Sortir dans la gloire
légèrement venteuse de vendredi matin, d'un pas presque décidé,
et cela va être longuet, décourageant, z'êtes prévenus
monter jusqu'au quartier
de la balance (le traverser sans le regarder)
gravir la rue de la
vieille poste, calade et belles portes,
jusqu'à déboucher dans
la lumière de la place,
la traverser, en la seule
et placide compagnie d'un petit troupeau de piétons entêtés
jusqu'au petit palais, de
grand espace en marches, de marches en rangées d'orangers
Pénétrer dans le sas qui
mène du cloître-patio à l'exposition «peindre en Toscane entre
gothique et renaissance»
photo provenant du site
du petit Palais dont j'ai découvert la métamorphose et qui est
maintenant remarquable (pouvez visiter la collection si le coeur vous
en dit) http://www.petit-palais.org/musee/fr/home
Un panneau très abîmé
et assez médiocrement restauré, mis en rapport avec un panneau
conservé au musée national di Villa Guinigi de Lucques et une
vierge à l'enfant (partie centrale, trop fragile pour voyager et
remplacée par une photo dans l'exposition) du musée de Philadelphie
et reconnu par Maria Teresa Filieri comme faisant partie (volet
gauche) d'un triptyque, la «sumptuosa tabula pinta cum ymaginibus
sanctorum» commandée à Battista di Gerio pour l'église San
Quirico all'Olivo de Lucques par Luca di Jacopo entre 1417 et 1422 -
panneau restauré à nouveau avec le soin et le scrupule nécessaires
(y compris l'hésitation quant à la verdure, aux blanches fleurs
d'ancolie posées au pochoir, du sol, supprimée lors de la dernière
restauration du panneau de Lucques, et reconnue comme originale après
étude des pigments à Marseille, somptuosité semblable à celle des
tissus lucquois), qui est l'occasion de cette exposition, pendant
qu'une autre exposition, en liaison, sur les peintres de cette époque
a lieu au musée de Lucques lequel a prêté son panneau.
Exposition: ces panneaux
et d'autres lucquois dont un autre rétable reconstitué à partir
d'une oeuvre conservée au petit palais (pour laquelle ai toujours eu
tendresse : la grande blonde en manteau rouge et le baptiste vêtu de
sa barbe) et toute une partie fort bien faite qui traite des
techniques picturales de l'époque et de l'histoire des restaurations
successives, des scrupules de la dernière.
Sur notre panneau le
donateur, tout petit, comme il est normal, est accompagné de son
saint patron Luc, au grand manteau rose, qui tient et peint de façon
acrobatique la vierge et l'enfant et d'un saint chevalier, sans doute
saint Rossore (qui a un autel dans l'église comme Saint Sixte
figurant sur le panneau de Lucques avec sainte Julitte et le petit
saint Cyr serrant une branche d'olivier contre sa robe rose pâle
brodée d'or)
Trois planches à fil
vertical assemblées à plat joint, dont une nettement plus large au
centre, planches découpées sur dosse (d'où déformation convexe du
panneau central) – une traverse centrale, trois clous sur chaque
panneau – livrer à l'atelier du peintre – poncer – encoller
une toile tissée de 11 à 14 fils, avec une bande plus serrée en
bas – appliquer en enduit du gesso (gypse broyé et colle) blanc –
tracer le dessin au charbon de bois – éliminer le charbon et
reprendre le dessin au pinceau et à l'encre – inciser avec une
aiguille les contours à la limite des fonds à dorer...
résumé des premières
opérations mentionnées dans «le livre de l'art» de Cennino
Cennini (fin du XIVe/début XVe), détaillées en savoureuses phases
reprises sur des planches noires sous chaque grand panneau de la
partie documentaire – et c'est pour les retrouver (elles et les
détails assez passionnants de l'histoire des différents états des
panneaux et des problèmes et solutions trouvées pour leur
restauration), que j'ai cédé à la tentation et acheté le
catalogue, ce que je ne regrette pas (il est vraiment très riche et
bien fait), sauf que ces passages ne s'y retrouvent pas, à
l'exception des petites citations, fragments des conseils de
technique picturale que je reprends ci-dessous sous de mauvaises
photos de quelques oeuvres que j'aime spécialement
comme cette tête, détail
des «deux évangélistes et une sainte martyre» du même Battista
di Gerio (muse de Monpellier)
«Quand tu as bruni et
achevé ton retable, il te faut commencer à prendre le compas et à
tracer tes auréoles en forme de cercle ; à les grener avec de
petits poinçons, de façon qu'ils brillent comme du millet»
«saint
Jean-Baptiste et sainte Marie-Madeleine», panneau du triptyque
d'Angelo Puccinelli (musée du petit Palais) exposé avec l'autre
panneau latéral «sainte Catherine et un évèque» (Newark –
Delaware) et le «Thronum gratiae» (petit palais)
«Commence à passer le
ton foncé, en modelant les plis là où doit se trouver l'ombre de
la figure. Et comme d'habitude, prends le ton intermédiaire et
couche les reliefs des plis sombres et commence, avec ce ton, à
modeler les plis du relief, vers la partie lumineuse de la figure. Et
de cette façon retourne aux premiers plis sombres de ta figure en
utilisant le ton foncé. Et continue, comme tu as commencé, passe
plusieurs et encore plusieurs couches de ces teintes, tantôt de
l'une, tantôt de l'autre, en les couchant et en les unissant à
diverses reprises habilement et en les fondant d'une manière
délicate»
détail de «sainte Barbe
et sainte Lucie», fermes et douces, presque siennoises si elles n'étaient si élancées, un panneau de Borghese di Piero Borghese du petit
palais qui est également un de ceux que je salue en passant.
Mais en fait le traitement
des modelés par Battista di Gerio n'obéit pas aux conseils
ci-dessus – il a procédé par superposition de couches et non par
juxtaposition de teintes (une seule teinte pour le manteau rose de
saint Luc et des glacis blancs et rouges pour modeler le manteau
rouge du chevalier)
passer à la librairie,
sortir du patio par la voûte d'entrée vers la lumière qui glisse
sur les dalles,
remercier le vent qui se
fait si gentil qu'il s'en évanouit presque,
saluer de loin, par dessus
le fleuve, le royaume de France,
et redescendre le long du
rempart, par la vieille juiverie, vers les touristes,
passer sous la voûte
entre la grande frusterie et le limas, retrouver l'antre.
Voilà, voilà... mes
lecteurs en fuite.
Un tweet de Michel de
Montaigne (ben oui!) ce vendredi soir
«Et quand personne ne me
lira, ay-je perdu mon temps, de m'estre entretenu tant d'heures
oisives, à pensements si utiles et aggreables»
9 commentaires:
Quel itinéraire. Long en kilomètres, peut-être. Trop court en beauté et en réminiscences historiques. Et puis, vous avez bien fait d'acheter ce catalogue. Et à propos de Montaigne, il n'a jamais pu être oublié. Un livre qui m'accompagnait hier et qui m'accompagne aujourd'hui et qui sera encore là demain.
Lucques, cette très jolie ville italienne avec sa place ronde...
C'est justice que la Toscane rende visite aux esprits éveillés d'Avignon !
Montaigne tweetait, normal, il était à la pointe de son temps.
Merci pour cette belle promenade, à travers tes photos évocatrices et cette expo qu'il me tarde de découvrir.
Des clous ici aussi !
Et la frustration de la Fustrerie qui se verrait Fusterie !
:))
oh zut lui ai fait perdre son sens - bon suis en retard mais corrige vite cette horrible faute
Magnifique détour par la Toscane, la lumière accompagnant le périple jusqu'en les salles du Petit Palais.La porte en est étroite pour un espace de beauté pure,comme hors du temps.Une journée qui ne peut qu'être de joie.
Oui, j'écris pour moi-même. Demander qu'on me réponde, c'est m'attendre à trop.
"Tes pensements" ne sont pas cautères sur jambe de bois... Bon dimanche Brigitte.
Merci pour ces très belles et justes impressions avignonnaises et lucquoises qui récompensent les auteurs de l'exposition et du catalogue.
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