Y avait la foire aux chevaux lundi matin, près des remparts, là bas, au bout de la rue Joseph Vernet et de la rue Saint Charles, et m'en suis allée les voir. Ne rêvais pas d'en ramener un, mais peut-être une image, pour raison d'économie, de place, et puis un peu parce que j'ai passé mon BEPC pour gagner des leçons que j'attends encore. N'y a eu place dans ma vie que pour deux chevaux en mon enfance, un luxueux et un beau gros monument qui tirait charrette et tonneaux, et ma rencontre avec eux a été exaltante, sous patronage de très grands adultes, et fort brève.
La lumière filtrante faisait une jolie tache dans le gris et j'ai mis la main dans la poche de ma pelure rouge, attrapé mon appareil ami, eu un moment de surprise émue et me suis souvenue que la batterie devait attendre sagement dans le chargeur.
Aucune image d'ailleurs, et certainement pas celle de croupes devant nos vieilles pierres n'aurait convenu à l'évocation de « Vers l'Ouest » de Mahigan Lepage (http://www.publie.net/tnc/spip.php?article286) . Alors, après celle de la couverture, j'ai cherché dans les petites traces de mes jours sans rien trouver – imagination requise.
La route vers l'Ouest d'un adolescent québécois, un des temps d'après moi, un qui est parti, lui, dans l'idée de son grand pays, mais un pour qui la coupure avait un petit goût d'héritage, puisque :
«Les fils de bourgeois, les fils de fonctionnaire, quand ils se révoltaient ils pouvaient croire que c’était pour la première fois. Ils pouvaient croire assumer la paternité de leur révolte, ils pouvaient croire être les premiers fils. Moi je le pouvais pas. J’étais fils de fils. J’étais fils de révolte.»
Mais il est parti tout de même, et plusieurs fois, a pris la route
«La route défile sous le capot et la couleur de l’asphalte est indéfinissable. On ne sait exactement si elle est grise ou noire ou blanche ou bleue ou jaune. Elle a une coloration mais elle est d’abord matière. La route est une expérience en soi qui jamais ne lie les territoires qu’elle relie. En elle-même route demeure tout entière à rassembler.»
Les grandes routes droites à longues circulations (rien à voir avec ça)
Encore moins quand elles abordent les villes, à travers ces zones indécises qui sont leur entrée et leur extension, et à Montréal il a le fleuve, et les ponts, et «le bleu pâle du fleuve glisse sur le coloris vif du port de marchandise, lequel à son tour glisse sur le brun pâle de la ville en retrait.»
J'aime la différence qu'il note entre les façons d'aborder la ville : en y entrant de plein pied en voiture, en se faisant déposer près d'une bouche de métro, pour se sentir là, en elle, en avançant dans ce souterrain, alors que le train en arrivant à Paris ou à New-York est en dessous, passe dans un tunnel et on est dans la ville lorsqu'on remonte.
Sur la route il y a les filles, il y a «faire le pouce» (et je pense que cette saveur ne vient pas de son âge, que c'est la langue inventive des québécois), il y a le travail quand on en trouve, et la nourriture gratuite, les tentes et de quoi se faire des joints, juste ce qu'il faut de souplesse pour se couler plus ou moins facilement à travers les difficultés, mais des moments perdus, ou de la peur, et les différentes routes et leurs aventures sont tissées dans un texte qui file.
Mais, toujours, il y a le retour possible chez la mère, après les déconvenues, après être allé à Niagara ou à «la limite est du pays noir et rude des usines et des mots anglais. Et les confins du pays sont de forêt dense et de noms rouges, comme Maniwaki et Oka, rouge foncé et canadien, quand le Canada fait du sang des Indiens la couleur même de son identité.» La mère qui est arrivée à donner à son fils une somme d'argent et du «pain et du beurre d'arachide et des biscuits aux amandes», et puis un mot laissé avant le premier départ, prélude à tous les autres, jusqu'à «La brume était très épaisse ce matin-là, la route en sortait comme une langue. L’asphalte avait des reflets de bleu et de jaune et de noir.»
Et la mère je l'ai retrouvée, après ce voyage vers l'ouest, plus proche, à Naples, avec, là, le lien qui se moque bien des erreurs, de l'impossibilité pour elle de comprendre le fils, et pas seulement parce qu'il bégaie - et l'impossibilité pour lui de dire, son sentiment d'être à côté se manifeste ainsi – dans «pas ici, pas maintenant» d'Eri de Luca, une centaines de pages admirables, une sensibilité qui affleure dans la langue précise, presque neutre. Et la rencontre entre la jeune femme de la photo et le vieil homme qui est son fils.
«Tu regardes devant toi un point de l'autobus qui a surgi en face. Tu n'as pas ton visage de vent. Je nommais ainsi l'expression que tu prenais lorsque tu passais dans la rue, semblant affronter le siroco.... La chaise s'est faite dure... je suis assis à l'intérieur, je suis tourné vers la fenêtre et toi tu me regardes."
Tu ne me reconnais pas.»
Et voilà que, pour qu'elles continuent à courir à travers ma journée de dimanche, mes soeurs organisent une rencontre pour l'anniversaire de la mort de notre mère.
6 commentaires:
A propos de chevaux "monumentaux", ceux d'ici restent irremplaçables. Ils se glissent somptueusement là où les tracteurs les plus hurlants restent lamentablement bloqués. Ces chevaux montrent une incroyable finesse d'exécution dans le transport des arbres abattus dans les endroits les moins accessibles. Ils rappellent "la force tranquille" sans récupération politique.
Faute de vrais chevaux, tu en as mis à vapeur près de l'arbre.
Je me souviens du jour de la mort de mon père, mais jamais de l'année. Mais celle de mon beau-père, mort l'année dernière au mois de novembre, je n'ai pas retenue. Celle de ma belle-mère, si, par contre, c'était d'un choc. C'est drôle les souvenirs des choses qu'on ne peut pas (ou ne veut pas) oublier.
j'ai une drôle de conception des choses : en l'occurrence c'est l'anniversaire de sa naissance, bonne date pour se souvenir d'elle, qui est morte
J'aurais aimé aller voir les chevaux...
Je viens te lire en dépit d'une certaine lassitude de mon ordinateur. J'aime lire tous tes ressentis, ce qui fait aussi tes journées.
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