Il
y a eu un billet de François Bon, dans la réjouissante et belle
série de l'autobiographie des objets, "couteaux, canifs, Corti & Keith" http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article2790
Il
y a eu tout ce que charriait ce texte, que devriez aller lire, des
couteaux, suisse ou autres, mais pas que des couteaux, la vie – et
les crans d'arrêt, et le couteau qui prolonge la main pour les
finitions de précision dans l'atelier du menuisier – et « J’ai
des copains qui continuent ce geste, le même geste que j’ai
toujours vu effectuer à mes deux grands-pères, auxquels jamais on
n’aurait mis un couteau à leur table : déplier d’un air
concentré le couteau quand le repas commence, que ce soit un bref
casse-croûte de loge avant le concert, ou le restau où on
s’enfourne après (pour qui voudra s’y reconnaître), et à la
fin l’opération inverse, essuyage de la lame (symbolique de la
nourriture tranchée qui ne laisse pas trace, et qui n’a pas été
gaspillée puisque découpée de votre main selon quantité
nécessaire). »
Il
y a eu le petit éveil plaisant de ma carcasse endormie en le lisant
l'autre jour.
Il
y a cette idée immédiate : mon père, et finalement
l'impossibilité de le revoir ce couteau – juste l'associer à
l'idée permanence en mon enfance, et à la petite trousse bleue où
il voisinait avec des morceaux de bouts, ou de «ficelle», parce que
pour un marin les deux vont ensemble, ou presque toujours, ou souvent
– mais c'est aussi, bien en main, couper tête du poisson et
l'éviscérer avant la grillade improvisée,
Il
y a cette vitrine d'angle de la boutique de la
coutellerie Courty et Fils rue des Petits Champs et tout le temps
passé, fascinée, en contemplation, détaillant l'infinie variété de ces couteaux locaux, majoritairement couteaux de notre massif
central, les variations d'un village, d'une région à l'autre, les
matières, les viroles, les lames gravées (et ce mardi matin j'ai
tapé coutellerie rue des Petits Champs et suis arrivée
http://www.laforet-couteliers.com/module15/176159.html
où j'ai fait moisson de petites photos, celles qui se combinent en
tête du billet, parce que le laguiole n'est pas seul - allez donc
vous perdre dans http://www.couteaux-courty.com/
entre le gwalarm breton, l'encan ou le cachalot de la côte
atlantique et le bressuire, le capucin, le laguiole, le thiers, le
Saint-Amand, le roquefort, le boule, le basque, le bayonnais au
manche cornu, le noisette, le violon, le provençal, le camarguais,
le berger d'Auvergne, le muscadet, le queue de poisson, les
différents mortas, le langres, le nogentais, le pletin courbé comme
creux de la main, l'alsa, le morezien, le secourisoux, le jardin
baroudeur et tant d'autres, et puis le vellade, le bordeaux, le
philibert et tous les couteaux de prestige et pièces uniques)
Il
y a le Bussin, les voisins qui venaient vers onze heures discuter
dans la salle, s'asseyaient autour d'une table, et quand elle venait
de la ferme de l'un il la caressait distraitement, on amenait une
bouteille, je descendais une des miches rondes de pain de campagne
posées sur les poutres si aucune n'était entamée, et je taillais
des grandes tranches dans un coin pour que personne ne vienne
m'enlever le couteau des mains, on amenait la corbeille de pain, une
assiette de gratons, une tomme, un reste de farcitude, du saucisson et
des verres en Duralex et les couteaux sortaient, les mots aussi,
lentement.
Il
y a mon couteau et celui qui me l'a donné, il y a le mettre dans ma
valise (et j'ai appris, n'avais pas fait attention, que c'était un
laguiole quand un douanier anglais, à l'aéroport, l'a reconnu en
passant ma valise dans sa machine - et il était tout heureux et m'a
bombardé d'un discours souriant dont je n'ai compris que ce nom,
mais s'est retenu de me taper amicalement sur l'épaule), il y a les
soupers à minuit dans mes chambres d'hôtel avec les petites
provisions achetées dans des épiceries ou super-marchés de Venise,
Lisbonne, Gand, Londres ou Lyon, avec une serviette en papier comme
nappe et le couteau et mes doigts comme aide, et il servait aussi un
peu à tout et à me tenir compagnie avec une ou deux photos et un
châle jeté sur le lit en signe de possession. Il y a le couteau qui
me suit et dort maintenant depuis longtemps dans un tiroir.
Il
y a ça suffit comme ça, mais tant il y a des couteaux qui me
reviennent.
13 commentaires:
Jadis objet de désir, maintenant objet de rejet parce que qualifié d'arme blanche. Nous avons oublié le sens réel de son utilité.
Il y a aussi le coutelas de l'ogre, mais là c'est un conte ou un cauchemar (Gallimard ?), sa lame est sanglante et saillante, difficile à replier, heureusement, ce ne serait que littérature !
Les couteaux agitent la mémoire, les vôtre sont rangés dans la coutellerie des souvenirs qui transpercent.
La mémoire des couteaux, on n'y coupe pas !
Je me souviens du canif de mon grand-père, petit et précieux, incongru pour l'artisan qu'il était, seul souvenir, et qui a manqué de partir à la poubelle dans un aéroport parce qu'il était toujours au fond de mon sac, sauvé grâce au contrôleur qui a compris.
C'est vrai ... on a tous des souvenirs de canifs , de petits "opinel" fascination d'enfant ??? pourquoi?? au fond ? pour devenir grand ?
Un objet d'homme adulte. L'avoir dans la poche était accéder à ce statut. Mon grand-père m'a offert un de ses opinel quand j'ai eu l'âge.
Il n'y a plus d'âge aujourd'hui pour avoir un couteau... On ne se tranche plus un quignon de pain ou une tranche de lard, ni n'épluche d'oignon pour casser la croûte. Il n'empêche qu'à couteaux tirés on reste. Ah! la complainte de Mackie-le-surineur !
Ne manquait plus que ça, Brigetoun est devenue membre d'un gang !
;-)
Depuis juin dernier, le mien est un Gilles Regnaud, soit un Thiers 12 cm, manche en lave et mitres en os. Nous sommes inséparables.
oh ! je comprends
très joli texte ! Amitiés cafardesques
Merci pour le sac bleu ; j'avais oublié.
dom
çà peut amener la mort dans lame
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