Dimanche
matin, dix heure départ sous lumière vive, mais trop basse pour
l'heure, éblouissement, trop de sommeil dans les yeux - douceur et
canadienne ouverte,
croisé
fins vestons, chemises et tee-shirts – parmi eux, la Brigetoun
déphasée, mais qui n'avait pas si chaud – et micocoulier paré de
vert pâle, en ruée vers le printemps.
au
retour cahin-caha, avec victuailles, l'ai rencontré rue de la petite
Fustrerie, pensé qu'il exagérait.
Mais
vers cinq heures, les gens étaient en été, piétons suçant des
glaces, terrasses pleines, un garçon dans le soleil,
sur
mon chemin vers Saint Symphorien, où j'allais écouter
notre
orchestre et le choeur Provence-Alpes-Côte-d'Azur (n'a pas tort
Vauzelles, c'est très laid ce nom),
jouer,
chanter la passion selon Saint Jean, plus rare et au moins aussi
belle que celle selon Saint Mathieu, avec ces choeurs superbes, dans
lesquelles me suis dissoute (ou presque).
-
dans une église bondée, où j'ai trouvé place dans une chapelle,
en détournant un prie-dieu qui traînait là -
De
bons solistes (à une exception près, disaient mes oreilles qui
n'ont pas forcément raison), avec, surtout, Stephan van Dyck
l'Evangéliste – voix claire et chaude (me réconcilie avec la voix
de ténor) , sensibilité, autorité, le sentiment que sous le chant
la musique se prolonge, court au delà.
Retour
dans le soir qui commençait à descendre – au rythme des pas
revient souvenir d'avoir lu, juste avant de partir : Tabucchi est
mort. Souvenir de livres lus bien sûr, et aussi d'articles au moment du retour de Berlusconi.
Allumé
le mac, eu confirmation, mis à cuire patates et pianoté sur les dos
des livres. N'ai pas trouvé Requiem, qui doit se cacher dans
un coin, loin du petit groupe de quatre dont j'ai extrait Rêve de
rêves - et puis non, comme je venais de me tromper sur twitter
en l'attribuant à Calvino (parfois beaucoup de brume ou de purée
dans mon crâne) l'ai remis en place, ai choisi L'ange noir,
feuilleté, relu la truite qui se faufile entre les pierres me
rappelle à la vie - et donc, un peu au hasard, pour lui dire au
revoir, un long pillage
«Il
se leva et se mit en marche à pas tremblants, tandis que la femme le
suivait de sa foulée souple. Il se demanda comment il fallait le lui
dire, puis décida que le mieux était de parler de manière claire
et pratique, vu que c'était une femme pratique. Mais, entre-temps,
elle demanda si elle pouvait relire le madrigal, et il lui dit que
oui, bien sûr, elle devait le lire. Elle se mit à lire, et il alla
à la fenêtre. La porte de l'église était fermée, la place était
déserte.... C'est très beau, dit-elle, c'est un très beau
madrigal. Et lui éprouva de nouveau l'envie de chanter le Requiem
de Verdi, il le chanta silencieusement en lui-même, il en caressa
toutes les notes, c'était beau de s'absoudre et de pêcher, au lieu
de pêcher et de s'absoudre, car l'absolution doit venir avant le
péché, il doit y avoir une absolution qui précède, un pardon
préventif. Ceci est le premier d'une série de vingt poèmes,
dit-il, j'en ai programmé vingt et je les écrirai tous pour vous.
Écoutez-moi bien, ma chère, je vous donnerai ces vingt poèmes
avant de mourir, et vous, après ma mort, vous devrez en publier cinq
par an, pendant quatre ans : chaque année, vous convoquerez la
presse et vous rendrez publics ces cinq poèmes. À vos côtés je
veux les meilleurs critiques, les journalistes les plus raffinés,
enfin je veux une grosse audience, ensuite vous pourrez en faire une
plaquette, et entre-temps je serai mort, êtes-vous capable de faire
cela ? Elle se leva et se tordit les mains comme une petite fille.
Maître, vous pouvez compter sur moi. Alors il dit froidement :
excusez-moi, je suis fatigué, il faut que je me couche maintenant,
je vous souhaite une bonne nuit. Il l'accompagna jusqu'à la porte de
ses petits pas incertains, percevant avec inquiétude la longue
foulée de la femme. Sur le pas de la porte, il lui baisa la main. Il
attendit l'arrivée de l'ascenseur et se tint sur le seuil jusqu'au
moment où il entendit que l'ascenseur arrivait au rez-de-chaussée.
Il allait se diriger vers sa chambre quand l'interphone sonna.
C'était elle. La truite qui se faufile entre les pierres me rappelle
ta vie, dit sa belle voix pleine de jeunesse et elle raccrocha. Il
demeura pensif un instant. Elle a compris. Ou peut-être que non, qui
sait, peut-être était-ce encore une simple citation. Ah ! si au
moins elle avait compris, pensa-t-il. Il sourit. Peut-être
maintenant allait-il se mettre à chanter le Requiem. Confu-tatis
male-dictis, chantonna-t-il tout
bas. Il se dirigea vers sa chambre.» (pour comprendre
vraiment, il est préférable de lire toute la nouvelle, le livre est
petit et édité chez 10/18, ou l'a été.(traduction Lise Chapuis)
9 commentaires:
Mourir un soir de Requiem rend le corridor plus lumineux et le passage de vie à trépas plus singulier.
Tabucchi présent.
La version d'Harnoncourt :
http://www.youtube.com/watch?v=2IaPsZ9y-0U
L'eau à la bouche, l'ouie comblée, un air d'été
une note comme j'aimerais en écrire une. Merci.
"Provence-Alpes-Côte-d'Azur" : je confirme.
Détourner un prie-dieu ? C'est du beau ! .o)
Nocturne Indien, le livre et l'adaptation cinématographique resteront pour moi un merveilleux souvenir de Tabucchi.
Bel hommage que vous lui rendez Brigetoun :-)
Flore
Requiem et prie -dieu tout en accord même détourné!!
Tu as allumé le Mac...bien fait c'est tout ce qu'il mérite !!
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