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désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

mercredi, juin 25, 2025

25ème de juin - objet non identifié tiré d’OutreScène 12 (La Colline - mai 2011)



Réponses d’auteurs

Lukas Bärfuss Arne Lygre Angélica Liddell Marie N’Diaye Simon Stephens Michel Vinaver Joël Pommert

Au théâtre on a toujours affaire à des stéréotypes

Les femmes de la Grèce antique, notamment les personnages vindicatifs et obstinés comme Médée et Antigone.

Mes personnages sont d’emblée hommes ou femmes et se développent à l’intérieur de cette identité.

La sexuation des rôles est en toutes circonstances, pour le spectateur une donnée avec laquelle il doit compter - qu’elle soit occultée ou inversée (en ce cas le spectateur est obligé de se trouver un point de vue d’où il puisse observer, étudier, comprendre les personnages) ; ou qu’elle soit conforme à sa définition de base : quand par exemple un homme, identifiée comme tel par le spectateur, se voit lui-même et se donne à voir sur scène comme un homme.

La question des quotas de femmes n’est pas un sujet qui me préoccupe personnellement.



« Bagage incoporé ? »

Je ne peux pas fier présisèment pourquoi j’ai choisi un personnage féminin comme rôle principal de cette pièce.

Vous l’avez dit qu’il vous est arrivé une fois de transformer en homme un personnage que vous aviez d’abord imaginé comme une femme.

Je suppose que certains des personnages de mes dernières pièces pourraient être distribués à des acteurs de l’autre sexe, mais la plupart du temps je ne le recommanderais pas.

Je n’ai pas d’image précise de l’apparence d’un personnage, de sa présence sur scène ; les personnages sont rarement caractérisés dans mes textes autrement que par leur âge, leur genre, leurs relations aux autres personnages de la pièce et c’est à peu près tout.

« Aucune montagne  aucune forêt, aucun désert ne nous délivrera du mal que les autres trament à notre intention »

Vous avez un jour parlé de votre « conscience d’être femme » : une conscience « brutale et insurmontable », liée aux rituels d’humiliation qu’une femme doit supporter jour après jour.

Il faudrait vivre en dehors du monde ou être stupide pour ne pas se rendre compte de la position occupée par les femmes dans notre société qui est une société parfaitement misogyne où règne un paternalisme infect, même si parfois c’est à peine perceptible.

La fiction est un véhicule. Comme dans un roman, on peut raconter à la première personne, signer de son prénom et de son nom, ou bien on peut utiliser un véhicule.

Ce sont les autres qui se chargent de te définir, qui t’informent du fait que tu es une femme.

Être jugées belles détermine l’amour qu’elles recevront

C’est une question que je ne me suis jamais posée pendant longtemps, jusqu’à ce que, en fait, on me le fasse remarquer.
Je n’aime pas l’idée que les femmes entretiendraient des relations de rivalité d’avantage que les hommes, je n’y croie pas.

Il m’est indifférent que les comédiennes ressemblent à mes personnages.

Dans la compagnie des femmes

Si je suis à la recherche d’une vérité , je me contente de celle qui fonctionne le mieux pour ma pièce.

Elle ne s’acquitte d’aucune et s’engouffre dans le métro.

Pour une grande part, c’est l’émotion plutôt que l’intelligence qui semble à l’origine des personnages féminins de mes pièces.

Je m’inscris dans un courant théâtral que l’on pourrait qualifier de réaliste.

J’ai par ailleurs fait toute ma scolarité dans un système où la mixité n’était pas de rigueur.

Dans mes pièces soit les femmes étaient fortes dès le départ, soit elles le deviennent à la suite d’un voyage qui devient le sujet de la pièce.

« Littérales »

Le théâtre pour vous postule l’altérité et, dans le vôtre, on a l’impression d’un monde où les hommes et les femmes se partagent en quelque sorte la tâche, et le font plutôt ensemble.

Les femmes, davantage que les hommes, dans les situations inattendues, se montrent intrépides, inventives, franchissent le mur des usages et du concevable.

Mais il y a, dans mon répertoire, à un pôle opposé à celui que je viens d’évoquer, une figure de femme qui, elle, colle au monde tel qu’il est, et s’y active, dans la plus profonde harmonie et conformité.

Il s’agissait d’obtenir l’annulation d’un décret interdisant la vente aux consommatrices d’un produit permettant de se faire une permanente chez soi, décret pris prétendument pour raisons de protection de la santé publique, mais en fait pour protéger le chiffre d’affaires de la profession de la coiffure.

Il est vrai que, hors du champ de l’ordinaire, ces deux portraits de personnages si distants l’un de l’autre, de façon énigmatique, se répondent.

La scène principale est dans la tête du spectateur

Tu viens de terminer un spectacle que je n’ai pas encore vu.

Je t’ai envoyé quelques questions.
Ce qui m’est apparu en les relisant une fois ou deux c’est qu’elles étaient abyssales. Poser la question de l’image de la femme à travers mes spectacles, c’est délicat, çe relève presque de l’intime, et puis je me dis : comment peut-on avoir du recul par rapport à cette question?

Au plan de la recherche artistique, quel est leur rôle dans l’écriture et la mise en place des spectacles ?

Je crois que le fait qu’elles soient des femmes n’a pas de poids particulier dans cette question ; en tant qu’auteur-metteur en scène, je fais participer les comédiens au processus d’écriture. Je m’associe à eux pour pouvoir enrichir mon écriture, pour développer une écriture qui aura une intelligence, de la chair, du sensible et surtout du concret. Je crée des temps de recherche dans lesquels mes pièces s’écrivent. Les comédiens sont présents, dans des conditions de mise en espace et de mise en situation déjà très développées. 

Pour ce qui est de la famille, je suis toujours embarrassé avec cette question parce que pour moi la famille est plutôt un sujet d’inspiration pour bâtir des fictions qu’un sujet en soi. Je n’ai pas l’impression, peut-être à tort, que je parle de la famille. Je parle ou j’essaie de parler d’autres choses mais la famille me sert de point d’ancrage ou de départ.

C’est cette scène là qu’il faut animer quand on est auteur et metteur en scène.


Du côté de la mise en scène

Stanislas Nordey Marie-Christine Soma Vincent Macaigne Christine Wahl

L’amour de changer le monde

Quand je t’ai proposé cette conversation autour des personnages de femmes chez les auteurs contemporains, tu m’as répondu que tu te sentais très concerné par cette question, parce qu’un des éléments de ton choix de pièces était la présence de figures féminines fortes. J’ai d’abord été surprise, car je comptais plutôt d’interroger sur ce que je ressens dans tes spectacles comme une forme d’estompement de la différence sexuelle.

Son personnage le plus frappant pour moi, c’est Phèdre, dans Gibiers du temps, qui n’enfante plus que des filles, comme si c’était une forme de malédiction. Ce qui permet à Gabily d’inventer dans cette pièce une troupe d’amazones… Penthésilée me semble une figure fondatrice de son écriture : la femme était tout pour lui, et ne même temps le dévorait, elle était toujours trop absente ou trop là, sa présence l’aidait et l’empêchait à la fois d’être l’artiste qu’il voulait… C’est difficile de parler de ses personnages féminins sans tenir compte du contexte où il les concevait ; il écrivait souvent pour les femmes avec qui il vivait, en projetant dans ses personnages  un rapport passionnel  fait d’amour, de haine, de violence : Je t’aime, je te quitte, j’ai besoin de toi, mais je dépends de toi et tu me fais souffrir. C’était sa vie. Et dans ses pièces la femme est guerrière, mais en même temps elle aime, et surtout elle souffre.

Il y a quelque chose de très sacrificiel dans les personnages de femmes chez Lagarce : pas exemple cette Hélène qui suit la bande des garçons, des amants, dans Le Pays lointain.

Pour être là, elle doit effacer la femme en elle. C’est très violent.

Le théâtre de Koltès tient, avec plus ou moins d’ironie , un discours essentialiste. Il pose entre hommes et femmes une différence quasiment ontologique, analogue à celle qu’il définit entre Noirs et Blancs. Tu m’as dit une fois qu’excepté dans Tabataba - la seule pièce de lui que tu aies montée - ses personnages féminins te paraissent « périphériques. Que voulais-tu dire ?

Dans Tabataba ce qui refait surface de manière évidente à travers le personnage de Maïmouna, la grande soeur, c’est la question du matriarcat - peur-être parce que la pièce est située en Afrique. Maïmouna me paraît une figure rassurante, enveloppante. Elle n’est pas perchée sur des hauts talons, en déséquilibre, comme Léone… Dans Quai ouest Monique et Léone sont celles qui se perdent dans l’obscurité. Monique ne sait plus où elle va, Claire traverse le hangar dans le noir, à l’aveugle. Tout ce qui se joue entre la Soeur et la Gamine, dans une des plus belles scènes de théâtre de Koltès, parle de la crainte et du désir de se perdre, de la crainte des hommes. La Mère dans Zucco est elle aussi complètement perdue. Elles finissent toutes plus ou moins abandonnées. Finalement, on s’en sert quand même beaucoup, et puis on les jette, on s’en débarrasse. C’est comme si Koltès n’osait pas les regarder, les mettre au centre - c’est peut-être ce que je voulais dire par « périphériques ».

Cet affrontement insoluble entre hommes et femmes, ouvert chez Gabily, latent chez Lagarce, thématisé avec ironie par Koltès, me paraît très différent de la guerre des sexes présente dans l’oeuvre de Müller. Müller appartient à une génération d’hommes qui regarde le combat des femmes dans sa relation avec d’autres combats politiques. C’est ce qui m’a beaucoup frappée en lisant Ciment : c’est une pièce qui traite de la Révolution et à l’intérieur de la Révolution, de la libération des femmes.

Müller parle constamment de l’oppression des femmes par les hommes, que ce soit dans Médée matériau, dans Paysages avec Argonautes, ou dans Ciment. La femme est instrumentalisée et se bat pour retrouver son identité. Dans la première scène de Ciment, « Le lit », Dacha finit par prendre un fusil et menacer son mari qui rentre de la guerre et veut coucher avec elle. Dans la scène centrale, elle lui raconte qu’après avoir été violée, elle a choisit de faire de son corps un corps de passage pour des gens qui allaient mourir, de lui donner une fonction révolutionnaire. Et à la fin, alors qu’il lui dit avoir grandi, compris, elle répond que ce n’est pas assez, parce que pour elle, bien qu’elle l’aime toujours, un nouvel amour a remplacé l’amour : l’amour de changer le monde.

Parce que pour moi, la femme, sur un plateau de théâtre - en tout cas l’actrice - porte plus le monde que l’acteur.

Telluriques 

Depuis que tu m’as proposé cet entretien sur les personnages féminins, j’ai beaucoup pensé à Harper Regan, le personnage de Simon Stephens. Parmi tous les textes contemporains que j’ai vus ou lus cette année, c’est elle qui me reste. Un personnage de femme écrit par un homme, peut-être le seul vraiment contemporain - plein de contradictions, de tiraillements, entre le travail, la vie de famille, le désir, le fait de vieillir, et tout ce qu’elle a laissé de côté… Cette femme qui, sur un coup de blues, déserte son travail, lâche son mari et sa fille, part pour la ville de son enfance où son père est en train de mourir, blesse un homme dans un bar, s’enfuit, passe la nuit avec un autre homme rencontré grâce à une annonce sur un site internet - puis reprend le cours de sa vie.

Dans Ciseaux, papier, caillou de Daniel Keene, que tu as mis en scène avec Daniel Janneteau il y a aussi une femme qui travaille, alors que son mari est au chômage. Mais tandis qu’on sait ce qui manque à l’homme dans son métier de tailleur de pierre - cette perte de sens est même le sujet de la pièce - on ne connaît de la femme que son rôle familial assez traditionnel. C’est, à l’inverse, de Harper Regan, un personnage dont on pourrait dire qu’il esquisse, à côté d’un personnage masculin beaucoup plus défini.

Nous ne présupposons jamais rien sur un personnage. Celui-là est venu avec l’actrice. Le choix de Marie-Paul Laval pour jouer ce rôle était primordial. Ce qui m’a donné envie de la présenter à Daniel pour ce spectacle c’est ce qu’elle a d’immensément maternel, en même temps que sa très grande liberté et profonde sensualité - un mélange qui lui donne une forme énorme…Son affirmation sexuée au-delà des années, que je trouve extrêmement belle, me semblait pouvoir dessiner fermement face à Carlo Brandt, la silhouette esquissée par Keene - une femme dans la cinquantaine, pas exceptionnelle, qui travaille et tente de s’occuper de son mari à la dérive et de sa fille  qui grandit et lutte à sa manière pour faire tenir ensemble ce qui est en train de partir en lambeaux, le coeur du foyer.

Ce qui m’a émerveillée quand j’ai lu ce roman, c’est de sentir que Virginia Woolf est dans les six figures, masculines et féminines. Elle prend des directions d’hommes autant que des directions de femmes, et parmi les directions d’hommes elle peut prendre trois chemins différents, comme parmi les directions de femmes - justement parce que cela coexiste dans son unité à elle, sans pouvoir être en paix. Je connais peu de textes qui me parlent autant de cette part d’ambivalence qui peut exister entre masculin et féminin. Bien qu’on soit sexué, né d’un côté, parfois on sait très bien que ce n’est pas que ça. Les Vagues mettent en mots cette complexité de l’être humain. Woolf dit qu’on peut emprunter ce chemin là, mais aussi cet autre, et que tous ces chemins non seulement coexistent mais s’interpénètrent et s’enrichissent les uns les autres… Virginia Woolf a saisi ce qui dans sa propre vie a dû être un calvaire, pour en faire ce roman qui est tellement plein de lumière.

Pudeur et Vocifération

Dans tes spectacles, les transgressions sont au centre : elles y sont en jeu de façon complexe, porteuse d’une extrême violence, mais aussi d’une grande poésie. Néanmoins, Idiot ! et Requiem 3 t’ont valu certaines attaques t’accusant de trop de violence et de misogynie.

En effet, j’ai subi quelques attaques vraiment très violentes et répondre à des questions sur la femme au théâtre, c’est aussi répondre à ces attaques-là. Car même s’il y a une certaine violence dans mes spectacles - la perte des illusions y est au centre et cette perte est violente - ils parlent surtout beaucoup d’amour. Il y a une grande naïveté, c’est peut-être mon coté fleur bleue… La question de la femme peut bien sûr se poser mais la parole de l’artiste vaut avant tout en ce qu’elle a d’universel - la part universelle des souffrances humaines…

Requiem est un spectacle choral sur la souillure - où les personnages se font arracher une innocence, abandonnent des choses - et sur une genèse de la violence, qui part d’un colère intime : on travaille avec notre intimité, avec ce qui touche un peu ou pas, pour que l’universalité de cette parole soit ressentie par les spectateurs. C’est un cri de désespoir, propre, je pense, à ma génération. J’ai été étonné de certaines réactions quant au personnage féminin de la pièce. Et la comédienne et moi nous sommes posé des question du genre : Est-ce que c’est misogyne ? Du coup, pour la reprise, j’ai essayé de résoudre ce problème en écrivant un monologue pour ce personnage. Mais j’ai réalisé que c’était un faux problème et je l’ai retiré. Parce qu’au final le fait de vouloir résoudre le problème de la misogynie m’a semblé très misogyne. Ce serait vouloir justifier la violence, l’amour. Or, je trouve cela très beau, que l’on n’ait pas son histoire à elle. J’aime l’idée qu’on n’ait pas affaire à un spectacle avec une histoire qui se développe dans le temps, dans la profondeur, mais où la qualité de ce qui arrive est dans une brutalité, dans une sorte d’accident perpétuel…

Comment la comédienne a-t-elle abordé la scène du viol, très longue, très crue sans pour autant être dégradante ?

La scène du viol est tout aussi violente à jouer pour le comédien que pour la comédienne, même si ce n’est pas violent de la même façon pour chacun. Pour lui, c’est par la nudité - l’acteur est nu, l’actrice ne l’est pas - et par la violence physique : elle frappe vraiment son dos, il a le dos en sang. Or, les gens se projettent dans la comédienne ! C’est étrange qu’on ne trouve pas ça violent pour celui qui est dessus, qui s’en prend vraiment la gueule physiquement. Ce n’est pas juste.

Sur Hamlet, je vais sans doute n’engager qu’une actrice pour Ophélie. Et pour Gertrude, un homme. Car on a une figure qui se fait complètement manger, marcher dessus, une sorte de victime absolue et c’est Ophélie. Surtout, j’aime l’idée d’avoir un groupe d’hommes face à une femme. D’ailleurs Ophélie n’est pas une femme mais une figure de victime absolue.

Une photo me fascine. On y voit un petit gros, japonais, en train de se faire défoncer par des étudiantes japonaises. Un groupe contre un individu. Et bien voilà, ça c’est une victime absolue. Je trouve cela très beau, il y a quelque chose d’extrêmement méchant. Gertrude jouée par un homme par un homme permet d’avoir un groupe d’hommes. Là-dessus il faut voir les spectacles d’Angelica Liddel. Le fait d’avoir un groupe de femmes sur le plateau est très fort, cela crée une violence mais de façon très fine… Angelica Liddel est là, raconte son histoire, se bat. Mais elle touche avant tout à l’humain, et c’est dans sa dimension universelle que son intimité nous touche.

La pucelle et la maman (images de la femme sur la scène allemande)

A vrai dire, il ne nous est jamais venu à l’idée, à nous femmes critiques de théâtre, de nous engager sur la voie frayée par les gender studies. En définitive, dans notre métier, nous avons constamment affaire à des victimes dociles de l’autorité patriarcale. Marguerite, l’amante d’un jour du Faust de Goethe (dont on dirait aujourd’hui qu’il a détourné une mineure) confond sexe et amour, puis se retrouve en prison pour avoir assassiné son enfant.

Emilia Galotti, héroïne éponyme du drame de Lessing, préfère se faire poignarder par son père plutôt que de courir le risque de devoir perdre un jour sa virginité. Et dans Intrigue et Amour de Schiller, Louise, jeune bourgeoise déshonorée par une liaison avec un aristocrate, le fils du Président, se trouve prise au piège des intrigues et des jeux de pouvoir masculins et finit par en mourir. Bref, on ne peut pas dire que le répertoire allemand regorge de modèles pour les femmes du XIX°siècle.

Au moins à première vue ; à y regarder de plus près les choses prennent un tout autre aspect : car dès que l’on se retourne du contenu (c’est à dire de la simple histoire) pour se concentrer sur la forme (à savoir la dimension de la représentation) le théâtre parait souvent avoir une bonne longueur d’avance sur le reste de la société. Cette impression s’impose en tous cas lorsqu’on lit les jeunes auteurs dramatiques allemands d’aujourd’hui, qui reprennent à leur compte les avancées du féminisme des années 1960-1970. En 2008, dans un manifeste intitulé Nous, les filles Alpha, Meredith Haaf, Susann Klingner et Barbara Streidl dénoncent par exemple sans ambages « la quasi nudité des femmes dans les médias ». Heureusement que dans le milieu de la critique théâtrale - à Berlin tout du moins - nous n’avons pas eu à nous battre contre ce genre de choses ! Et puisqu’on en est aux révélations, nous avons au contraire, de notre côté, une bonne nouvelle à annoncer : c’est que l’on commence à voir plus souvent le sexe des acteurs que les seins des actrices sur scène aujourd’hui. En outre, pour les consommateurs particulièrement exigeants du business de la scène allemande, il existe même des avant-gardistes en matière de genre, comme les metteurs en scène René Pollesch et Nicolas Stemann qui ne se préoccupent aucunement de déterminisme biologique…

Comme Nina Wetzel, costumière d’Ostermeier à la Schaubühne, son collègue Werner Fritz a réussi pour Peggy Pickit au Deutsches Theater un véritable tour de force en donnant à Maren Eggert, une actrice distinguée et à tous points de vue séduisante, des allures de ménagère intimidée - une gageure inimaginable dans le cas de cette comédienne. Eggert joue le rôle de Liz, une ancienne infirmière qui, après son mariage avec le médecin en chef Frank et la naissance de leur fille Katie, s’est retirée dans la cuisine de son pavillon. C’est fagotée dans sa vieille robe bordeaux et ses complexes d’infériorité flagrants qu’elle affronte Karen qui est médecin. Pour ce « rôle en pantalon », l’actrice Sophie von Kessel a dissimulé ses cheveux longs sous une perruque courte, ce qui l’autorise (Karen venant de rentrer avec son mari d’une mission humanitaire dans une région sensible) à tenir de grands discours sur l’Afrique, telle que se la représente tout Occidental moyen gagnant correctement sa vie.

Il se pourrait qu’elle rêve Natalia, l’arriviste des Trois Soeurs de Tchékhov. Au lieu d’attendre l’achat d’un frigidaire en ouvrant grands les yeux, cette dernière a optimisé son capital biologique et phénotypique : elle ne s’est pas contentée d’accéder simplement à la bonne société par le mariage, est s’est hissée bien plus encore au sommet de celle-ci.


Krystian Lupa

Persona. Marilyn

Persona. Le corps de Simone 

Est-ce différent pour vous, pour le spectateur, de se regarder dans le miroir de la personnalité d’un homme ou d’une femme ?

Oui ! Intuitivement - oui ! Même s’il est difficile de trouver des explications rationnelles, surtout quand il s’agit d’un phénomène d’identification - nous nous regardons dans le sexe opposé, nous trouvons dans l’autre « ce qui est à nous » mais aussi ce qui nous est étranger - et qui nous est plus accessible justement d fait de cette différence.

Auteur, le metteur en scène pense que l’attitude de Weil qui nie son corps et sa féminité est une sorte de viol et reste persuadé que Weil n’est pas pleinement consciente de ses propres motivations ou alors qu’elle les falsifie en partie.

Ce que je ressens plutôt maintenant, à travers des intuitions peut-être plus profondes, c’est le besoin d’ouvrir une perspective nouvelle, une possibilité d’une nouvelle version de moi-même qui s’attellerait à une polémique ou à une lutte contre la superficialité, et qui serait, dans sa genèse, une révolte masculine. 

Il m’a semblé - et ce fut presque comme une illumination - que la vérité  sur une personnalité et ses aspirations pouvait être révélée par un dialogue, voire par un conflit polémique, plutôt que par un point de vue extérieur homogène, uniquement fondé sur sa vérité et sa logique internes.

Peut-être (nous l’apprenons à travers le récit de Hamm) le père abject de Clov a-t-il vendu à Hamm un enfant de sexe féminin en le faisant passer pour un garçon, car la transaction était plus sure et plus rentable… Clov est une fille, mais Hamm, aveugle, croit que c’est un garçon et l’élève comme un garçon. Et Clov ne sait pas non plus qu’il n’est pas un garçon. C’est seulement plus tard qu’il commence à le découvrir, et cela le fascine. Son histoire résonne avec un problème tout à fait nouveau et propre à notre époque, cette conscience qu’a l’être humain que la division sexuelle entre hommes et femmes ne convient pas. Que représente pour Clov ce champ libre ? Où va-il ? Quelle idée s’en fait-il, quel est ce nouveau monde à lui où il s’échappe ?

Persona. Le corps de Simone

Laissons une fantaisie se déployer : et si Elisabeth Vogler, l’actrice murée dans le silence de Persona de Bergman, revenait trente ans plus tard vers son métier grâce à un jeune et charismatique metteur en scène ? Et si, après un premier succès consensuel dans Médée, lui arrivait la proposition étrange et surprenante, de se mesurer avec la personnalité, le corps et la pensée de Simone Weil ?

Les mobiles du metteur en scène sont quelque peu obscurs et pas tout à fait de l’ordre du conscient.

Elle a le sentiment de livrer son corps et son âme à des attaques vicieuses qui la mettent à nu d’une façon insaisissable et donc artistiquement suspecte. Elle craint que son corps ne serve aux expériences d’identification morbides, chaotiques et spirituellement polémiques de ce jeune visionnaire.

La rencontre avec Marilyn est une conversation avec soi-même


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