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désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

lundi, décembre 05, 2011

Incursion au domaine de la rétention

Dimanche matin, air doux, ciel hésitant à dominante gris doux boursouflé s'effilochant par endroits sur du bleu non moins doux.

Me suis contentée d'un petit raid utilitaire dans mon quartier (limité puisque tout ou presque était fermé), remettant à plus tard la recherche d'un tube pour ma salle de bains, tube que je regarderai sans avoir dans mes mains la force nécessaire pour ôter le cache et le mettre en place, et suis rentrée dans cette mollesse un peu morose vers cuisine, lavage de cheveux, assoupissement... prolongé, trop, un peu de ménage, contemplation de l'argenterie à faire etc...

La lumière, le bleu pur, se sont installés en suivant mon repli.

Sur fond de « vie parisienne » débitée par France Musique, reprends des bribes du livre qui a accompagné mes dernières soirées, en partage-alternance avec « le dépaysement » de Jean-Christophe Bailly, :

« la Cimade – chroniques de rétention - 1008-2010 », suite de témoignages d'intervenants de la Cimade, écrits dans des styles divers, du plus retenu à une imitation pas très maîtrisée du langage parlé, expliquant leur métier, car c'en est bien un et qui demande ténacité, désir chevillé d'enrayer un système ubuesque et inhumain, connaissances juridiques pour faire respecter la loi extrêmement évolutive et tirer parti des négligences, dédains trop nets de la légalité, commis par l'administration.., attention parfois à des êtres pour lesquels la sympathie n'est pas aisée, ou pas possible, souplesse, empathie réfrénée pour tenir le coup et être efficace, et capacité de résister aux doutes quand ils prennent conscience de passer parfois aux yeux des retenus, au premier contact pour un rouage de la machine absurde qui les broient, et de ce qu'il y a de juste là-dedans, qu'annule la bouffée de plaisir quand une libération est obtenue.

Des bribes pour que nous ayons conscience de ce qui se fait en notre nom. Des bribes, un peu au hasard, qui, dans cette masse, ne reprennent pas les cas les plus terrifiants, ou grotesques, ni la violence quand elle se fait physique parce que faisant l'objet de récits trop détaillés et donc trop longs. Et je les mets ainsi, en tas, sans ordre, pour donner un peu l'impression oppressante venant de ces quatre vingt dix récits ou réflexions (si j'ai bien compté).

« Une indifférence totale à ma tentative de résoudre le problème par la voie gracieuse. Une indifférence totale à la loi qui protège de l'expulsion les enfants entrés en France avant l'âge de quinze ans. »

« .. assise en face de lui, c'est plutôt moi qui ai envie de m'excuser ; je suis bien au delà de la révolte, j'ai honte. Sa troisième nuit en France, et alors qu'il est demandeur d'asile, Wahid la passe au centre de rétention administrative de Vincennes. Je ne le sais pas encore, mais il ne le quittera que pour repartir en Afghanistan. »

« M. Kouyaté est libre, mais il a l'obligation de quitter la France. Cette petite phrase que le juge judiciaire lui a dite, il ne l'a pas entendue. M. Kouyaté est libre jusqu'à la prochaine fois. »

« Mais ils ne sont pas fous. Ils savent qu'il s'agit là de traitements inacceptables, ils savent que la mission qui leur est confiée est d'une incongruité flagrante, et plus ils savent, plus ils gonflent des ballons, plus ils font sauter des enfants sur leurs genoux, plus ils distribuent des bonbons, plus ils se pâment devant les jolis minois enfermés tout en regrettant – dans le verbe du moins – qu'il en soit ainsi. »

« Elle devait avoir des arguments convaincants de droit, puisque le TA (Tribunal Administratif) accordera une suite favorable à sa requête et annulera l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière pris trois jours plus tôt. Mais c'était trop tard. La préfecture l'avait déjà reconduite en Bulgarie, en violation incontestable, une fois de plus, d'une disposition légale. »

« Un gendarme s'approche, frappe à la porte du bureau de la Cimade et demande : « C'est le PV n°2430 qui est avec vous ? ».... Il ne s'adresse pas directement au « retenu » pour lui demander son nom, bien qu'il soit en face de lui ; il me demande si je suis en entretien avec un numéro de PV. «

« Sous la pression de la Cour européenne des droits de l'homme, de nombreux États européens ont officiellement suspendus la reconduite des Tamouls au Sri Lanka. En 2007, la CEDH a demandé à la France de suspendre ces reconduites. Paris n'en a pas tenu compte. Invariablement, les préfectures placent en rétention les Tamouls qui sont déboutés de l'asile, et les juges confirment leur maintien en rétention. Ils sont présentés à leur consulat qui délivre immédiatement un laissez-passer. Nous saisissons alors la CEDH qui prononce la suspension de la reconduite pour risque de traitement inhumain et dégradant. »

« À ce même moment, à Rouen, la Cimade reçoit une dame originaire de Guinée, arrêtée par la police à l'aéroport, alors qu'elle s'apprêtait à prendre un avion pour rentrer dans son pays d'origine. …. Sans doute que l'on préférait d'abord la priver un peu de liberté, puis l'expulser, pour pouvoir, sur les listes du ministère, inscrire son nom dans la case « expulsés »et, ainsi, grossir le chiffre de fin d'année. »

« La cellule d'isolement. Une pièce de quelques mètres carrés sans fenêtre. Les murs peints en bleu très clair, une pâleur d'univers hospitalier. Pas de lit, mais un rectangle de béton ne faisant qu'un avec le sol, recouvert d'un fin crépi, sur lequel un matelas est maladroitement jeté. Dans un coin, un lavabo de forme ovale est suspendu au mur. En face, des toilettes à la turque en acier de médiocre facture. »

« Il est marocain mais ne peut pas le prouver. Né dans un petit village, aucun document d'état civil n'a pu être établi. Le consulat algérien en France le reconnaît comme étant algérien : mais l'Algérie le condamne pour un fait commis pas sa propre ambassade en France. Ubu n'aurait pas fait mieux ! M. Benhia est la balle de ping-pong, la patate chaude que se renvoient la France et l'Algérie depuis plus de trois ans. »

« Ceux qui ont été traducteurs officiels de la préfecture au tribunal et qui se retrouvent devant le même tribunal pour leur propre expulsion.

Ceux qui n'ont personne à appeler pour prévenir qu'ils sont enfermés. Ceux qui ont marché des milliers de kilomètres et qui sont en France depuis à peine quelques jours. Il y a des ingénieurs, des vendeurs de pneus,. Des ouvriers, des sociologues, des fils de président. Des Circassiens. Il y a ceux qui sont en danger, en tristesse ou en colère. Ceux qui sont en perplexité. Ceux qui trouvent qu'on ne fait rien pour eux.... »

Livre édité chez Actes-sud – Solin, disponible sur le site de la Cimade http://www.cimade.org/publications?category=publications+de+partenaires

11 commentaires:

Pierre R. Chantelois a dit…

Il est vrai que cette phrase : « M. Kouyaté est libre, mais il a l'obligation de quitter la France ». Il est vrai que cette phrase, qui semble impitoyable, frappe l'imaginaire. Quel drame se dessine derrière ce verdict? J'imagine à peine ce que peut être un tel centre : « un Cambodgien, trois Indiens, deux Afghans, dix-huit Maliens, sept Tamouls, trois Soudanais, quinze Algériens. Autour de vous : l’exil du monde, les conflits »

Dominique Hasselmann a dit…

Claude Guéant aime particulièrement ces photos. Il en aurait même quelques-unes dans son bureau de la place Beauvau, encadrées.

chri a dit…

Terrible...

jeandler a dit…

Oui, terrible
sur fond "débité " de Vie parisienne. Une vie ordinaire que l'on ne met en musique.

arlette a dit…

L'entendre , le lire , en parler est déjà un petit pas pour celui qui entend qui lit qui parle
Merci Brigetoun

JEA a dit…

18 octobre 1939 création de la CIMADE.
Sa première tâche : venir concrètement en aide aux populations évacuées d’Alsace et de Lorraine.
Puis sous Vichy, aux internés de camps français tel Gurs.
Et quand l'occupant nazi ne laisse plus de "zone libre", persister à entrer dans ces camps dits "de la honte" mais non plus pour aider mais pour résister...
Aujourd'hui, la France compte de nouveaux camps, de nouveaux internés, d'autres persécutés. L'évoquera-t-on encore avec "honte" dans une soixantaine d'années ?

tanette2 a dit…

Froid dans le dos...cette lecture de la réalité...

Brigetoun a dit…

c'est maintenant qu'est la honte et la rage enfin pour bon nombre d'entre nous (avec bien entendu au premier rang la Cimade, certaines des nouvelles assos, des avocats, RESF...)
j'espère qu'on en sera conscient dans 60 ans de nos refus

joye a dit…

Belle juxtaposition : nous sommes tous libres (l'esprit), nous sommes tous emprisonnés (le corps).

Brigetoun a dit…

pourquoi ai-je l'impression que tu es très optimiste quant à l'esprit

Gérard Méry a dit…

Claude Guéant copier/coller de Brice Hortefeux...rien à espérer.