Ces jours où, parce que
j'ai voulu hisser mes pieds sur un talon haut, comme une dame, ou
pour autre raison plus organique, ma démarche joue entre
l'instabilité floue et le léger et rapide raffermissement juste à
la limite, où je cesse de regarder le bleu ou les nuages, où je
marche yeux sur l'avancée des pavés dans la lumière frisante, une
courbe étirée qui m'est flèche, la succession des tons, des formes
par laquelle mes yeux entraînent mes pieds.
Les douces marches, en
leur courbe large, et leurs blessures tendres qui marquent l'accès à
la planitude de la place.
Les plots, les marches,
les bandes de mes compaings pigeons qui rythment et brisent les
distances
Les ombres en succession
musicale, avec une régularité légèrement distordue, les petites
notes de fantaisie qu'ébauchent leurs légères différences, et
leur inexorable avancée, sur un segment de chemin.
Sortir dans la cour en fin
de journée, dans une douce tiédeur, pour arroser.
Rêver jardin, penser
Lucien Suel (j'ai des mécanismes ancrés), penser « la
patience de Mauricette » fermé en début de nuit vendredi.
Essayer d'en parler maintenant pour Babelio (et tant pis s'il y a
déjà brillantes critiques)
L'histoire de Mauricette
Beaussart (celle qui a été présente sur
http://etoilepointetoile.blogspot.fr/
), vieille femme maintenant, dit-elle, est-elle, d'ailleurs ou plutôt
vieillissante - d'outre 60 ans et portant toutes ces douleurs, ce
passé, ces morts, cette culpabilité.. mais aussi la mère, le
grand-père jardinier, les enfants auxquels elle a enseigné, qu'elle
a aimé, faute d'en avoir...) - qui vient de s'échapper, de partir
tranquillement, du service psychiatrie de l'hôpital d'Armentières,
et l'inquiétude de Christophe son ami (et cette partie est divisée
entre des renseignements donnés comme un récit un peu impersonnel,
distancié, et ce qui filtre à travers les mots, les gestes de
Mauricette pendant son séjour à l'Hôpital),
« Mauricette
demandait l'explication, voulait connaître le pourquoi du chagrin.
Elle était toujours au bord de la flagellation, de
l'auto-mutilation, avec un regard scalpel, regard laser fixé sur le
détail révélateur de la misère humaine, le gravier dans la
chaussure, le bout de pain mouillé à l'orée d'une narine, ou la
couleur bleutée du liquide vaisselle. »
« Je ne veux plus de
cauchemars. Vous savez c'était dans le mois d'avril du dimanche de
mort et résurrection dans ce moment, cette journée là. C'était le
chemin de halage mais les péniches se tiraient par des chevaux. »
« Comme Mme Delateau
qui m'écoute avec ses grands yeux bleus. Si je parle, je vois les
mots entrer dans ses yeux. On dirait des cailloux qui descendant dans
un étang, dans l'eau... Mais pour toi, c'est mieux si les mots
passent dans l'électricité de la peau.» dit-elle à Christophe
dans une de leurs longues promenades dans le jardin.
alternant avec, en
italique, les pensées, le débat intérieur, les notes qu'elle a
portées dans son cahier jaune pendant son séjour (écriture recréée
par Lucien Suel, parente de celles des malades de Marco Ercolani dans
«j'entends des voix», et autres livres, sans caricature, comme
vécues), avec des redites, et une progression, des phrases plus
tenues, un jeu avec les mots peut-être plus conscient, au fil du
livre.
« Ce n'est pas du
hasard Emile Emilie. Je les fais circuler à l'intérieur de moi, mon
corps je veux dire : noyade dans l'estomac, accident au genou,
mort subite dans le bras gauche, cancer dans la rétine, boyaux
rouges. L'innocence perdue avec des cheveux gris.»
« J'écris comme je
veux. Je suis une loque, on ne va pas me repasser. Je sèche au bord
de l'évier. Je moisis avec comme une toile d'araignée qui pousse
sur ma joue et aussi plus bas sur mes mollets, des fils grisâtres. »
La beauté,
tourmentée pour certains, à des degrés divers, de tous les personnages, leur tendresse et celle
que nous éprouvons, que j'éprouve, que Lucien Suel éprouve pour
Mauricette.
La beauté de ce qu'elle
écrit, comme ceux qui ont lâché les rênes, et comme une qui a
vécu avec la découverte et l'amour des livres et de la poésie.
« .. tu vois comme
c'est beau, c'est calme, mais c'est une illusion. Regarde la
cicatrice sur la branche. On dirait un moignon. Les arbres souffrent.
La guerre des champignons cancérigènes. Regarde le bourrelet, c'est
une cicatrice qui se referme. Quelquefois, la cicatrice ne se referme
jamais. » dit-elle encore à Christophe
et elle écrit
« Il me faut trois
mille fleurs pour décorer mon chariot de Reine des Nieulles et des
Poètes Ordinaires. Je vole au-dessus du champ de bataille. Je vais
peut-être m'écraser. Non, je dois me reconcentrer, pas seulement
tracer avec ma fourchette des rigoles de mots dans la purée. »
Avec, à la fin, au moment
de son départ volontaire, ces pages qu'elle a arrachées du cahier,
qui s'ouvrent sur l'acceptation, l'apaisement, l'espoir (et comme
j'ai lu sans suivre l'ordre de parution, le développement de
Mauricette chez Lucien Suel, dans «Blanche étincelle», j'avais en
souvenir cette renaissance, qui ne nie pas le passé, ce goût des
bonheurs, de l'amitié, du jardin..)
« Le poème de la
terre, d'une enfance innocente. Je ne suis pas malheureuse. Je suis
libre. Je continue. C'est peut-être la grâce. »
10 commentaires:
je pense que vais renoncer - ou à tout le moins fermer commentaire - par pitié pour moi et les quelques fidèles
Chère Brigitte
Ne tenez pas pour ingrats une absence momentanée de commentaire ou un retard dans leur formulation. Je ne peux répondre que personnellement à votre déception, fort légitime, au demeurant. Et je me permets de vous laisser ce mot en raison notamment de l'excellent travail que vous investissez quotidiennement dans la production de ces rubriques toutes plus intéressantes les unes que les autres. Ne voyez pas dans cette absence ou ce retard, dans ces absences ou ces retards, une infidélité à votre égard, voire une ingratitude ou une fatalité. La fréquence et la régulation du lectorat sont ou devraient, me semble-t-il, être des guides pour nous blogueurs et blogueuses. Lorsque cette fréquence ou cette régulation tomberont ou chuteront dramatiquement, il y aurait, il y aura, lieu de s'interroger. Avec lucidité. Mais je suis persuadé qu'il n'en est rien ici avec ces pages lumineuses que vous nous offrez quotidiennement à lire. Comme, en ce jour, même cette touchante et peu ordinaire histoire de Mauricette. Qui de nous aurait connu en d'autres circonstances ces réflexions et cette écriture sur la vie, écrites par Mauricette, si ce n'est en visitant votre blogue et en jetant un oeil sur le blogue de référencement que vous nous avez proposé. Soyez, chère amie, indulgente avec vous-même et soyez patiente avec nous-même. Et fermer ces commentaires au libre passage de vos lecteurs et de vos lectrices serait vous priver d'un prodigieux contact avec ces derniers et ces dernières. Pourrait-on imaginer de s'interdire de prêter un livre à un ami ou à une amie au prétexte qu'il ou elle ne le lirait pas ou pour cet autre motif qu'il ou elle ne le rendrait pas à son propriétaire. Si je me montre parfois indiscipliné sur les heures, il ne saurait être question de me montrer indifférent, voire absent, d'une lecture passionnante et enrichissante, et cela, au quotidien, de vos pages encore une fois toujours extraordinaires et merveilleuss.
Voilà. C'est dit.
Pierre R. Chantelois
Milosz :
- "En chacun de nous se débat un lapin fou pendant que hurle une meute de loups, et notre peur, c'est que les autres ne les entendent..."
...et de belles photos.
oh Pierre ce n'était pas critique, reproches ni rien de semblable mais moi même je laisse peu de commentaires, à part quelques rares, et j'aime et suis des blogs que je ne commente pas - c'est souvent pas facile ou corvée - alors me dis que devrais vous épargner ça - et avec votre gentillesse tous vous passeriez tout de même
Allons en paix (et Brigitte défais ton panier de courses)
Plaisir, mais plus en réalité, après une absence courte, mais très loin, sans internet, en amitié, de retrouver dans la maison où je reviens seule, vous avec Mauricette, et encore de l'amitié évoquée. C'est une douce routine de vous retrouver chaque jour. Le prix, ce sont les mots, les vôtres et de temps en temps les nôtres, en ponctuation. Mais nous voulons trop dire, je crois, et parce que c'est écrit on voudrait du sens à tout prix, et pourquoi pas de l'intelligence, de l'esprit, du beau, alors qu'il s'agit de bien autre chose. Il faudrait pouvoir opérer, seulement avec des mots, une espèce de transmutation du silence partagé. Et ne pas s'excuser, comme j'ai envie de le faire, du fatras que je viens déposer chez vous, et ne pas se censurer, comme je le fais aussi constamment, parce qu'on n'aurait qu'une banalité à exprimer, c'est beau, ça me plaît, je suis d'accord, merci, moi aussi, et même trivial et bête, chouette, génial, trop bien, comme on fait tous les jours, simplement, quand ça va bien avec les gens qui nous entourent.
Alors, bêtement, merci, passez une bonne soirée, et à demain.
un très grand merci à vous - mais justement si je pense supprimer les commentaires c'est pour ça - moi aussi j'en laisse peu, souvent difficile et puis semble superfétatoire - alors je me dis que ce serait plus gentil de ne pas avoir l'air d'en attendre - alors on verra parce qu'avec le changement blogger ce n'est pas si simple et que je n'ai pas le temps ce soir
Qui n'a pas rêvé, un jour, un soir, pour de multiples raisons, avouées ou non avouables, de seulement jeter une bouteille à la mer sans espoir de réponse ?
Le silence de la mer nous crèvera les oreilles.
ne nous fais cette peine...comme dit Pierre le silence serait insupportable
En effet, ce serait bien dommage de nous priver en quelque sorte de laisser une petite trace de notre passage.
Je commente très peu, mais suis une fidéle depuis un temps certain.
N'ayant pas de blog, je reste un peu dans l'ombre.
Flore
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