Comme je descendais les degrés, un jour, il y a peu de temps de cela, je crois, crispée, n'étant que fuite en douleur, désir de l'endormir en mouvant carcasse, il a surgi, brusquement, éclairé, au dessus de moi, Marc doux lion au livre, cramponné au mur, avec son visage ouvert. Me suis arrêtée, l'ai regardé, l'ai emporté.
Et le retrouvant, ce matin, en rentrant de mes rues ensoleillées (le plaisir dans lequel entrons des derniers jours d'août et de septembre qui sont pleins de lumière aigüe, tranchante, et d'un air qui a perdu sa brulure), j'ai repris un instant son évangile pour le plaisir de ce qui y est dit, de joyeux, en paroles d'or, en ignorant volontairement l'oubli qu'en ont ceux qui s'en revendiquent (sans jugement puisque suis si totalement incapable de toute transcendance, peinant assez à tenter de respecter de plus ou moins loin, en moi, la simple humanité, seul horizon digne à mes yeux)... passons, juste ces mots, quel que soit celui ou ceux qui les ont écrits ou dictés, parce que c'est une image qui me faisait rêver, enfant, et que j'aime l'économie de l'évocation.
«Le soir venu, la barque était au milieu de la mer, et lui, seul, à terre. Les voyant s'épuiser à ramer, car le vent leur était contraire, vers la quatrième veille de la nuit il vient vers eux en marchant sur la mer et il allait les dépasser» et, plus prosaïquement, les conseils de ne pas s'arrêter aux catégories, aux règles, mais de donner ce dont les autres ont besoin.
Et puisque lecture il y a, et que j'ai ramené de mon expédition teinturier/blanchisseur une provision d'images d'ombres, j'inflige à nouveau, pour le plaisir d'en garder trace, entre les dites images, la recension de mes lectures de la semaine. (chez Publie.net – je cherche place et fait budget pour la rentrée papier maintenant qu'internet me crée des impatiences que je n'avais pas)
«qu'est-ce qu'on attend pour être heureux» de Sarah Cillaire http://www.publie.net/fr/ebook/9782814503472/qu-est-ce-qu-on-attend-pour-être-heureux (lire la présentation de ce texte, en quatre volets, unis par l'histoire et de la vie de ces femmes, avec le fil de l'écriture qui court, plus ou moins évident, et en suivant le blog de Sarah Cillaire http://sarah-cillaire.blogspot.com/ on retrouve ces journaux, celui de la mère, celui rétrospectif de la fille) – j'aime ces phrases, économes, qui laissent deviner, qui n'ont pas besoin de préciser pour dire (et si c'est souvent terrible, il y a des moments savoureux comme le colloque qui ouvre le livre)
«Le rideau tombe brutalement sur leur mêlée bruyante, avant que ne retentisse une très longue ovation. Un peu hébétée, je quitte mon fauteuil et remonte l’allée en compagnie des participants qui, dans l’ensemble, ont bien apprécié.»
mais aussi
«Le lendemain, nous les trouvons dans le lit, comme du temps où Irène était leur maîtresse à tous deux, après avoir été la maîtresse de papa. Nous grimpons sur le lit, Clara rejoint sa mère, ma sœur et moi nos parents, mais le lit est trop petit pour nous six et mon père s’énerve.»
«Quand Irène nous coupe les cheveux, ma sœur et moi ressemblons toujours à des sorcières carabosse — mèches inégales, frange oblique, tandis que Clara arbore une coupe courte bien nette.»
«cette ville n'existe pas» de Daniel Bourrion http://www.publie.net/fr/ebook/9782814503519/cette-ville-n-existe-pas (résultat d'un voyage à New York de Daniel Bourrion - de très belles photos de la ville et un texte né au fil des mois qui ont suivi, réflexion, suite de phrases, de courts paragraphes - langue qui semble évidente, fruit d'un travail de perfectionniste, chaque mot trouvant sa place à l'issue d'une réflexion, de retours, polissage, comme la mise en page, le rythme des formats des images, de la disposition des pages)
«Cette ville n'existe pas et croire le contraire impose de la construire à partir de ses ombres à partir des échos qu'elle laisse sur nos yeux d’excès écarquillés.»
«le quai d'Ouistreham» de Florence Aubenas, avec juste un léger bémol à l'intérêt de cette vision de l'intérieur de ce que nous ne pouvons qu'imaginer, constater ou deviner mais sans le ressentir : un peu l'impression de l'avoir lu avant de l'ouvrir – m'en reste surtout une impression (sans doute pas si fausse, comment survivraient-ils ou elles sans cela) d'énergie et de bénévolences réciproques, à travers les petites rivalités passagères
«Nous mangeons debout autour de la camionnette, en nous relayant pour nous asseoir chacune quelques instants au sec sur le siège avant. On termine avec trois heures de retard, et toutes avec la même allure, une démarche aux jambes raides, ankylosées aux genoux et deux bras engourdis, qui pèsent plus lourd que les seaux».
re-lecture enchaînée en émergeant d'»Abattoir 26» (le 16 août) : «l'être urbain» de Raymond Bozier http://www.publie.net/fr/ebook/9782814501379/l-être-urbain que j'évoquais le 2 septembre 2008 http://brigetoun.blogspot.com/2008/09/paume-mon-cher-enfant-quallons-nous.html
«qui peut comprendre qu’on soit parfois dans les villes
comme en des forêts où chaque arbre vous ressemble
où chaque mouvement est vôtre où chaque cri
chaque regard se perdent dans la touffeur de l’air
où les craquements des choses
étouffent les battements du coeur»
et, avec un lien au moins apparent : la ville, tentaculaire ici aussi comme New York, et les photos (la ville vue d'en haut, cette fois, écrasée, ramenée à des plans qui seraient presque vivants) sur le même format que le livre de Daniel Bourrion, une autre approche, différente, avec «une traversée de Buffalo» de François Bon http://www.publie.net/fr/ebook/9782814503458/une-traversée-de-buffalo (dont parle fort bien Christine Jeanney http://pagesapages.wordpress.com/2010/08/12/une-traversee-de-buffalo-de-francois-bon/)
«Longtemps, la mémoire des villes était celle des livres. Longtemps, on assemblait les livres et cela devenait la mémoire de la ville, la mémoire de tous. Et puis les livres étaient devenus au-dessus de nous ce nuage en mouvement, se déplaçant loin au-dessus du pays, recouvrant le ciel, et lui-même – le nuage – s’était effiloché et dissout. La mémoire était ce qui en circulait.»
et sa lecture m'a renvoyée, à nouveau, à un peu plus d'un mois de distance, je pense, à «l'enterrement» du même François Bon http://www.publie.net/fr/ebook/9782814503274/l-enterrement peut-être le livre de lui que je préfère parmi ceux que j'ai lu (assez peu en fait) - une composition mosaïque, savante, et qui semble naturelle - un va et vient dans le temps qui fait pénétrer plus profondément dans la vie, les vies concernées de près ou de loin par cet enterrement - l'autobiographie affleurante, transformée, déplacée, recomposée d'éléments divers, mais que l'on sent toujours un peu et qui donne densité au texte - l'attention aux êtres, aux actes, aux petits rites, aux petitesses, et toujours l'horizon qui s'élargit, qui débouche sur l'histoire passée de l'ami, sur l'histoire présente de celui qui revient pour cet enterrement, juste à travers le corps en voyage.
«Un village ce n'est plus le destin commun de familles réunies, aujourd'hui on s'en va vivre sa vie où on peut mais le coeur sur la main, pleureuses, elles étaient venues et avaient coiffé le masque fixe du deuil, nulle n'aurait manqué ce matin et la mère rendrait la pareille quand il le faudrait : le deuil des autres c'est le meilleur moyen qu'on a de revenir un peu dans les siens et la seule façon qu'on vous laisse parler de vos morts au moins le temps pour l'autre de préparer sa réponse.»
J'espère que ce n'est pas l'impunité dont j'ai joui (et bien mieux que cela, soyez en remerciés) vendredi dernier qui m'a poussée à récidiver. Plus réellement je suis sure que c'est..... Mais n'y reviendrai pas de si tôt, j'entre vraisemblablement dans une période de relectures brouillonnes ou non lectures.
Resteront toujours (sauf quelques jours de dé-connexion) les sites, les blogs et leurs trésors comme, parmi tant d'autres, mais au nombre des premiers, Poezibao (qui a l'inconvénient de me donner des envies d'achat) http://poezibao.typepad.com/poezibao/2010/08/anthologie-permanente-rainer-maria-rilke.html
«A cette fin, il faut avoir distingué les deux éléments de la mélodie de la vie dans leur forme primitive ; il faut décortiquer le tumulte grondant de la mer et en extraire le rythme du bruit des vagues, et avoir, de l’embrouillamini de la conversation quotidienne, démêlé la ligne vivante qui porte les autres. Il faut disposer côte à côté les couleurs pures pour apprendre à connaître leurs contrastes et leurs affinités. Il faut avoir oublié le beaucoup, pour l’amour de l’important.» (Rilke)
ou le flotoir de la maîtresse des lieux, Florence Trocmé http://poezibao.typepad.com/flotoir/
«La mer est ouverte, comme jadis, et les entrailles, ces entrailles de roches et sables et ventres de baleine – ces cavités caverneuses et l’enfant perdu, infiniment solitaire au sein de la masse obscure, le fil de son chant, cette lampe pour lui de la voix»
ou «Terres de femmes» d'Angèle Paoli http://terresdefemmes.blogs.com
«Chaque poème ― un enfant de l'amour,
Un enfant éternel, démuni de tout,
Un premier-né ― posé près
De l'ornière, en plein vent.» (Marina Tsvétaïeva)
ou... non j'arrête (et viens de voir que Buffalo était déjà dans le précédent billet)
9 commentaires:
Une ombre avec un grand sac cabas... il me semble. Contient-il toutes les richesses littéraires de sa propriétaire?
prosaïquement draps et jupe propres
n'ai pas su où me garer parmi ces ombres et ces pierres.
me faut continuer la journée et me repérer
contente de voir que je ne suis pas la seule à avoir fait lien entre L'enterrement et La traversée de Buffalo (demeure inexplicable concrètement, mais des choses dans l'air font que, peut être le rythme, ou la place des yeux qui regardent).
Cela coule comme de l'eau, marque comme de l'alcool. Très fort.
j'ai lu les extraits de "abattoir 26" de raymond bozier dans ta note du 16 août...
le rassemblement des violences qui nous explose à la face...
j'ai lu les extraits de "être urbain" que tu signales ici...ou comment le chaos s'organise (j'ai noté ce besoin de remettre de l'ordre en réorganisant les écrits sans doute vital quand il faut tenir le choc)
vu le livre aux pattes du lion et les ombres violettes
pourquoi marc?
parce que le lion et le livre c'est Marc, le taureau Luc, l'aigle Jean et l'homme Matthieu (honte à moi, pour lui j'ai été obligée de regarder).
Le petit avantage que me donne le souvenir d'une éducation religieuse c'est que je comprends, parfois (loin d'être toujours, mauvaise élève et pas entretenu, pourtant j'aime souvent les auteurs chrétiens, et l'art roman ou gothique, sans être religieuse pour autant) ce que je vois
Images, ombres, mots : on emboite le pas sur le chemin de tes pérégrinations, et même fatiguée physiquement on se sent leste. MERCI.
marc...ça ne m'a pas traversé l'esprit...
tu dis "l'homme mathieu"
ailleurs je lis "l'ange mathieu"
l'homme ange...sans doute un voeu pieux...
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