Brigetoun en saut de puce
départ dimanche vers 9 heures et demie à l'heure des petits déjeuners en terrasse,
des ombres longues et de la démarche allègre, vers l'éventualité d'un déjeuner familial à Grignan (entêtement stupide remisé), avec la conviction que ce serait partie remise pour cause de grève. Mais, si les trains précédents étaient remplacés par des autocars (et j'aurai renoncé) celui que je devais prendre premier était maintenu
avec un retard qui a fluctué au gré des annonces – et le retour était assuré.
En fait l'attente a été d'environ 20 minutes, le temps d'avancer dans le récit coulant de «le nom sur la langue» de Pascal Quignard
jusqu'au «petit traité sur Méduse» et : «C'était un nom non pas au bout de ma langue mais au bout de mon corps et le silence de mon corps était seul capable d'en rendre présente, en acte, la chaleur. Je n'écris pas par désir, par habitude, par volonté, par métier. J'ai écrit pour survivre. J'ai écrit parce que c'était la seule façon de parler en se taisant. Parler mutique, parler muet, guetter le mot qui manque, lire, écrire, c'est le même. Parce que la dépossession fut le havre...»
et puis un très court trajet (pas suffisant pour finir le livre) dans la campagne sans grand charme jusqu'à la voiture qui m'attendait, nouvelles échangées en roulant, mouche du coche en cuisine,
reçu en cadeau des livrets des «scènes intempestives» du dernier festival de la correspondance,
déjeuner de bon appétit, familial, avec plaisanteries, histoires, pas de sujets dangereux, dans la fraîcheur relative de la terrasse supérieure, à l'ombre d'un arbre-monde (ne me souviens plus de son essence, juste de sa taille superbe)
et puis l'après-midi de belle forte chaleur au jardin,
avec les anciens enfants devenus parents très adultes, garçons s'ébattant dans la piscine, une romancière de neuf ans alternant bain et rédaction,
le sourire radieux d'une toute petite fille, merveille de grâce féminine, sans minauderie, à nous rendre presque jalouses, l'appétit ou la soif incessants d'un tout jeune bébé
la circulation des deux vieilles et des jeunes femmes entre la maison, son raffinement (qui resteront secrets), ses beaux dessous
les coins d'ombre (et nous pouvons maintenant nous renvoyer entre soeurs des noms d'acteurs ou critiques reçus par elle au nom du festival, et quand elle évoquait leur bonheur, leur quiétude d'être à Grignan après, avant ou au lieu d'Avignon, je lui accordais, avec un mélange de fierté, de compréhension totale, de légère vexation que le contraste entre ce charme et la folie qui règne ici pendant un mois rendait la chose évidente)
et, pour elles, la piscine, pendant que, bien au chaud, mais à l'ombre, je mettais mon nez dans les livrets :
Fabrice Beucher : «Racine/Molière ou l'école des hommes» : «Molière : Moi, Monsieur, je ne suis pas de ceux qui veulent plaire à seulement quelques courtisans en infligeant au théâtre ses carcans ennuyeux et réducteurs. Le bon sens, le discernement, valent mieux que vos dogmes..»
Evelyne Lever : «Marie-Antoinette, adaptation de la correspondance» : «Y a-t-il une femme plus à plaindre que moi ? Je crois que mon fils se meurt lentement. Mon mari, qui a en charge le plus beau royaume d'Europe, ne parvient plus à le gouverner. Il ne compte que sur moi et j'ai choisi comme principal ministre un homme qui se rend odieux à la nation, malgré ses qualités...»
Isabelle Cousteil : «Cyrano ou la maladie de la gloire» : «Edmond : Rosamone, toi seule peut empêcher tout cela : mon courrier, mes moindres gestes, mes vêtements, tout est disséqué, livré à la condescendance, à la moquerie, à l'adulation niaise aussi, ce qui revient au même à l'échelle du sordide.» (à vrai dire du mal à m'intéresser à lui)
Françoise Hamel : «Madame de Sévigné va au théâtre» : «Nous écoutâmes, le maréchal et moi, cette tragédie avec une attention qui fut remarquée, et certaines louanges sourdes et bien placées n'étaient peut-être pas sous les coiffures «à la Fontange» de toutes les dames présentes...»
Julia de Gasquet : «Diderot une leçon de théâtre» : habile marquetage de lettres à Mademoiselle Jodin et à Madame Riccoboni (et interventions de cette dernière) antérieures au «paradoxe.. », finissant sur des passages de l'ébauche de ce dernier, parue dans la correspondance littéraire de Grimm : «Réfléchissez un moment sur ce qu'on appelle au théâtre être vrai. Est-ce y montrer les choses comme elles sont en nature ? Aucunement. Le vrai en ce sens ne serait que le commun. Qu'est-ce donc que le vrai à la scène ? C'est la conformité des actions, des discours, de la figure, de la voix, du mouvement et du geste avec un modèle idéal imaginé par le poète, et souvent exagéré par le comédien...»
et puis j'ai quitté, en fin d'après midi, le noble village, ou le peu que j'en ai vu, et que désirai en voir (autres priorités),
pour la gare de Pierrelatte et son air de bout du monde - retour, en s'arrêtant dans toutes les petites gares.
M'en vais essayer de lire la masse de twitts écrits pendant l'intervention dimanche matin de François Bon et Henry Le Bal sur «livre numérique et droits d'auteurs» pour Numer»île dans le cadre du Salon du livre insulaire de Ouessant http://www.livre-insulaire.fr/57.html
10 commentaires:
Merci pour le voyage, brige. Moi, j'ai suivi Marie Billetdoux dans l'édition de son premier livre...
Même au fond des feuillages:
Chassez le naturel, il revient au galop
C'était un beau dimanche.
Première petite constatation : le train a préséance sur l'autocar. Deuxième : Le temps est bien occupé avec un Quignard. Troisième : belle famille et belle palette d'âges, comme des couleurs. Quatrièe : Aucun répit pour un petit baillement ?
Pierre R.
le baillement ça vient, demain
ah oui, me suis régalée là !
Pas mauvaise j'espère, "lA LANGUE ET SON NOM "
bel odyssée. de la géographie et des lettres (belles, les lettres?) il faut que je rattrape mon retard sur ton blog...baroudeur que je suis! j'espère que le festival fut à la hauteur de tes attentes
l'ogre
Belle promenade. Moi aussi je préfère le train à l'autocar, et j'aime les gares. Ne serait-ce que parce que l'on peut lire dans le train !
Très agréable de venir se promener sur ton blog, de te lire, de découvrir, de rêver.
Pour ma part, s'il faut choisir entre le train en l'autocar, je choisirai le train, et puis après, la marche à pied.
Belle journée à toi et à bientôt, peut-être
Roger
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