Une Brigitte rêvassant devant vitrine – s'interrogeant sur les intentions du ciel
la lutte sourde
du bleu qui voulait teinter
la plaque blanche
Une Brigitte qui commençait à se repentir de sa décision de mettre fin aux petites leçons... qui cherchait aussi à faire une photo permettant d'illustrer sa contribution au #18 de l'atelier d'été du tiers livre de François Bon http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article4939 (l'ensemble des contributions surhttps://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article521) … mais depuis mai l'ambiance a changé.
Le matin du déconfinement
La porte ouverte sur la rue, la tête levée vers le bleu, elle sentit la main du soleil posée en caresse chaude sur son front, au dessus de son masque, elle vérifia une fois encore que l'autorisation qu'elle s'était accordée était bien dans son sac, elle s'en alla les yeux sur les empilements de chaises et tables figés sur la place. Ce fut en tournant le coin, qu'elle vit une, puis trois, silhouettes devant elle ; et c'est en croisant un couple qui avançait, main dans la main et visages nus, qu'elle réalisa que l'autorisation était devenue inutile, que la ville entrait dans une liberté fragile. Passé l'Oratoire, suivant l'arc tendu de la rue, les passants restaient rares, solitaires, plus affairés pourtant que pendant ces longs jours de paix fantomatique, et le pas ferme de l'homme qui la devançait, la distançait de plus en plus, disait que la rue avait rajeunie, n'était plus, en milieu de matinée, le terrain réservé aux petits vieux qui ne se voulaient pas cloîtrés et prenaient soin de se croiser de loin, changeant de trottoir au besoin. A l'entrée de la grande pharmacie un panier surmonté d'un panneau triomphant indiquant « arrivage » contenait une pagaille de tout petits flacons de gel d'un joli bleu et elle en acheta quatre avec soulagement, testant tout de suite l'odeur, neutre, pas désagréable du liquide visqueux... Rue de la République les passants se faisant plus nombreux, elle eut fugitivement l'impression d'entrer dans un monde étrange, à la fois irréel et familier. Il y avait tout de même, pour rappeler le récent monde ancien, les restaurants fermés, quelques regards méfiants, et devant la fontaine l'habituel groupe de garçons, masques sur le menton, bicyclettes appuyées à la margelle ou à la grille entourant le tronc d'arbre, scooters sur leur béquille et sacs affichant les sigles de leurs plateformes respectives posés au sol, attendant en s'envoyant quelques bourrades, jetant quelques mots sans but, souriant un peu, résignés. Peu à peu les marcheurs se faisaient plus nombreux, plus insouciants, le trottoir prenait un air de cour de récréation ; honteuse, elle opposa une auto-ironie muette à la petite crainte qui montait, mais elle sursauta quand un joggeur, égaré à l'intérieur des remparts, la frôla, bec ouvert à la recherche de son souffle, au moment où elle arrivait près de Carrefour et ouvrait les mains en un geste navré évoquant une bourse vide de monnaie dédié au sourire, aux cheveux gris bouclés, aux yeux aimables, au repaire rassurant du corps assis familièrement à côté des portes vitrées, tout en jetant une injure aux semelles qui s'éloignaient avec une régularité parfaite. Son camarade de confinement lui répondit « pas grave » et puis, comme elle s'apprêtait à descendre vers les rayons en sous-sol, entama un discours rageur envers les déconfinés, leur insouciance, ce type qui l'avait presque bousculée elle, (sans doute aussi, mais cela il ne le dit pas, l'invisibilité qui le menaçait à nouveau, lui qui tenait salon depuis que les présences, autres, se calfeutraient), elle lui avoua en se moquant d'elle-même sa petite crainte, ils s'installèrent dans leur débat sans fond avec le plaisir de ne pas tenir compte du temps qui passait ni du mouvement de la rue – et une petite voix en elle lui reprochait de se servir de lui pour mettre un sourire dans sa solitude –, adoucissant peu à peu leurs reproches jusqu'à sourire avec sympathie au groupe de jeunes qui passaient d'un pas léger, dansant, de vie libérée.
Codicille : me suis heurtée au mot vrai, en adepte du mentir-vrai, et surtout me suis trompée au départ en cherchant dans ce qui était écrit le petit point permettant cette version « réelle », ai fini par trouver ce moment sans grande importance et j'ai tenté de le reconstituer, comme pouvais, en gommant ce que nous avons vécu depuis lors.
6 commentaires:
Les jeunes ne se savent pas légers.
j'avoue que je ne me souviens pas
Le mentir-vrai... tout un livre en réflexions aragoniennes.
c'était un peu casse-cou... choisir le neutre
Ce matin de confinement traduit bien ce sentiment d'entre deux. Le joggeur reprend sa course quotidienne et fait comme si la vie d'après est la copie conforme de la vie d'avant. La réalité de la rue avec ses sans abris démontre que pour eux vie d'avant et vie d'après peu importe, juste encore un peu plus difficile. Les vieux se sentent un peu plus vieux et les jeunes perçoivent comme un coin introduit dans leur insouciance. Et votre texte a su contourner le confinement des contraintes.
en fait c'est quasiment du vrai (juste la distance de temps qui gomme un peu et une légère condamnationensation, mais c'est presque le calque de ce matin là)
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