un petit revenez-y de la bande d'Angélique Marie, et des souvenirs de la lumière
Julie a embrassé sa logeuse. Elle a pris son baluchon, bien gros, soigné, presqu’élégant, et puis elle a quitté cette maison, avec un peu de crainte mêlée à son désir d’être joyeuse, et elle est partie vers la maison de Madame de Cayranne, préparer l’ouverture de la pension, se couler dans son nouveau rôle.
Une certaine fierté – responsable de l’internat (elle ne savait quel nom on donnait à sa future fonction), cela semblait si important. Quel dommage de ne plus avoir personne qui puise se réjouir de cette annonce !
Elle est partie d' un pas déterminé, ferme, presque fier, revivant une fois encore la rencontre. Elle ne savait pas qui l’avait recommandée à Madame du Bernaux ; oh ! juste comme lingère, ou responsable de la tenue du linge, peut-être plus… Elle est entrée dans ce petit salon, un peu à l’écart, vaguement décrépi, et s’est trouvée face à une très jeune femme, joliette, bouclée, un peu gênée – « ma mère et Madame de Cayranne ont dû sortir ; elles m’ont demandé de vous recevoir ».
Un petit rire, que, dressée, un peu raide, elle a trouvé à la fois frais et un peu sot, contredit par le regard assez froid qui la détaillait, la soupesait. Cramponnée à son souhait de plaire, elle sentait dans tout son corps, tous ses nerfs, monter un début de révolte, une crispation. Elle aussi, peut-être injustement, elle avait jugé, et, malgré elle, ses joues commençaient à s’empourprer de l’humiliation de voir son sort dépendre de cette femme. Cela lui paraissait, encore, tellement hors nature.

Cécile Icart avait souri, satisfaite, semblait-il, de cette confusion. Et peu à peu le futur rôle prenait de l’importance, la jeune femme se grisant de sa générosité, un peu impressionnée aussi : direction des femmes des chambre, et peut-être…. « Vous savez lire, bien entendu ? »
Un sursaut réfréné – gommer toute ironie dans la réponse – Julie a entrepris d’expliquer à son examinatrice qu’elle en savait bien plus.

La porte s’est ouverte. Deux femmes se sont arrêtées un instant sur le seuil. « Ah ! Cécile tu es là ? » - petit dialogue, la présentant. La grande jeune femme brune a souri, un peu vite, et puis de façon plus lumineuse, en regardant Julie avec autant de précision que son amie, plus avec curiosité cependant qu’en juge – éclairage plus que pesée.
Et celle que Cécile avait appelée Mère, et qui devait être Madame Icart, s’est assise, droite et souple, dans la grande bergère, en les invitant à en faire autant « et vous aussi, Mademoiselle ».
Simplement, naturellement, le premier rôle est revenu à cette dame, comme l’a étiquetée Julie, et un merveilleux dialogue s’est installé lentement entre elles. Avec des questions directes, mais presqu’à tâtons, doucement, son histoire a été reconstituée, et tout son petit trésor inutile de savoir. Elle était baignée par la clarté de ce petit sourire, de ces yeux noirs.

Elle est partie troublée, craignant un peu d’avoir semblé trop savante pour ce qu’elle était, heureuse d’avoir cru un moment à une reconnaissance. Et le soir un garçon lui avait porté un billet. Sous le regard interrogatif de la Marie, elle l’avait lu et, dans un grand sourire, elle avait accepté.

Parsemées, en tentative de ponctuation, d’anciennes photos au hasard, pleines de la lumière qui n’est revenue que mercredi soir - peut être le cheminement de Julie. Entre une promesse d’orage, non tenue, une carcasse de très mauvaise humeur, un repassage en retard, l’assassinat de mon aspirateur et le choix de son successeur, ne suis pas sortie.
(si l’envie vous en prend, un rappel des principaux intervenants et le recensement des fragments de l’histoire d’Angélique Marie et autres, sur « roman de gare » via mon profil)