après le trop sérieux, le trop long - seconde photo pas à sa place - et le plaqueminier varois qui n'a rien à faire ici mais qui ne sera bientôt plus de saison .
Angélique-Marie vérifiait avec Mireille les piles de drap, mettant de côté, pour elle-même, celles dont l'assouplissement si agréable trahissait l'usure, lorsque le Jean lui a remis le courrier. Il y avait l'habituel compte-rendu de Jean-Gaston, rien de son fils, un courrier de sa tante des Ronquères de Lyon, et puis elle a reconnu l'écriture de Cécile.
Elle a refermé l'armoire, renvoyé Mireille, et elle est sortie avec la lettre dans le jardin.
"Maman, Votre lettre nous est arrivée au moment où je m'apprêtais à vous écrire en accord avec Maurice. Je ne peux vous cacher qu'elle nous a touchés au plus au point. Avec votre gentillesse et votre hardiesse habituelles, vous envisagez le voyage jusque dans nos montagnes, mais nous ne pouvons en être d'accord.
Maman, ma chère Maman, j'abandonne ici le vouvoiement que nous aurions dû observer ici. Les dames sont redoutablement réservées et solennelles. Je reprends, si vous le voulez bien, le tutoiement de notre région et notre sans-façon. Et c'est franchement que je t'avoue le grand besoin que j'ai de toi.
Mais, admires comme cela s'arrange et comme Maurice est prévenant. En descendant de voiture, hier soir (il faut que je vous parle de notre promenade) il m'a annoncé qu'il ne voulait pas que je sois sans vous ou sa mère dans ces moments. Heureusement, son inspection des routes des environs est terminée pour le moment et, dès qu'il aura rédigé son rapport, il sera libre pour un mois ou un peu d'avantage. Il se proposait de se procurer une berline et de m'accompagner à Avignon. Nous pourrions loger chez ses parents ou chez vous.
Bien sur, ensuite il devra me laisser, mais vous m'aiderez, n'est-ce-pas à le supporter.
Maman, je commence à aimer ce pays. Depuis que Maurice est là, nous faisons des sorties dans la campagne. Hier il m'a emmenée dans une forêt, à quelques lieux d'ici. Nous avons de beaux bois en Provence, mais je n'avais pas connu une expérience pareille. La forêt est haute, et elle était incroyable, un mélange de rouge, brun et jaune. Nous avons laissé la voiture et marché dans une allée. Imaginez un tunnel chatoyant, le bruit des bottes de Maurice et de mes souliers (je m'appuyais beaucoup sur lui) sur l'épais matelas de feuilles, une odeur un peu de pourriture, extrêmement grisante Maman. Je pensais être dans un des romans de la bibliothèque de Maurice. Et au moment même où la lumière se faisait rare et où nous revenions vers la voiture, nous avons entendu, quelque-part dans cette immensité rousse, un cor sonner longuement. J'étais transportée.
Je constate que je ne saurais égaler nos jeunes auteurs, et que j'ai laissé tomber le tutoiement. Je m'acclimate décidément. Écris-moi ce que tu penses de nos projets.
Madame de Montrésy, que j'ai rencontrée chez la femme du commandant de notre régiment, est extrêmement gentille avec moi. Elle m'a dit qu'elle t'a rencontrée chez ma marraine Anne-Françoise et vous envoie à toutes deux ses meilleures pensées.
Je vais écrire à ma belle-mère pour la remercier de sa gentille lettre, mais cela attendra le prochain courrier, je suis un peu lasse.
Mère, je me joins à Cécile pour vous demander de ne pas vous risquer à ce voyage et pour vous prier de l'accueillir chez vous. Je vous amènerais votre fille avec toutes les attentions qu'elle mérite. Vos enfants."
En rentrant par le petit vestibule, Angélique-Marie sent qu'elle n'est plus que sourire, elle murmure "Cécile, Cécile", en hochant un peu la tête, et puis elle commence à organiser...
8 commentaires:
pourquoi le plaqueminier ne serait-il pas à sa place Brig ? il était peut-être sur le parcours vers la forêt de cette promenade dans la campagne que tu décris si bien ! Simple supposition de ma part, mon imagination galope à ta lecture.
Bon début de semaine !
Vous aussi tu m' as tutoyé un jour !
Je suis admirative devant ton talent à chaque fois qu'angélique marie réapparait ! c'est tout ce que je ne saurai jamais faire... j'aime vraiment beaucoup ces balades un peu désuetes..
ah! ce vouvoiement que j'ai entendu pour la premère fois en 1970 dans une famille "bourgeoise" de Paris, où le papa tenait un haut poste dans un ministère...Curieux décalage quand le fils vouvoyait ses parents et moi qui les tutoyais...baroque non?
Cécile a un rapport très sensuel avec Maurice, "Je n'avais jamais connu une expérience pareille"
"un tunnel chatoyant"
"je m'appuyais beaucoup sur lui"
"extrêmement grisante"
"je pensais être dans un des romans de la bibliothèque de Maurice", dans l'antre de l'homme, le coeur palpitant, la chair frémissante...
érotisme délicat, désuet
superbement bien suggéré
J'émets une hypothèse: Maurice est plus âgé que Cécile.
Vrai, faux?
Bellissima scrittura Bigetoun!
vraisemblablement, dans mon crâne nous sommes vers 1820 - et dans ma famille à part un cas nous avons une tradition d'un peu plus ou moins de 10 ans d'écart,
au moins pour le premier conjoint
je trouve beaucoup de charme au vouvoiement ....Angélique -Marie.... prénom étrange
A chaque époque, à chaque contrée sa culture. Dans ma langue maternelle le tutoiement n'existe qu'entre amis. Sinon il représente la vulgarité.
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