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désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

samedi, novembre 13, 2021

Couleur s'éveillant et voyage de nuit


Un peu avant neuf heures des bras surmontés d'un sourire sont venus me livrer ma commande aux Halles : 3 kilos et demi de patates, un peu de cabillaud, un gros peu de Saint Nectaire et une tranche de fourme d'Ambert, deux petits pots d'aïoli, des courgettes, un bulbe de fenouil et un litre d'huile de Barbentane – ai rangé le tout, enfilé ma parka et m'en suis allée sous un ciel blanc


vers les Halles (oui c'était idiot un peu mais la liste de produits livrables est limitée et en outre c'était pour dimanche), cueillant au passage ce que je trouvais comme couleurs, pour commander trois tartes (deux salées, une sucrée) que je passerai prendre dimanche vers une heure pour contribuer au petit comptoir/buffet que je tiendrais lors de notre fête, s'il ne pleut pas ou pour améliorer le menu des habitants qui le voudront bien s'il pleut... me reprochant un tantinet d'être totalement incapable de les faire moi-même...


et m'en suis revenue sous un ciel qui tentait de nous éclairer et de faire chantonner les couleurs, en faisant un petit tour pour trouver de jolies serviettes en papier... Ai tenté de commencer une participation à l'atelier de François Bon.. et reprends ici mon bidule pour la proposition #6 "long voyage de nuit en une seule phrase".

départ en vacances

Le compartiment me semblait bondé mais le grand blond dans le couloir avait raison : en faisant glisser la porte, je vois qu'il reste une place, au milieu de la banquette de gauche, cachée par un géant – du moins je le vois ainsi – ; sur le seuil, une main posée sur le montant, la tête avançant dans leur espace, je souris comme les bonnes sœurs et ma mère me l'ont appris et je reçois, en réponse au mien, un « bonjour », des grognements, et le regard noir d'un que j'ai interrompu dans une conférence ou un récit ou un je ne sais quoi mais qui lui importe et lui permettait de tenir les autres dans une admiration, un accord, sincère ou non ; le garçon le plus proche de la porte fait mime de se lever pour me laisser passer mais un bras jaillit, s'interpose, une voix exige de savoir qui ose... demande « tu viens d'où . ? » ; en poussant devant moi mon sac qu'une jambe bloque, je murmure que je viens du quai, un rire isolé, et la voix, après un qualificatif malgracieux, précise « de quelle école ? », ma réponse provoque, souligné par un ricanement du beau parleur, un discours sur l'honneur que leur fait un architecte – ce qui est très nettement exagéré – et une fille en plus, « ils en sont là ces dessinateurs, ces artistes, ces catastrophes, ces amateurs imbus d'eux-même ? » et je réalise que je suis tombée sur un compartiment de centraliens ; j'hésite à sortir, à les laisser à leur arrogance satisfaite, n'ai pas envie d'une disputatio juste d'une place, mais je ne peux pas, ce serait intelligent mais indigne, et je reste aussi droite que je le peux, le pieds contre un sac, l'autre dégringolant lentement de mon épaule, plantée là, les regardant en silence, et j'aperçois l'ébauche d'un sourire sur les lèvres du premier assis ; lui et les suivants glissent sur leurs fesses le long du siège, un minuscule espace se libère et la conversation reprend, avec juste, comme pour la forme, quelques piques adressées à ces gens qui ne connaissent rien aux matériaux, à leur mise en œuvre et surtout au monde actuel – le fait est que j'en suis à trois arcades dans un parc mais c'est un début rituel en admiss.. comme on dit – piques que j'ignore dignement, insérant mes fesses sur le bout de Skaï, glissant le gros sac en partie sous le siège en partie sous mes jambes, maintenant l'autre, le petit, avec mon manteau, sur mes genoux puisque les filets sont pleins et que je n'espère pas une aide de leur part, attendant sans trop oser y croire que le sommeil les prennent, me persuadant que j'ai de la chance, que mon voyage va être beaucoup plus confortable que les précédents, quand je n'avais pas encore le noble titre d'étudiante, même en admission, quand je n'étais que lycéenne, et que j'avais droit aux corps serrés dans le couloir, aux valises qu'on enjambe sauf quand un corps est assis dessus et que l'on doit attendre qu'il se lève, ou, comme à Noël de l'année dernière, les pieds posés sur les plaques mouvantes dans le soufflet, l'équilibre fatigant, les rires voulant dissimuler la fatigue et la petite peur – mais bon ça n'avait pas duré, c'était une façon d'avoir plus de tranquillité pour parler – cette fatigue que vais retrouver ici, dans quelques heures, au cœur de la nuit, celle qui serre le tempes et durcit le diaphragme, dans l'odeur de fumée froide qui se mêle à celle de la vapeur, cette odeur de charbon qui passe par l'entrebâillement de la porte, que nous respirons, culs posés, pieds froids serrés dans nos chaussures, corps trop vêtus contre l'hiver parisien baignant dans la touffeur nauséabonde de ce compartiment, cet inconfort mêlé d'excitation des voyages en train que je sens plus nettement maintenant que les voix se sont affaiblies, les paroles espacées, qu'un premier ronflement a sonné, provoquant des rires étouffés dans la pénombre depuis que le chef auto-proclamé a fait éteindre la lumière, cette presque obscurité que seule la veilleuse, et des brusques irruptions de lumière quand la main de mon vis à vis fait glisser un peu le rideau descendu devant la vitre près de laquelle il est assis, ce que, moi, je n'ose faire, continuant à ressentir, en m'en défendant, l'impression d'être en terrain hostile, paralysée par ma satanée timidité, repensant à leurs quolibets rituels, vexée de m'en savoir indigne moi qui suis si loin, malgré la force, encore intacte, de mon désir, d'être architecte un jour, et de toute façon soucieuse de ne pas gêner les bienheureux dormeurs, même si les heures qui sont devant nous me semblent impossibles, si l'envie de me lever, de sortir me tenaille faisant remuer légèrement mes pieds insérés entre les deux grandes godasses de ce garçon face à moi, ce long et maigre corps qui était taiseux et souriant dans le vague tout à l'heure, dont je ne distingue pas les traits mais dont je sais qu'il ne dort pas plus que moi, qui se redresse comme je le fais en sentant le train ralentir, qui se lève maintenant, ouvre la porte pendant que les autres s'ébrouent, sort, s'appuie à la barre de la fenêtre derrière laquelle je vois un quai, un écriteau, les lettres YON, se retourne, sourit, en annonçant qu'il va y avoir un long arrêt, fait un pas de côté pour me permettre de sortir, de m'accouder à côté de lui après avoir refermé la porte parce que, oui, ça proteste là dedans, comme il le dit, et nous regardons les quelques personnes qui circulent, cheminots, voyageurs, gens à casquette ; il prononce une phrase, une question, je réponds, le silence revient, suivi d'échanges soigneusement insignifiants, jusqu'à ce que le train redémarre, que la porte s'ouvre, qu'un petit barbu nous rejoigne en levant haut les jambes pour mimer la peine qu'il a eu à s'extirper du magma et que nous nous installions, debout face à la nuit, pour refaire le monde et nous inventer des vies, trois amis pour un temps, juste celui qui nous sépare de l'agitation générale, de l'approche de Marseille, de notre dispersion, de ma fin de voyage sans doute solitaire jusqu'à Toulon.


 

8 commentaires:

Dominique Hasselmann a dit…

Le temps des compartiments, comme des appartements roulants...

Michel Butor n'aura pas écrit sur le TGV !

Avignon est une gare qui a existé avant de devenir une autre jolie conque... :-)

Brigetoun a dit…

et le temps de la vapeur que l"on prenait dans la gueule accoudé à la fenêtre ouverte
Avignon garde les deux gares

cjeanney a dit…

Ce voyage :-))) (et la fête à venir)

Brigetoun a dit…

sais pas trop comment vais transporter (la canne n'aide pas) - enfin on s'en tire toujours (sourire)

Arlette A a dit…

En une seule phrase??wouah!@ est ce une formule ou être un émule de Claude Simon ..4 pages crois me souvenir sans un point ouf c'était il me semble "La toute des Flandres" en suis encore essoufflée

Claudine a dit…

Quel beau texte <3 Bravo

Brigetoun a dit…

Arelette pas que Simon (mais oui c'était lui qui était cité) Beckett c'est pas mal aussi et Mathias Enard avec la seule phrase qu'est Zones et d'autres encore

Brigetoun a dit…

merci Claudine (l'indulgente)