un ticket d'entrée au musée Miro de Barcelone, d'une trentaine d'années, un fragment de chapelet en nacre, une multi-prises, un rouleau de pellicule non développé, un paquet de mouchoirs en papier poussiéreux, un petit livret indiquant les calories des aliments, des épingles à cheveux et des trombones, un minuscule tournevis, un paquet de pastilles Vichy entortillé sur les quelques bonbons restant, deux bracelets en toc oxydés, la médaille d'argent entourée d'ivoire de mon berceau et un petit sac plastique contenant des feuilles mortes en chemin vers la poussière, un peloton de ficelle rouge pour cadeaux, un porte serviette en ivoire avec mon prénom gravé en italiques, de petits écouteurs et des enveloppes vierges dans un étui, plus des crayons aux mines usées mais pas de taille crayon.
Sauf que ces tiroirs ne sont pas miens, pas les bons. Alors, je pense que je pourrais y mettre, en vrac ou dans une boite comme celle de Marie, le contenu de celle-ci « de boutons dépareillés, de chaînettes d'or (ou plaquées or) et de vieilles boucles de souliers en cuivre... » (l'Herbe – Claude Simon, et plus tard l'inventaire s'amplifie, se précise jusqu'à occuper une page) avec, trouvée en fourrageant, la bague qu'elle offre à Louise.
Et puisque, juste parce que je les aime bien, les bois des petits chefs d'oeuvre de compagnons que j'ai photographiés, je les utilise ces images, en même temps que je reviens rapidement - dans cet après midi qui hésite entre une chaleur de temps couvert (même si les nuages sont très hauts, juste comme un voile empêchant le bleu de régner) et un soupçon d'aigreur fraîche du début d'automne, qui me fait frissonner un peu dans un petit rhume humectant mes yeux et me faisant la tête lourde et creuse - sur le livre lu il y a deux jours, dans le plaisir d'une découverte tardive, et j'installe dans l'alcôve un raide canapé restauration, en dissonance, et en souvenir de celui sur lequel j'ai passé tant de soirées interminables dans le salon de ma grand-mère.
Juste pour Marie, arbitrairement, et puisque elle est là, toujours présente, par ce râle qui étend sa présence « comme si celui-ci n'avait pas besoin d'être perçu par l'oreille pour être entendu jusqu'au bas de la colline, et même plus loin, maintenant, dans la nuit silencieuse, la nocturne paix du jardin des frondaisons et des oiseaux endormis... » et parce qu'elle colore tout le livre, pourtant centré sur Louise, vu à travers la jeune femme, et Sabine, l'autre vieille femme « la vieille reine effondrée, ivre, bégayante... » puis de nouveau « sur pied, refardée, replâtrée, retapée.. les yeux faits (verts), la bouche soigneusement peinte, la chevelure orange... » est, malgré ses monologues, vue de l'extérieur, sans influence, en contrepoint de sa belle soeur, « cette tête déjà momifiée, ce corps soulevant à peine le drap, et qui n'a jamais tenu un homme embrassé, ces flancs, ce ventre qui n'a jamais enfanté, et ce visage maintenant semblable à un masque de carton, de parchemin.. », elle qui avait abandonné dans la déroute générale la grande maison, non pas préservée mais reconstruite peu à peu pour ce frère qu'elles avaient, à force de travail et économies, sa soeur et elle élevé et porté jusqu'à ce qu'il devienne professeur, pour le rejoindre, assise dignement sur sa valise dans les trains de la déroute, et arriver au milieu de la famille installée dans un jardin, ouvrant son sac pour s'éponger avec un miroir blanc, immaculé et soigneusement pliée, elle qui par le don de ses carnets où toute la vie est notée simplement en petites notes ponctuant les comptes minutieux va sans doute empêcher Louise de partir, « parce qu'elle n'a jamais rien demandé aux autres, pas même qu'ils l'aiment, pas même la permission de les aimer, pas plus qu'elle ne s'est permis de le leur dire ou de leur manifester autrement que par la seule façon qu'elle pût imaginer, c'est-à-dire en donnant... », avec une probité rigide.
Mais à vrai dire elles ne retiennent que parce qu'elles sont dans ce livre, avec cette chronologie perturbée par le cheminement des idées et les longues phrases, le glissement d'un personnage à l'autre, les descriptions précises et sensuelles comme ce triangle dessiné par l'entrebaillement des volets de la chambre, et les heures passant sur le jardin.
9 commentaires:
Les fonds de tiroir
- toujours surréalistes - comme les sacs de certaines dames,
ce qui me conduit à Ducasse, Comte de Lautréament, qui évoquant l'Angélus (un peu conventionnel, à vrai dire)de Millet, écrivant sa fameuse phrase:
"... beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie. "
Les chants de Maldoror (1869)
certes pas un inventerre-à-terre...
pas facile de suivre l'histoire en plein vol
J'aime bien l'inventoire de ton tiroir. :-)
ce que boites et tiroirs nous révèlent parfois! des bribes de notre vie; objets souvent insignifiants pour qui n'en connait pas l'histoire...
je viens de relire..
tu es sûre que tu viens de le rouvrir ce tiroir??ou ils s'est rouvert entre les lignes de Claude Simon??
la magie des mots!!
les deux
magnifique écrits chère Brigetoun-les objet d'un tiroir c'est comme un journal visuel.
bise.
Awesome Pictures and Blog
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