablement du côté de la cuisine (pas de la cuisinière ça vaut mieux pour tout le monde) ou du côté du fils même si c'est passager, mais c'est parce que j'ai été un peu trop côté cuisine ou petite république fraternelle et que n'ai pas acquis le naturel nécessaire (enfin en gros)

Brigetoun a dit…

Dominique, et il faut toujours savoir rire

Claudine a dit…

... vous avez mérité votre repos

Brigetoun a dit…

est fini le repos (sourire)